Après les dernières publications soulignant qu’un quart des Français a difficilement accès à un généraliste, ou bien pointant que le nombre de maternités a été divisé par quatre en 50 ans, le site Statista s’intéresse aux déserts médicaux en France. En titrant, « Mayotte et le Centre sont les plus affectés », on peut malgré tout se féliciter de cette mise en avant, tant on avait pris l’habitude du petit astérisque « hors Mayotte » dans ce genre d’études, ce qui permettait aisément de maintenir une cohérence nationale des données. Mayotte étant le plus souvent hors norme. Et c’est encore une fois le cas.
La publication date du 7 avril dernier, journée mondiale de la santé. Et sur la scène internationale, la France n’est qu’en 6ème position pour le nombre de médecin, 3,4, pour 1.000 habitants, derrière l’Espagne (4,5) et l’Italie (4,3), et, en tête, l’Autriche (5,5) et la Norvège (5,2). Mentionnons que notre pays est devant deux pays développés, les Etats-Unis (2,7) et le Japon (2,6). Un indicateur qu’il faut donc certainement compléter par d’autres, dont le taux de prise en charge des dépenses de santé.
Pour la France, il est une donnée incontournable, celle de la chute de capacité de prise en charge hospitalière : la France a perdu près de 4.900 lits d’hospitalisation complète en 2023, selon la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES). Alors que la croissance démographique était de 0,3% cette année-là, et que la population vieillissante nécessite davantage de soins. Une diminution qui « reflète en partie le manque de personnels de santé dans le pays », explique Statista.
C’est perdu pour les PADHUE

L’accès aux soins médicaux questionne donc. L’infographie du site parle d’elle-même, élaborée d’après les données de la DREES et de l’Insee. « Le nombre de médecins généralistes pour 100 000 habitants en France métropolitaine et dans les DROM varie fortement selon le territoire : de 49 à Mayotte à 176 à La Réunion – soit une densité allant de 1 médecin pour 2 000 habitants à 1 pour 600 environ », est-il interprété.
Ironie du sort de Mayotte, c’est dans le département voisin de La Réunion que la dotation de médecins rapportée à la population est la plus forte. Ce qui mériterait une collaboration plus étendue qu’elle ne l’est. Si à Mayotte la population est jeune, et donc moins en besoin de soins, le déficit de médecin et de prise en charge médicale incite les habitants à se rendre dans le département voisin ou en métropole. D’autant que certains médecins en place sont en passe de prendre leurs retraites, ce qui va aggraver le phénomène.
Une des solutions proposées, la mise en place du dispositif PADHUE à Mayotte, autorisant des médecins diplômés hors Union européenne à exercer sur l’île avait été refusée par la Commission Médicale d’Etablissement (CME) du Centre Hospitalier de Mayotte.
L’AME demandée par la députée Estelle Youssouffa

Le facteur aggravant, et on en voit les effets sur place, c’est l’absence d’AME (Aide médicale d’Etat) à Mayotte. Dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, elle est attribuée sous conditions de résidence et de ressources. A la suite de la crise sociale dénonçant le flux migratoire à Mayotte, il fut question de supprimer l’AME sur l’ensemble du territoire français ou de la réduire à son volet de soins urgents, tel que le demandaient les députés de droite. Le risque étant que, faute de prendre en charge assez tôt les problèmes de santé des étrangers sur le territoire, cela ne gonfle le montant des prises en charge en urgence, avec un risque sur la santé publique. Pour l’instant, les parlementaires se sont contentés d’en geler la hausse des crédits pour 2025.
A Mayotte on connaît les effets pervers de l’absence d’AME. Le service des urgences déjà mal en point du Centre hospitalier de Mayotte (CHM) – le seul de l’île – est submergé, alors que la médecine libérale ne reçoit que les affiliés sociaux. La mise en place de l’AME d’ailleurs demandée par la députée Estelle Youssouffa, dans une proposition de loi déposée il y a une semaine, permettrait de désengorger les urgences, et à la médecine de ville de voir arriver de nouveaux patients. Et ainsi d’attirer de nouveaux médecins et lutter contre le supra-désert médical qu’est Mayotte. Un coût supplémentaire de prise en charge des frais médicaux des étrangers sur le territoire, mais qui permettrait sans doute de réduire celui (conséquent) lié aux EVASAN, les évacuations sanitaires vers La Réunion ou l’Hexagone.
Un vase communicant entre départements

Encore une atteinte à « l’indivisibilité de la République », terme prisé notamment par le Conseil constitutionnel pour les dérogations aux principes qui régissent le pays.
Reste que, même si l’AME est mise en place à Mayotte, des médecins ne viendront s’installer que si la pénurie nationale se résorbe. C’est pourquoi une proposition de loi adoptée il y a dix jours par l’Assemblée nationale, pourrait intéresser Mayotte. Il s’agit de réguler l’installation de médecins, avec comme objectif un rééquilibrage entre les départements. Une volonté du député PS Guillaume Garot qui déplorait que six millions de Français soient sans médecin traitant, et qui a drainé des parlementaires de tous partis avec lui.
Partant du principe que les études de médecine sont intégralement prises en charge par l’Etat, et que ce dernier peut imposer en retour des exigences, il s’agirait de subordonner l’installation de nouveaux médecins à l’accord de l’Agence régionale de santé (ARS). Les zones de faible densité de médecins seraient privilégiées, alors que pour les autres, son installation serait conditionnée au départ d’un confrère. L’examen du texte est prévu au début du mois de mai.
S’il était adopté, ainsi que la mise en place de l’AME, Mayotte pourrait retrouver des couleurs pastel sur la carte.
Anne Perzo-Lafond