Bien que ce n’était pas la grosse affluence ce vendredi soir glacial dans la petite commune d’Arradon en périphérie de Vannes, ce fut une grande soirée dans les cœurs et par la portée des déclarations. « Morbihan-Mayotte, tous solidaires ! », c’est une initiative du sénateur morbihannais Simon Uzenat. Comme son collègue mahorais Saïd Omar Oili, il est membre de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat, et comme lui, membre du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain. Il revient pour le JDM sur la genèse du projet : « J’ai entendu le témoignage de Saïd en commission quelques semaines après le cyclone Chido, et j’ai été bouleversé par son courage et sa dignité quand il expliquait qu’il n’avait plus de toit et que tous les matins, des habitants venaient frapper à sa porte pour demander de l’eau, de quoi manger et abriter leurs enfants. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour aider. »

La soirée de ce vendredi soir, abritée dans la magnifique salle de la Lucarne mise à disposition par le maire d’Arradon, tournait autour de deux tables rondes, l’une sur l’état des lieux des besoins de la population locale après Chido, la seconde sur la solidarité nationale pour reconstruire Mayotte. Avec un entracte proposé par le chanteur mahorais et désormais breton, Mikidache.
Autour des deux sénateurs, des représentants de la Croix-Rouge française, de la Protection civile, de la Fédération nationale des Infirmiers du Morbihan, des pompiers, tous venus à Mayotte dans les jours ou semaines qui ont suivi le cyclone. Des témoignages forts.
Un petit film disait tout de la catastrophe. Compilation de plusieurs vidéos tournées pendant le cyclone avec des vols de tôles à l’horizontal, et après, avec un hôpital inondé, des tôles à terre, et en contraste, des habitants qui semblaient résignés, réparant, nettoyant, s’épaulant les uns les autres. Et à l’issue, le commentaire ébranlé de Saïd Salim, président de l’Union des CCAS (Centre communal d’action sociale) de Mayotte, qui a vécu le cataclysme : « Quand je regarde ce film, je me dis : ‘c’est pas ça’. Les images montrent bien ce qui s’est passé, mais ce n’est pas un air de piano qu’on entendait, mais le bruit du vent et des tôles. Nous sommes nombreux à ne pas avoir été suivis (pour le traumatisme, ndlr), et du coup, les images reviennent sans cesse. »
« Pas de créneaux aériens pour le fret »

Si les actions sur place des différents organismes de secours sont là pour témoigner que l’Etat a réagi suite à la catastrophe, on est loin du compte à les entendre. Et Saïd Omar Oili, présent sur place pour l’occasion, n’a pas eu besoin de trop insister sur les manquements : « Aussitôt après le cyclone, les bidonvilles ont été reconstruits à l’identique, et on comprend leurs occupants qui voulaient abriter leur famille en pleine saison des pluies, mais pourquoi a-t-on laissé faire avec le risque que de nouvelles catastrophes cycloniques se produisent ?! ». Rappelons que dès le 16 décembre, deux jours après le cyclone, sous notre titre « Chido ou la plongée dans le fantasmé risque cyclonique à Mayotte », nous demandions que des centaines de bétonnières soient envoyées en urgence pour éviter le renouveau l’érection de tôles meurtrières.
Le discours du sénateur mahorais était relayé par bon nombre qui soulignaient les défaillances d’un département dépourvus d’infrastructures de base sur lesquelles auraient pu s’appuyer les secours. Delphine Dochter-Palleau rapportait sa première réaction : « On s’est dit : ‘c’est un département français, on ne va quand même pas devoir faire un couloir humanitaire ?!’ ». Il leur a fallu se rendre à l’évidence, « on avait cinq points de collecte dans le Morbihan, il fallait trouver les finances pour affréter les envois vers Paris et ensuite, des créneaux de fret pour faire partir tout ça vers Mayotte. Mais c’était compliqué, on a été obligé d’interrompre à cause de ça ». Une absence de financement de vol humanitaire.
« Il n’y avait rien de normal »

Même témoignage de Jean Vetter, chargé de la Protection civile du Morbihan : « Je suis arrivé dans une phase dite de ‘normalisation’, mais il n’y avait rien de normal. Ils n’ont rien, pas d’eau potable en continue, pas de tout-à-l’égout. J’ai été marqué par la dignité des habitants, leur sourire alors que tout est détruit, que les nourrissons ont des coliques car il n’y avait pas d’eau potable, que la gangrène touchait les blessés non secourus, que les enfants de migrants nous aidaient à porter les tables en chantant la Marseillaise. »
Félicitant son collègue mahorais des CCAS sur ce qu’il met en place « avec peu de moyens », Philippe Jumeau, président des CCAS du Morbihan, s’étonnait : « Être amené à intervenir à ce niveau pour un département français, c’est nouveau pour nous, il faut un engagement financier de l’Etat. Le président de la République a annoncé 100 milliards d’euros pour l’IA, c’est pas conséquent si on en met 9 pour Mayotte ».
Et le constat que trois mois plus tard, peu a changé, « les écoles sont toujours en hyper rotation », souligne l’infirmière, c’est-à-dire que là où deux classes se partageaient la même salle, matin et après-midi, elles sont trois ou quatre dans certaines écoles.
Saïd Salim revenait sur les besoins exprimés par les CCAS sur place : « Aujourd’hui, on a encore besoin de dizaines et de dizaines de personnes. Malgré notre maillage sur les 17 communes, nous n’avons pu toucher les plus vulnérables par manque de moyens matériels et humains. Le président de la République est venu, il a vu, mais est-ce qu’il a mis les moyens derrière ? Des hommes et des femmes se battaient pour de l’eau. Qu’est ce qu’on veut faire de Mayotte ? Je suis venu en métropole pour dire que l’île est en souffrance, les lois ne servent à rien, elles ne sont qu’un habillage », illustrant par là l’absence de volonté politique pour les faire appliquer dans le 101ème département.
230.000 euros des 65 communes morbihanaises

Avant d’entamer sa chanson de circonstance résumant la résilience des Mahorais « Eba rambe !! J’ai mal mais ça va, J’ai peur mais j’y crois », le chanteur engagé Mikidache Daniel, prenait également la parole pour inviter les habitants à se retrousser les manches : « Chacun a son rôle, le Gouvernement, mais aussi les chefs religieux plutôt que de rester dans les mosquées, les agriculteurs, les pêcheurs, etc. Il faut prendre nos responsabilités, ne pas attendre que ça vienne de l’extérieur ».
Dans un département « dépourvu des infrastructures à la hauteur car oublié », comme le soulignait le maire de Locmariaquer, Hervé Cagnard, qui connaît bien Mayotte pour y avoir commandé la Base navale, les petits ruisseaux semblent vouloir faire de grandes rivières. La soirée aura rapporté 1.880 euros de dons, auxquels il faut rajouter les collectes des communes de Val d’Oust et de Locmalo, qui ont versé 1 euro par habitant, de l’association Mayotte Breizh de Bacar Bacar Bamcolo, 7.000 euros, de l’association Vannes Ylang, « ce sont 230.237 euros qui ont été votés par 65 communes du Morbihan, 4 intercommunalités, et le Département et la Région », rapportait Simon Uzenat. Et à venir, le festival Galettes du monde qui met cette année Mayotte à l’honneur, et qui affiche quasiment complet.

L’élu du Morbihan déclarait que « le sujet de la crise à Mayotte, c’est une problématique nationale, et au Sénat, on ne lâchera rien ! ».
Anne Perzo-Lafond