Paroles de coach. À son retour d’un stage de water-polo à Moroni, aux Comores, Alain Baron, entraîneur emblématique de l’équipe de Mayotte, partage un bilan lucide et passionné. Derrière les bonnets et les passes, un engagement : faire du sport, et notamment du water-polo, un terrain neutre, apolitique, de partage et de résilience. « Ce n’était pas une compétition, c’était un échange autour d’une passion commune entre nos deux territoires ».
Dans le bassin de 25 mètres de Moroni, les nageurs et poloïstes mahorais ont trouvé plus qu’un simple stage : une respiration. Une dizaine d’athlètes étaient prévus, ils furent huit à plonger. Entre blessures et cas de chikungunya, l’effectif a fondu, mais pas l’enthousiasme. « Le coach local a été notre guide, et on a eu la visite du président de la fédération comorienne de natation, lui-même ancien nageur. Il a même participé à l’échange, c’est un signe fort ».
Ce que souhaitait Alain, c’était aussi un document officiel du ministère des Sports pour valider cet échange sur le plan symbolique, « pour que ça compte, pour les Comoriens comme pour les Mahorais. » Il n’a pas eu ce soutien espéré, mais l’essentiel est ailleurs : dans l’eau, dans les partages tissés et les projets à venir.
Un stage, pas un tournoi : poser les jalons de demain

Ce stage s’inscrit dans une démarche de long terme. À l’horizon 2027, les Jeux des Îles devraient se tenir… sans épreuve de water-polo dans cette compétition. Alain espère que son équipe de Mayotte pourra y faire une démonstration, comme un pied dans la porte. Car à Mayotte, le water-polo existe, vibre, résiste. « On veut que nos jeunes découvrent les îles de l’océan Indien par le sport. Après les Comores cette année, on vise Madagascar l’an prochain : Tuléar ou Majunga. L’idée, c’est de structurer des rencontres entre les poloistes de l’océan Indien ».
Structurer, malgré tout. Car organiser un événement sportif entre Mayotte et les Comores reste un défi, parfois politique, souvent logistique. Sans entrer dans les controverses, Alain l’affirme : « Je veux rester neutre. Pour moi, le sport doit rester au-dessus de tout ça. On nous met parfois la pression, on nous rappelle les tensions diplomatiques… mais moi je parle aux nageurs. Je parle d’eau, d’équipe et de passion pour un sport au-delà des frontières. »
Un entraîneur debout, malgré les tempêtes
Et Alain Baron est un survivant. Littéralement. Il a tout perdu avec les violences de Chido : son logement, ses équipements, ses repères. Aujourd’hui, il dort dans un magasin, un ménisque en moins, les épaules chargées mais le regard toujours tourné vers l’horizon. Il s’est relevé. Il a repris ses enseignements de natation pour les scolaires à Mayotte, malgré un contexte toujours en dent de scie, entre grèves et manque de moyens matériels. Il se lève avant 5h du matin, se couche à 23h, s’accroche. La Ligue de natation de La Réunion lui a proposé de développer l’eau libre : une compétition inter-îles est en préparation, intégrée au calendrier réunionnais.
« On veut créer un circuit régional, attirer des sponsors, donner envie aux jeunes. Fabriquer des vocations de maîtres-nageurs, de nageurs mahorais. Même avec des bassins flottants, on peut construire du solide. » Aujourd’hui, les nageurs d’Alain Baron s’entraînent souvent à la plage des Badamiers, en Petite-Terre — « il y a moins de déchets, moins de vagues, et le coucher de soleil est sublime, c’est idéal pour progresser ». Bientôt, grâce au bassin de Bandrélé, les nageurs mais surtout les poloistes auront un vrai point d’ancrage.
Sport apolitique, sport réparateur

En dépit des obstacles, Alain Baron garde le cap : « Il faut que les élus montrent l’exemple. Il faut de la volonté. Moi je suis là, et je resterai là ». Le water-polo, pour lui, ce n’est pas juste un sport. C’est un outil de résilience, un langage commun entre des jeunes séparés par l’histoire mais réunis par l’eau.
D’ailleurs, le water-polo a été récemment admis comme discipline de démonstration officielle par la fédération des Jeux des îles. Alain Baron y voit une opportunité unique : organiser d’autres stages dans l’océan Indien, susciter des vocations, et multiplier les rencontres entre joueurs insulaires — Comores, Madagascar, La Réunion, Mayotte, Seychelles, Maurice — avec l’espoir qu’un jour, ce sport aquatique devienne une discipline officielle de ces Jeux.
Et tant pis si personne ne l’écoute dans les couloirs du pouvoir. Alain Baron continue de faire des vagues — dans le bon sens du terme.
Mathilde Hangard