Fenêtres abaissées, roulant au pas, les « taximans » ont commencé leur grève ce lundi 2 juin au matin avec une opération escargot qui a entraîné embouteillages et ralentissements entre Passamainty, Mtsapéré et Kawéni. Ils réclament l’ouverture des voies du Caribus à leurs véhicules pour ne pas être bloqués dans les bouchons et subir la concurrence des navettes gratuites qui opèrent le trajet Passamainty-Cavani en une dizaine de minutes contre plus de 3 heures en taxi.
Une pression économique accrue

« Quand je débute ma journée, je pars à 6 h de Chirongui et j’arrive après 9 h à Mamoudzou », regrette Ali*, chauffeur de taxi indépendant. « On aimerait pouvoir aller sur les voies Caribus, comme c’est le cas partout ailleurs avec ce genre d’infrastructures. Depuis l’ouverture des lignes, moins de gens viennent dans nos taxis, on a peur pour notre métier », constate-t-il amèrement en regardant la route bloquée à Mamoudzou. « Les gens préfèrent se tourner vers les navettes mais aussi les scooters, qui n’ont pas de licences. Si les pouvoirs publics ne répondent pas on va bloquer la route, on n’a pas le choix », continue l’homme inquiet.
« Il s’agit de notre survie, de notre gagne-pain ! », insiste Adinani Zoubert, de Force syndicale des artisans taxi-ville de Mayotte (FSATVM), porte-parole des chauffeurs. « A la base il était prévu que nous les taxis on puisse passer sur les voies du Caribus, mais finalement non. On se sent trahis », ajoute l’homme vêtu d’un treillis militaire et d’un béret. « Si on ne passe pas par ces voies, on est foutus. C’est notre vie qui est en jeu ». A Mayotte, la plupart des chauffeurs sont indépendants, la pression économique est élevée et l’arrivée du Caribus n’améliore pas la situation.
« Il faut développer le territoire ensemble »

Le premier tronçon, ouvert le 12 mai dernier après 3 ans de travaux, dessert sept arrêts sur 3 km et les navettes effectuent le trajet environ toutes les demi-heures. Si pour le moment la distance couverte par les bus est courte, les chauffeurs de taxis observent déjà un changement de comportement de la population en leur défaveur. D’autant plus que d’ici 2026 les voies du Caribus s’étendront jusqu’au quartier des Hauts Vallons en passant par Mamoudzou centre, c’est-à-dire toute la zone économique principale de Mayotte. Sans accès aux nouvelles routes, difficile d’imaginer les utilisateurs se tourner vers les taxis.
« On a essayé de contacter la Cadema pour discuter mais depuis 3 semaines on organise des réunions sans obtenir de retours, c’est silence radio », poursuit Adinani Zoubert, en colère, « pourtant c’est elle qui a les cartes en main pour débloquer la situation. On attend des réponses. Il faut développer le territoire et il faut le faire ensemble. Je demande pardon à la population, on ne fait pas ça pour le plaisir ! », tient à signaler le porte-parole, « c’est notre vie et notre métier qui sont en danger, on doit nourrir nos familles ».
Contactée, la Cadema n’a pas répondu à nos demandes, mais Mohamed Hamissi Thomas, spécialiste des transports urbains et régionaux de personnes, ancien chargé de projet à la Cadema a souhaité revenir sur plusieurs points dans un article paru lundi 2 juin.
« Les taxis doivent évoluer, s’adapter et jouer un rôle structurant »

D’un point de vue technique, « l’aspiration à utiliser les voies Caribus est en contradiction avec le mode de fonctionnement essentiel des taxis collectifs à Mayotte », souligne-t-il. « Leur modèle repose en effet sur la maraude : la liberté de circuler, de s’arrêter à tout moment et de prendre des passagers au fil du trajet. Or, les voies réservées au transport en site propre sont régies par une réglementation stricte : elles sont accessibles uniquement à certains véhicules autorisés, interdisent le stationnement et n’autorisent les arrêts qu’aux stations dédiées. Autoriser les taxis collectifs à y circuler sans leur permettre d’en sortir librement, de rejoindre les quartiers ou d’accéder aux trottoirs et arrêts traditionnels reviendrait à restreindre leur souplesse, qui constitue pourtant leur principal atout ».
« Pour assurer leur pérennité, les taxis collectifs doivent évoluer, s’adapter et jouer un rôle structurant dans une offre de mobilité plus vaste. Cela suppose une volonté de transformation, une implication active dans la construction d’un système de transport intégré, moderne et équitable », remarque-t-il. Mohamed Hamissi Thomas préconise le développement de services souples et ciblés, tels que les « Taxibus » pour « réduire les coûts tout en maintenant un niveau d’offre adapté aux besoins des territoires », ce qui permettrait, selon lui, d’offrir des solutions de transports dans des zones moins peuplées et de créer une continuité des services.
Victor Diwisch