Politique internationale : Que faire face à Trump ?

Des images récentes, diffusées dans le monde entier, ont semblé rompre avec la tradition des relations entre chefs d’État. On pense à la manière rugueuse et désinvolte avec laquelle le Président américain a traité le président ukrainien, au sein du bureau-ovale, se moquant de sa tenue ou le tançant ouvertement.

Une interprétation un peu rapide aurait tendance à psychologiser l’évènement – on fait référence à la personnalité anormale de Donald Trump – ou à l’exceptionnaliser – une telle attitude relèverait du « jamais vu ». Pourtant, l’historien doit rappeler que le président américain ne fait qu’activer des traditions enracinées dans l’histoire de son pays. Et tout d’abord, la tradition réaliste en matière de politique internationale. Le président Theodore Roosevelt en était le meilleur représentant.   Assumant le rôle de gendarme du continent américain, il définit la politique du « big stick » (le gros bâton), fondée sur l’intérêt national de son pays. Reinhold Niebuhr, déplorant l’idéalisme et le pacifisme de ses concitoyens, a conceptualisé cette doctrine réaliste. Dans Moral Man and Immoral Society (1932), il estime que la notion de morale s’applique à la sphère individuelle, et non à la sphère publique, qui est le lieu des rapports de force. Henri Kissinger comme conseiller à la sécurité nationale, puis secrétaire d’État de Nixon, de 1973 à 1977, est l’illustration de ce courant de pensée pour qui l’objectif de la politique internationale est de préserver les intérêts de son pays.

Une interprétation souverainiste

Depuis l’élection de Donald Trump, le milliardaire Elon Musk est en charge du Département de l’Efficacité gouvernementale

Le deuxième courant auquel se réfère Donald Trump est le courant souverainiste, qui veut protéger la souveraineté des Etats-Unis de toute forme de supranationalité. Il place la constitution américaine au-dessus de toute convention internationale. La phrase récente de Donald Trump sur le fait que l’union européenne aurait été conçue pour « emmerder les Etats-Unis » est à comprendre dans cette perspective. Le troisième courant est l’isolationnisme. L’historien n’oubliera pas de rappeler que c’est ce courant qui dominait la politique étrangère américaine jusqu’à l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. C’est peut-être un quatrième ingrédient qui fait de la doctrine Trump une une synthèse inédite : l’affirmation du primat de l’économie sur la politique. La défense du marché américain et des intérêts capitalistes de Etats-Unis est l’enjeu majeur de toutes les négociations entreprises par le président. « Mon style de négociation est très simple et direct. Je vise très haut puis je pousse, pousse, pousse jusqu’à obtenir satisfaction ». Trump négocie nonpas en diplomate mais en homme d’affaires. Sa proximité personnelle avec Elon Musk est un signe fort de cette orientation.

Dire que cette géopolitique n’est pas inconnue de l’historien, ce n’est pas sous-estimer qu’elle constitue une rupture par rapport à la période contemporaine. Ce n’est pas non plus occulter qu’elle peut avoir de fortes conséquences sur le fonctionnement des relations entre les nations.

Conséquences et perspectives

La première conséquence est l’effet « copycat » qui peut amener tous les chefs d’État a d’adopter la même stratégie que Donald Trump. Il en résulterait un accroissement des égoïsmes nationaux. Comme chef d’État, seul m’intéresse le sort de ma nation. Toutes les institutions supranationales sont à voir, non pas comme une émanation des tentatives d’entente commune, mais comme un obstacle aux intérêts de ma nation.

La deuxième conséquence est le primat de la force sur le droit international. Les petites nations ne comptent plus dans ce contexte. Donald Trump qualifiait récemment le Lesotho de « pays dont personne n’avait jamais entendu parler ». Le droit des individus pèse encore moins. Actuellement, les citoyens nés en Martinique (donc français) ne peuvent obtenir leur visa américain, au prétexte du mouvement contre la « vie chère ». Que ce soit arbitraire ou contraire au plus élémentaire des droits humains ne compte pas. Est juste ce que Trump définit comme juste. Et n’est vrai que ce qu’il considère comme étant vrai. Ce dernier point s’enracine  dans une autre tradition américaine, celle de l’anti-intellectualisme. Richard Hofstadter, dans son essai Anti-Intellectualism in American Life (1963) évoquait ce « ressentiment et (cette) méfiance envers les choses de l’esprit et ceux qui la représentent », que Trump réactive.  La conséquence globale de ces évolutions est une menace sur la paix globale, équilibre toujours fragile né de la volonté de ne jamais marginaliser le droit, la raison et l’intérêt collectif.

La question que nous devons poser collectivement est : « que faire dans ce contexte ? ». Sommes-nous condamnés à agir par mimétisme ? Il y a néanmoins une autre voie possible, celle du renforcement de nos coopérations, celles précisément contre lesquelles Trump se constitue. La question sera rapidement et directement posée à l’Europe par le président ukrainien, qui n’a désormais plus d’autre choix. À la différence des Etats-Unis, qui peuvent abandonner l’Ukraine sans craindre pour sa sécurité, l’Europe ne peut pas abandonner ce pays sans craindre pour sa propre sécurité. Les solutions à imaginer seront nécessairement le résultat de discussions, de compromis, d’échanges fondées sur d’autres considérations que la seule loi du plus fort.

François Durpaire

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