Mardi 4 mars 2025, lors d’une visioconférence présidée par Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale sur la vie chère dans les territoires ultramarins, les enjeux liés au coût de la vie et au fret maritime ont été au cœur des discussions.
L’impact du fret maritime sur la vie chère

Lors de cette visioconférence, le fret maritime a été identifié comme un facteur du phénomène de la « vie chère ». Pourtant, les experts soulignent que l’impact du fret sur le coût des produits est plus complexe qu’il n’y paraît. Grégory Fourcin, vice-président et directeur des lignes outre-mer du groupe CMA-CGM, a expliqué que, bien que l’aide au fret puisse alléger ponctuellement les coûts, elle n’a qu’un effet limité sur la réduction des prix des biens de consommation et donc sur le porte-feuille du consommateur. « L’aide au fret a peu d’impact sur le coût de la vie et le coût des produits », a-t-il affirmé. D’après l’expert, les coûts liés au fret maritime sont principalement dus à l’éloignement géographique des territoires ultramarins, qui entraînerait des frais logistiques considérables.
Diversification des circuits d’approvisionnement : une piste prometteuse ?

En Outre-mer, le coût du fret ne provient pas seulement du transport en provenance de l’Hexagone, mais également des circuits d’approvisionnement choisis. Pour expliciter son propos, Grégory Fourcin a pris l’exemple de la Polynésie, où les autorités ont opté pour une approche plus régionale afin de diversifier les sources d’approvisionnement. « En Polynésie, nous n’importons pas toute la marchandise depuis la métropole, ce qui permet de réduire la pression sur les coûts de fret », a-t-il précisé. L’île privilégie ainsi des échanges avec les pays voisins du Pacifique, réduisant ainsi les distances et, par conséquent, les coûts tout en augmentant la flexibilité des approvisionnements.
Dans d’autres territoires ultramarins comme aux Antilles, le groupe CMA-CGM, propose d’ores et déjà des circuits courts entre les Antilles et certains pays d’Amérique, comme la Colombie ou le Costa Rica. Bien que ces itinéraires soient géographiquement plus proches et potentiellement moins onéreux, ils sont freinés par des obstacles douaniers et réglementaires. « Nous pourrions, par exemple, importer des couches Pampers de Colombie vers la Guadeloupe à un prix plus compétitif, mais les restrictions liées aux nomenclatures et aux réglementations douanières compliquent ces échanges », a précisé Grégory Fourcin. L’absence de flexibilité dans la réglementation empêche ainsi de tirer parti pleinement de ces circuits d’approvisionnement régionaux, ce qui alourdit la facture finale pour les consommateurs. « S’approvisionner plus près permettrait de réduire les coûts logistiques et de baisser le prix des produits », a-t-il ajouté.
La question de la réglementation : un frein à l’efficacité

Le cadre réglementaire autour de l’importation reste un autre défi. Guillaume Vidil, directeur général de la compagnie maritime, Marfret, a souligné qu’une plus grande flexibilité en matière de réglementation permettrait d’améliorer la résilience des territoires d’Outre-mer. À ce sujet, le président et directeur des lignes outre-mer du groupe CMA-CGM a rappelé un exemple frappant vécu à Mayotte, où lors de la crise après le passage du cyclone Chido le 14 décembre 2024, faute de flexibilité dans la réglementation des produits essentiels, l’importation d’eau depuis l’île Maurice a été rendue particulièrement difficile, malgré la crise humanitaire qui se déroulait sur place. « L’ARS avait dit que l’eau en provenance de Maurice n’était pas conforme aux exigences de qualité requises. Alors qu’on voyait les Mahorais attendre que l’eau tombe du ciel pour boire. C’était difficile à voir et très frustrant. Le législateur doit être plus flexible sur ces problématiques de réglementation », a-t-il insisté, appelant à une plus grande ouverture pour permettre des solutions régionales face à des besoins urgents. D’après les entrepreneurs, l’un des obstacles majeurs reste ainsi la complexité des normes imposées par l’Hexagone, où les règles qui régissent l’importation de produits essentiels dans les territoires ultramarins sont souvent jugées trop contraignantes. Dans cette optique, certains suggèrent de réorganiser les circuits d’approvisionnement, en renforçant les partenariats régionaux, pour constituer une alternative plus rapide et moins coûteuse.
L’inefficacité des coûts portuaires et la compétitivité des Outre-mer
En outre, le groupe CMA-CGM a évoqué les défis liés à la compétitivité de la main-d’œuvre et aux frais portuaires, des enjeux souvent négligés dans les débats sur la vie chère. « Dans les Outre-mer, on travaille moins la nuit, on ne travaille pas ou peu le dimanche, mais dans les ports internationaux du monde, on travaille jour et nuit, même le dimanche. Il faut standardiser ces activités et avoir une main-d’œuvre compétitive », a-t-il préconisé.

Par ailleurs, selon lui, les frais portuaires dans les Outre-mer sont bien plus élevés que dans les ports étrangers, ce qui augmente considérablement le coût de l’importation. « Ces frais ont été exacerbés par la hausse des coûts de fret et de manutention depuis la pandémie Covid-19. Les frais d’affrètement des navires ont explosé, tout comme le prix de l’acier nécessaire à la construction des containers et les frais de location de containers. Tout augmente, et pourtant notre fret reste stable« , a précisé Grégory Fourcin. Selon lui, la taille limitée du marché des territoires d’Outre-mer, qui ne permet pas d’amortir ces coûts élevés, empêche une réduction effective des prix. Par exemple, dans le cas de la Polynésie, l’introduction de plus gros navires ne suffira pas à rendre le fret rentable sans trouver de nouveaux marchés. « Si je viens avec un plus gros bateau en Polynésie, au lieu de venir avec deux bateaux, je vais devoir trouver d’autres marchés régionaux pour être rentable », a-t-il expliqué.
La régionalisation : une réponse au défi économique ?
Alors que la question de la vie chère dans les Outre-mer est particulièrement complexe et multifacette, les pistes évoquées ont été celles de la régionalisation des circuits d’approvisionnement. En effet, plutôt que de se concentrer uniquement sur les importations depuis l’Hexagone, les territoires ultramarins pourraient exploiter leur position géographique pour diversifier leurs échanges avec des pays voisins, notamment dans l’océan Indien ou le Pacifique. En élargissant les sources d’approvisionnement, ces territoires pourraient non seulement réduire la pression sur les prix, mais aussi renforcer leur autonomie économique. Cette approche a été partagée par les acteurs du secteur maritime entendus lors de cette conférence, qui estiment que le modèle actuel, trop dépendant des flux en provenance de l’Hexagone, ne permet pas de répondre aux besoins spécifiques des Outre-mer. En facilitant les échanges régionaux et en simplifiant les contraintes réglementaires, les compagnies maritimes estiment qu’il serait possible de faire baisser les coûts tout en stimulant la croissance locale.
Mathilde Hangard