Après Chido, Oulanga Na Nyamba veille toujours sur les tortues de Mayotte

Locaux endommagés, sentiers effondrés, financement en berne… Malgré les tempêtes, l’association continue de protéger les tortues marines et de sensibiliser la jeunesse.

Il y a cinq mois, le cyclone Chido balayait l’île de Mayotte avec une violence inédite. Toitures envolées, routes éventrées, végétation arrachée. Dans ce décor bouleversé, une petite équipe tient bon. Celle d’Oulanga Na Nyamba, l’association phare de l’île engagée dans la protection de l’environnement et particulièrement celle des tortues à Mayotte, qui lutte aujourd’hui pour reprendre ses missions. Logistique déstabilisée, financements tardifs et réduits, écosystèmes altérés… la tempête a laissé bien plus que des traces visibles. Mais à quelques jours de la Journée mondiale de la tortue -le 23 mai- les voix mahoraises, elles, ne se taisent pas.

« Nos locaux ont été très endommagés par le cyclone. Nos activités n’ont pas pu reprendre avant plusieurs semaines. On s’est réadaptés quand on a pu et comme on a pu », raconte Jessica Coulon, chargée de mission pour la valorisation écotouristique de la tortue marine au sein de l’association.

Le cyclone Chido, un point de rupture

Le braconnage des tortues ne s’est pas arrêté après le cyclone Chido « mais il n’a pas explosé non plus, contrairement à la période du Covid, où l’absence de présence humaine sur les plages avait aggravé la situation, l’accès difficile aux sentiers après le cyclone a pu freiner certaines de ces actions illégales », a commenté l’association (illustration/DR)

Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido frappe Mayotte de plein fouet. Un choc climatique dont les conséquences se font toujours sentir, notamment pour les acteurs associatifs. « La première chose qu’on a faite après le passage du cyclone, c’est d’aller sur le terrain pour faire un diagnostique des plages de ponte. On a constaté que beaucoup d’accès aux sentiers étaient devenus impraticables, ce qui entravait nos missions de surveillance. »

Actuellement, certaines plages dans le Nord de l’île mais aussi dans l’Ouest, comme Mtsanga Nyamba, et en Petite-Terre, comme Papani, restent difficilement accessibles. « On y retourne, mais pas avec des bénévoles. On essaie de sécuriser les accès petit à petit, avec nos partenaires ». Grâce à un important travail de terrain, les accès aux plages de Moya et Sohoa ont pu être rouverts, permettant la reprise partielle des activités de suivi.

Un budget environnemental réduit, un avenir incertain

L’année 2025 avait pourtant débuté sous le signe de l’espoir, avec la perspective d’un redémarrage des projets. Mais le vote du budget de l’État en janvier dernier est venu doucher les attentes. « Les fonds alloués à la protection de l’environnement ont été réduits. Ce n’est pas une très bonne nouvelle pour nous », regrette Jessica Coulon. « Depuis le passage du cyclone le 14 décembre 2024, nous n’avons pas constaté d’évolution significative de nos projets. »

Depuis cette catastrophe, l’association n’a reçu aucun soutien financier supplémentaire, à l’exception d’un dossier déposé auprès de la Fondation de France. Ce dernier vise à soutenir les actions de sensibilisation et d’amélioration des connaissances dans un contexte post-Chido.

La loi de Finances pour 2025 confirme ces inquiétudes : les crédits dédiés à la mission « Écologie, développement et mobilités durables » ont été réduits de manière significative, avec une baisse de 2,65 milliards d’euros par rapport à 2024, soit près de 11 % en moins. Dans ce contexte difficile, l’association Oulanga Na Nyamba, qui repose sur une quinzaine de membres, doit composer sans les « services civiques » – les agréments étant toujours en attente. « À l’échelle de l’île, le tissu associatif mahorais est sous tension. L’accès aux financements relève d’un vrai parcours du combattant », souligne-t-elle.

Des écosystèmes bouleversés, des impacts invisibles

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Le cyclone Chido a bouleversé les plages de ponte, comme à Titi Moya

Les effets du cyclone sur les plages ont été multiples : débris, tôle, plastique, sable déplacé ou érodé, végétation disparue. Des changements qui pèsent sur les tortues. « On imagine bien que des nids ont été inondés ou détruits. C’est un impact qu’on ne pourra jamais estimer précisément. Les femelles ont aussi plus de mal à monter en haute plage. »

Dans l’eau, peu d’échouages directement liés au cyclone ont été recensés, probablement parce que les tortues « se sont mises à 20 mètres de profondeur ». En revanche, les récifs coralliens – habitats essentiels – ont été touchés. « Il y aura forcément des conséquences, même si on ne peut pas encore les chiffrer. »

Une reprise fragile mais engagée

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Après Chido, une dune, qui autrefois n’existait pas, s’est formée à Mtsamboro

Malgré les embûches, l’association a repris ses actions. L’accompagnement et la sensibilisation des jeunes, un pilier de leur travail, ont pu redémarrer progressivement, bien que fragilisés par les dégâts dans les établissements scolaires. « On craignait de ne pas pouvoir reprendre nos interventions. Mais aujourd’hui, cela reprend doucement ».

Autre lueur d’espoir : depuis le 1er janvier 2025, Oulanga Na Nyamba anime désormais le Réseau Echouage Mahorais de Mammifères marins et de Tortues marines – REMMAT, autrefois géré par le Parc naturel marin de Mayotte, constituant ainsi une nouvelle corde à son arc pour disposer de « plus de visibilité sur les urgences. »

Kaz’a Nyamba, le refuge toujours en attente

Parmi leurs projets emblématiques figure toujours la Kaz’a Nyamba, un centre de soins et de sensibilisation pour les tortues. Mais son avenir reste incertain. « Oui, elle reste très importante pour nous. Mais on veut rester prudents. On est une association avec des moyens limités. Pour que le centre voit le jour, il nous faut un vrai signal politique, un engagement clair pour l’environnement à Mayotte. Sinon, tous les acteurs impliqués dans la protection de l’environnement à Mayotte pourraient tous s’effondrer. »

Un slam pour l’avenir

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Capture d’écran du clip « Nyamba slam – La chanson des tortues », de l’association Oulanga na Nyamba

En guise de cri du cœur, l’association a lancé « La chanson des tortues », un slam engagé porté par la jeunesse mahoraise. Une œuvre collective mêlant voix, danse et images, dévoilée à l’occasion de la Journée mondiale de la tortue, le 23 mai. « C’est un nouvel outil formidable de sensibilisation fait par des jeunes Mahorais, soutenu par des associations locales. Et si les jeunes sont là, alors tout n’est pas perdu ! ».

À Mayotte, les tortues symbolisent une nature fragile, résistante face aux bouleversements. Après le cyclone Chido, elles continuent de revenir, pourtant la menace persiste. Jessica Coulon le rappelle : « Les gens s’inquiètent, mais elles ne sont pas encore perçues comme essentielles à l’équilibre de l’île. » L’espoir, cependant, réside dans ces voix jeunes et dans l’engagement d’équipes comme celles d’Oulanga Na Nyamba, un espoir porté par ceux qui, face aux dérèglements, choisissent de se réinventer pour préserver ce qu’ils ont de plus précieux : leur île et ses tortues, germe d’un monde qui apprend à protéger ce qu’il aime.

Mathilde Hangard

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