Quand l’art soigne : à Mtsapéré, des fresques murales pour réparer les âmes

Au CMPEA de Mtsapéré, enfants et adolescents en souffrance redonnent vie à leur lieu de soins — une fresque pour colorer leur reconstruction.

Tandis que la nuit se tisse lentement sur les hauteurs de Mtsapéré, une trentaine de jeunes se rassemblent, intrigués, devant les murs du Centre Médico-Psychologique Enfants et Adolescents (CMPEA). Curieux, ils observent les premiers gestes d’un projet hors du commun. Il ne s’agit pas d’un simple atelier artistique, ni d’une animation de quartier : ce qui prend forme là, entre béton et lumière, est une initiative thérapeutique, sociale et inclusive – une première à Mayotte.

Guérir par la couleur et la création

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La fresque extérieure du centre, prochainement inaugurée

Le projet démarre un soir de mars, à 17h, devant le Centre Médico-Psychologique Enfants et Adolescents (CMPEA) de Mtsapéré. Ce soir-là, à 17h, le Dr. Briard, pédopsychiatre, une psychologue du CMPEA et des membres de l’association artistique, Mihono, tracent au marqueur les premiers contours de la fresque. Les adolescents du centre ne sont pas encore là. Seuls les regards de quelques passants du quartier assistent au coup d’envoi silencieux de ce chantier créatif.

Quelques jours plus tard, pendant les vacances scolaires, le cœur du projet bat enfin : des des enfants et des adolescents suivis au CMPEA, d’autres venus du quartier, ainsi qu’un jeune de l’association Mihono s’approprient la fresque. Ensemble, ils transforment les murs du centre en un espace de création partagé. Le projet est né d’une intuition simple : et si la réappropriation artistique d’un lieu de soin pouvait tisser des liens, réconcilier des destins, offrir un espace de résilience ?

Sarah, psychologue auprès des enfants du centre, et Léa, présidente de l’association Mihono, lancent l’idée. Très vite, la Direction des Affaires Culturelles (DAC) soutient l’initiative, en finançant non seulement la fresque, mais aussi une future collaboration artistique. D’autres partenaires emboîtent le pas, tel l’Agence Régionale de Lecture et du Livre (ARLL), qui organise des ateliers lecture aux jeunes du centre, initiative symbolique et concrète d’ouverture vers la culture.

« Le but est de leur permettre de s’approprier ce centre, de le transformer en un lieu à leur image, un lieu de vie« , explique Sandra, psychologue auprès des adolescents de 13 à 18 ans. « Beaucoup d’entre eux ont connu le rejet et la violence. Ici, ils retrouvent une place. » Le projecteur est en place. Des bénévoles d’une association sécurisent les lieux. La majorité des jeunes qui participent à la fresque sont suivis au CMPEA de Mtsapéré au sein d’un groupe thérapeutique, d’autres viennent d’associations voisines. Des mamans s’impliquent, des passants s’arrêtent, observant la scène. L’art devient un langage, et les murs deviennent des ponts.

Un cadre thérapeutique pour enfants et adolescents en souffrance

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Un adolescent du centre, une maman du quartier et une bénévole d’une association, peignent la fresque extérieure

Les jeunes enfants du centre, qui participent à la création des fresques souffrent majoritairement de troubles du spectre autistique (TSA) ou de troubles du développement. La peinture s’intègre dans leur prise en charge, parallèlement à des groupes de contes ou le groupe psychotiques. « Ce sont des enfants qui ont souvent échoué sur le plan scolaire. À travers ce projet, ils réussissent, ils créent. C’est thérapeutique« , explique le Dr Briard. « Ils apprennent à être ensemble, à respecter une consigne, à attendre leur tour. » Les adolescents, quant à eux, luttent contre l’isolement, les troubles du lien social. Pour eux, la fresque devient un moyen doux de réintégrer le collectif.

Soigner au-delà des murs, avec peu de moyens

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Enfants participant à la conception d’une fresque intérieure au centre

Si ce projet a vu le jour, c’est grâce à la débrouille et à l’engagement sans faille de l’équipe. Car à Mayotte, la santé mentale ne fait pas toujours partie des priorités des autorités sanitaires. Le Centre Hospitalier de Mayotte n’a pas financé la fresque ; tout repose sur les épaules des partenaires extérieurs. L’Agence régionale de santé soutient financièrement la psychiatrie pour le CHM, mais ce financement se dilue dans un budget global, sans lignes budgétaires spécifiquement fléchées aux actions du pôle de santé mentale, pour des actions thérapeutiques spécifiques de ce type. « Nous montons actuellement une association adossée au service pour chercher des financements et développer ces actions hors les murs« , précise l’équipe. « L’objectif est clair : aller vers, ouvrir notre pratique, relier soins et société. »

L’équipe se projette désormais vers une inauguration officielle de ces oeuvres, espérant que le CHM s’engagera à ses côtés pour pérenniser cette initiative. Ce que les jeunes ont laissé sur les murs du CMPEA va bien au-delà de simples dessins. Ce sont des traces de passage, des gestes partagés, parfois même des prises de parole. Là où les mots s’épuisent, les couleurs prennent le relais. « Parfois, ce qu’on laisse, c’est juste un peu de présence. Et ici, cela a un sens« , confie Sarah.

Mathilde Hangard

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