L’intensification des demandes de levée du droit du sol à Mayotte suit la courbe de la pression migratoire. Alors que le projet de loi Programme est en cours d’écriture, le durcissement du droit du sol adopté par l’Assemblée nationale en février sera débattu au Sénat le 25 mars prochain. Après que la députée LIOT (Liberté Indépendants Outre-mer et Territoires), Estelle Youssouffa, a déposé le 27 septembre 2024 une proposition de loi constitutionnelle abrogeant le droit du sol et le double droit du sol à Mayotte (né en France et dont l’un des deux parents y est natif), c’est le sénateur socialiste Saïd Omar Oili qui présentait ce mardi après-midi devant la commission des lois du Sénat, une disposition législative visant à supprimer les titres de séjour territorialisés délivrés dans le 101ème département.
Il rappelait auparavant l’évolution de l’accès à la nationalité française à Mayotte. En commentant son durcissement le 10 septembre 2018. La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie intégrait en effet les amendements du sénateur Thani Mohamed Soilihi, qui était parvenu à tailler une brèche dans le droit du sol en ne permettant l’accès à la nationalité française pour un enfant né sur l’île de parents étrangers que si au moins l’un de ses parents résidait en France de manière régulière et ininterrompue pendant au moins trois mois avant sa naissance.
Une évolution que l’élu juge « sans effets dissuasifs », et recelant même des « effets pervers », les femmes étrangères recherchant un père français, avec « une augmentation des reconnaissances frauduleuses de paternité, qui parfois sont octroyées en moyennant une somme d’argent ». Une critique sans doute réaliste mais difficile à étayer, « selon le Procureur de la République peu de cas sont parvenus jusqu’au tribunal » indique-t-il, et aucune étude d’impact n’ayant été menée depuis sa mise en place, malgré les demandes répétées de son initiateur, Thani Mohamed Soilihi.
Adapter le droit aux défis migratoires de Mayotte

Pour Saïd Omar Oili, qui a peiné à obtenir ces données de la part de la préfecture, deux chiffres suffisent à signer l’échec de la mesure : « de 2004 à 2023 c’est 320.605 clandestins qui ont été expulsés de Mayotte vers Anjouan alors que la population d’Anjouan est selon le dernier recensement de 350.589 habitants. La comparaison entre ces deux chiffres démontre l’inefficacité de la politique conduite contre l’immigration clandestine. » Soulignons pour rester rigoureux, que si les ressortissants d’Anjouan sont largement majoritaires dans les reconduits à la frontière, on note de plus en plus de malgaches et d’Africains du continent.
D’autre part, on ne connaitra jamais à moins d’un sondage improbable, le caractère dissuasif de la contrainte des trois mois, alors que nous avons été témoins d’étrangers se plaignant que l’ancien sénateur ait plombé l’accès à la nationalité de leur enfant.
Malgré l’absence d’analyse des impacts, un serrage de vis supplémentaire était adopté par l’Assemblée nationale le 6 février 2025 sur la proposition de loi du député Philippe Gosselin (Droite Républicaine) qui propose d’allonger de trois mois à un an* la durée de résidence requise pour les parents étrangers. C’est cette proposition de loi qui sera discutée en séance publique le 25 mars 2025 au Sénat.
Pour Saïd Omar Oili, l’enseignement de ces différentes tentatives est de pointer l’essentiel : « les efforts continus pour adapter le droit de la nationalité aux défis migratoires spécifiques de Mayotte, tout en tenant compte des principes constitutionnels français. »
Replacer le curseur sur les titres de séjour

Car peut-on aller plus loin et supprimer totalement un droit du sol déjà entamé à Mayotte ? Cela semble pour l’instant compliqué. On se souvient de la déclaration du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur le tarmac de l’aéroport de Pamandzi, prenant tout le monde de court en février 2024 en plein mouvement social contre l’immigration et l’insécurité : fin du droit du sol liée à la levée du titre de séjour territorialisé à Mayotte. Mais comme on pouvait s’y attendre, à la demande de révision constitutionnelle du président de la République, le président du Conseil constitutionnel estimait que la suppression du droit du sol posait la question de « l’indivisibilité de la République ».
Les manifestants avaient d’ailleurs été dubitatifs sur le lien fait entre les deux mesures, suppression du droit du sol et levée des titres de séjour territorialisés. Cette dernière mesure étant une garantie donnée pour ne pas assister à un déplacement massif d’étrangers en situation régulière en métropole, le fait de la subordonner à la levée du droit du sol jugée inconstitutionnelle, bloquait toute évolution. Seul le durcissement de l’accès à la nationalité a pu se faire.
C’est pourquoi, Saïd Omar Oili remet l’ouvrage sur le métier, en se concentrant sur la levée de territorialisation des cartes de séjour, Mayotte étant le seul département dans ce cas.
Un héritage colonial

Son petit historique est d’ailleurs lourd d’enseignements. Avant l’ordonnance du 26 avril 2000, les règles qui régissaient l’entrée et le séjour des étrangers à Mayotte étaient fondées sur des textes coloniaux spécifiques qui de fait, restreignaient le séjour des étrangers sur l’archipel. Si l’ordonnance de 2000 reste floue sur « la limitation géographique des cartes de séjour délivrées par le Préfet de Mayotte », le Conseil d’Etat dans une décision du 4 avril 2011 rappelait que les conditions d’entrée et de séjour d’un étranger à Mayotte « n’étaient pas régies par les règles de droit commun posées par le CESEDA ». Qui a été entériné par l’extension et l’adaptation à Mayotte du CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) qui prévoit que les titres de séjour délivrés à Mayotte ne sont valables que sur le 101ème département. On pourrait arrêter là la démonstration en établissant que cette disposition pose également la question de « l’indivisibilité de la République » !
Saïd Omar Oili démontre également que des dérogations à la territorialisation des titres de séjour existent : les cartes de séjour longue durée (titre de séjour de 10 ans), la carte de séjour temporaire, la carte pluriannuelle. Il suffit donc de généraliser la mesure.
Rendez-vous le 25 mars 2025 pour la suite du feuilleton.
Anne Perzo-Lafond
*Une erreur de vote des partis extrêmes à l’Assemblée l’a porté à trois ans comme le voulait initialement Gérald Darmanin, ce qui doit être rabaissé à un an au Sénat