La marche difficile vers la responsabilisation des parents d’enfants délinquants 

Des mineurs à la fois auteurs et victimes de violences, c’est la difficulté à laquelle se sont attaqués de nombreux textes de lois. Validée par l’Assemblée nationale, la proposition de loi Attal qui s'attaque aux parents avait été épurée en commission du Sénat, puis rétablie en séance ce mardi, divisant les LR. La sénatrice Salama Ramia a plaidé pour Mayotte.

En réponse aux récents faits d’actualité impliquant la délinquance des mineurs, la proposition de loi de Gabriel Attal, président du groupe Ensemble pour la République et membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale, avait été adoptée par les députés. Elle vise à durcir la justice à l’égard des mineurs délinquants et à impliquer leurs parents.

Paradoxe, alors que les députés de gauche avaient voté contre à l’Assemblée, au Sénat, c’est une partie des LR qui ont rejoint leur position. Ce n’est pourtant pas la tendance politique de ce groupe qui y représente la plus importante force. Résultat, le texte avait été vidé de sa substance en commission des Lois, sous les arguments de son rapporteur, le célèbre avocat et homme politique, Francis Szpiner, également LR.

Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, plantait le décor d’une jeunesse « à la fois auteur et victime d’actes de délinquance » : « L’Etat est un parent défaillant à la fois dans la protection de la jeunesse en danger, mais aussi dans les réponses à apporter quand elle transgresse les règles qui fondent notre société ». En rapportant que parmi les mis en cause en 2024, 21% avaient moins de 18 ans.

Des parents qu’il faut à la fois aider et sanctionner, jugeait Gérald Darmanin

Le code de la justice pénale des mineurs remanié en 2021 par l’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, avait permis une justice plus rapide, mais la gravité des actes commis prend de l’ampleur.

Les facteurs de délinquance étaient rappelés par l’actuel ministre de la Justice : « la précarité, l’isolement, la question migratoire, la défaillance de certains parents, une intégration mal réussie, les réseaux de prostitution ou de drogue (…) on ne met pas un enfant au monde impunément », glissait-il. En rappelant la difficulté des familles monoparentales, « mot savant pour parler des femmes seules » qui travaillent, « face à des adolescents à qui manque l’autorité du père ». Il faudrait rajouter, et même placer en tête, le manque d’amour paternel et souvent parental.

« Les mineurs d’aujourd’hui ne sont pas ceux de 1945 »

Gérald Darmanin mettait en évidence les écueils : « Les parents défaillants, il faut les sanctionner, mais les parents nous crient à l’aide, il faut les aider. » Avec cette question, « comment renforcer l’autorité en laissant sa place à l’éducation ? »

Le texte de Gabriel Attal veut pouvoir y répondre, mais il a été expurgé de plusieurs mesures comme la comparution immédiate pour les mineurs, ou le retrait de l’excuse de minorité soumis à la décision du juge de l’audience. « Le drame d’Elias* impliquait deux jeunes connus de la justice des mineurs, mais dont la violation des mesures éducatives n’aurait impliqué aucune sanction ! », pointait-il. « La justice des mineurs ne peut pas être celle des majeurs mais les mineurs d’aujourd’hui ne sont pas ceux de 1945 », en référence à l’année de publication de l’ordonnance sur la jeunesse délinquante.

Matis, bus, Mayotte
Lors de l’agression violente de ce bus en 2022 à Mayotte, le chauffeur avait été visé et blessé (Photo JDM)

Il posait le problème d’une compatibilité entre le durcissement de la loi et le respect de la Convention Internationale des droits de l’Enfant (CIDE) signée par 196 pays dont la France. « Adapter la réponse judiciaire à la minorité du mis en cause ne signifie pas impunité, estimait Gérald Darmanin, il faut prévenir les atteintes à l’ordre public ». Tout en convenant qu’un mineur délinquant « doit être puni », mais qu’il est « aussi en danger ».

La structure qui doit répondre à ces problématiques, c’est la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), qui doit accompagner le mineur pendant sa condamnation pour préparer sa réinsertion. Mais nous l’avons souligné à plusieurs reprises, la PJJ est insuffisamment dotée, notamment à Mayotte, en moyens humains et matériels. Les outils pour répondre notamment à la problématique de la récidive, existent donc, mais sous-utilisés, selon Me Szpiner qui va ainsi justifier sa volonté d’écarter les articles fondateurs du texte de Gabriel Attal.

Pas de sanction pour les parents absents, plaide Me Szpiner

Si les actes de délinquance des mineurs sont en baisse, il soulignait « des infractions de plus en plus violentes commises par des mineurs de plus en plus jeunes », il mettait donc en évidence « un manque de moyens de la justice des mineurs, dont à la PJJ ». Il refusait à la fois de « légiférer sous le coup de l’émotion à la suite de fait divers », et de « mettre de côté les principes constitutionnels » de cette justice des mineurs.

Plus étonnant sa volonté de supprimer la sanction civile contre des parents ne répondant pas aux convocations pour leur rôle éducatif. Quant à la levée exceptionnelle de l’excuse de minorité pour les actes les plus graves, Francis Szpiner estimait que cela était déjà prévu, « les faits les plus graves sont jugés en cour d’assises comme les adultes. »

Si les prises de parole lors de la discussion générale étaient animées, rien n’à voir avec les agitations à l’Assemblée nationale, il faut dire que l’heure tardive ne s’y prêtait guère.

Eric Dupond-Moretti, CEF, Mayotte
En mars 2022, Eric Dupond-Moretti recevait la BD de la PJJ de Mayotte d’un jeune en réinsertion

La sénatrice de Mayotte, Salama Ramia, avait obtenu de pouvoir prendre la parole pour les RDPI, défendant le texte initial. Elle déplorait qu’il ait été « vidé de sa substance » en commission, en plaidant notamment que « le volet répressif doit permettre aux parents présents aux audiences d’aider leurs mineurs à se ressaisir ». Et, citant l’exemple de Mayotte, elle demandait que la responsabilité parentale soit étendue aux proches, « oncle ou tante », à qui les enfants sont souvent confiés, « ils en acceptent la garde sans en mesurer la charge », les délaissant, pour certains, « ils sont livrés à eux-mêmes et à la délinquance ».

A l’issue des échanges, les mesures évincées étaient réintégrées à la proposition de loi et adoptées. Et même durcies, puisqu’une procédure de comparution immédiate spécifique aux mineurs concernera les jeunes récidivistes âgés d’au moins 15 ans, et non 16 ans comme le préconisait le texte de Gabriel Attal adopté par les députés. Avec donc le risque qu’il soit rejeté par le Conseil constitutionnel, avertissait un Francis Szpiner en colère.

L’amende civile pour les parents qui ne se rendraient pas aux convocations a également été rétablie.

Nous reviendrons sur l’excuse de minorité prévue également mise en débat lors de la poursuite des débats ce mercredi soir.

Salama Ramia se voulait rassurante envers les parents, « la justice n’est pas un ennemi », avait-elle lancé en clôture de son intervention.

Anne Perzo-Lafond

*Le jeune Elias âgé de 14 ans avait été poignardé en janvier à Paris après avoir refusé de remettre son téléphone à ses agresseurs de 16 et 17 ans

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