De nombreux obstacles entravent le développement du commerce en ligne dans les Outre-mer

Dans le cadre de ses travaux sur la vie chère en Outre-mer la délégation aux Outre-mer du Sénat a auditionné en fin de semaine dernière différents acteurs du commerce en ligne dans les territoires ultramarins. La question était de savoir pourquoi l’e-commerce y est si peu développé.

La mission vie chère en Outre-mer a pour objectif d’avancer des propositions législatives concrètes dans la perspective de l’examen au printemps prochain de la proposition de loi d’adaptation du droit des Outre-mer. Pour ce faire la délégation aux Outre-mer du Sénat auditionne depuis maintenant plusieurs semaines différents acteurs sur des thématiques comme le prix des carburants, le marché automobile, mais aussi sur le commerce en ligne. Ainsi Louis-Arthur Germon, CEO et fondateur de Dommarket (plateforme qui met en relation des vendeurs et des consommateurs) dans les DROM, Cyril Nau, fondateur et président de Isleden (distributeur), et enfin Jésus Morales, directeur marketing Outre-mer du groupe La Poste, étaient entendus par la délégation dans le cadre de ses travaux.

 Les Outre-mer, un marché trop restreint

Louis-Arthur Germon, CEO et fondateur de Dommarket

Lors de cette audition tous les intervenants ont reconnu que l’e-commerce est difficile à mettre en place dans les territoires d’Outre-mer car d’une part, « il n’est déjà pas possible d’évaluer la part de marché du commerce en ligne dans chaque territoire ultramarin. De plus, c’est un marché local qui va tout au plus de 1 à 4% du chiffres d’affaires pour les entreprises locales qui sont entrées dans l’ère de la digitalisation », explique Louis-Arthur Germon. « Or il y a peu d’entreprises locales qui ont fait le pas vers la digitalisation car cela demande un coût d’investissement conséquent pour une rentabilité insuffisante, en comparaison notamment avec l’Hexagone où il y a un marché beaucoup plus grand et une zone de chalandise plus importante », poursuit-il.

En effet, selon lui ce sont surtout les enseignes d’équipements de la maison, de bricolage, d’électroménager qui se seraient principalement digitalisées mais sans que cela soit généralisé, représentant environ de 2,5% des enseignes locales. Si l’on prend l’exemple de Mayotte il y a Mahorediscount, Ballou ou encore Kalo qui disposent notamment d’un site de commerce en ligne. A contrario, les enseignes de la grande distribution en Outre-mer ne disposent pas de site internet marchand afin de proposer leurs produits. En outre, toujours selon Louis-Arthur Germon « seuls 10% des acteurs nationaux livreraient dans les Outre-mer, et ce sont souvent les plus petits. Les territoires ultramarins ne représenteraient que 0,5 à 1% du chiffres d’affaires… ».

Des coûts de transport et de logistique trop importants

Le coût du transport maritime est un des freins au développement du e-commerce dans les Outre-mer (DR)

Par ailleurs Louis-Arthur Germon et Cyril Nau sont d’accord sur le fait qu’il y a « une complexité logistique propre aux Outre-mer et des coûts de transport conséquents ». Sans compter qu’il faut ajouter à cela les règles douanières et la concurrence internationale. « Les acteurs internationaux ont une croissance préoccupante dans les DROM… ils mènent une stratégie agressive en pratiquant notamment de la vente à perte, et qu’ils passent souvent outre des règles douanières », relève le fondateur de Dommarket. Le service après-vente est également pointé du doigt. En effet, doit-on renvoyer le produit en Hexagone s’il est en mauvais état et occasionner encore des frais de transport ? Et ce d’autant plus que l’écart des prix est déjà très significatif entre les Outre-mer et l’Hexagone, notamment dans tout ce qui est Sport, Bricolage, Pneumatique, Téléphonie, Informatique ou encore pièces automobiles. Cela nécessite donc de faire des investissements dans une chaîne logistique, selon les deux entrepreneurs.

Ainsi pour Louis-Arthur Germon, « il y a une complexité logistique des Outre-mer. Les e-commerçants doivent adapter leurs process, mettre en place des structure spécifiques… » pour une rentabilité que ne serait pas au rendez-vous, et des droits de douane, des taxes, octroi de mer, et des coûts de stockage qui seraient autant d’obstacles au développement du commerce en ligne dans les territoires ultramarins. « Il faudrait pour être rentable faire de gros volume et standardiser nos produits », raconte-t-il.

Cyril Nau, fondateur et président de Isleden (distributeur)

C’est ce que confirme en substance Cyril Nau qui considère également qu’il ne peut y avoir de chiffres fiables sur l’e-commerce en Outre-mer du fait du peu d’acteurs et des coûts trop importants de livraison. Il en veut pour preuve les grands acteurs du e-commerce que sont Amazon ou Cdiscount qui ne livrent pas en Outre-mer. « Chez Amazon, on nous indique que le produit n’est pas disponible. Cdiscount ne propose pas de livraisons. Quant à LDLC, il livre bien dans les Outre-mer mais affiche des prix hors taxes… si bien qu’une fois livré avec les droits de douane, l’octroi de mer, etc. cela augmente considérablement le prix de près de 20% et parfois même de 50%. Si les géants du e-commerce ne livrent pas c’est que c’est trop couteux et pas assez rentable à cause d’un coût d’acheminement élevé, une complexité à la fois logistique et administrative et enfin un marché trop petit et limité », estime le président de Isleden.

Quelles sont les solutions ?

On l’a sûrement tous expérimenté au moins une fois… La première solution consiste à se faire livrer le produit chez de la famille ou chez un ami en métropole et profiter d’un séjour dans l’Hexagone pour le ramener. Il y a aussi la solution de passer par un intermédiaire qui fait des commandes en gros, de tous types de produits, et se fait livrer par containers. Il est également possible de commander sur des sites comme LDLC, mais il vous en coûtera 20 à 50% plus cher. Enfin, commander chez un acteur du e-commerce local mais le nombre de produits référencés sera limité, sans compter les ruptures de stocks et les délais de réapprovisionnements…

En conséquence, l’immense majorité des acteurs du e-commerce ne livrent pas dans les territoires ultramarins, en violation du règlement européen du 28 février 2018 qui interdit le « géoblocage », alors que les plateformes chinoises, elles, vendent à perte et ne respectent pas toujours les règles douanières et fiscales de l’Union européenne, et inondent le marché ultramarin depuis quelques années. Ainsi, pour la délégation aux Outre-mer il convient donc de créer les conditions pour faire émerger des acteurs locaux du commerce en ligne afin de « proposer une expérience client avec des prix TTC transparents. À terme, ils pourraient participer à l’animation concurrentielle sur les territoires en diversifiant l’offre ou en proposant des prix plus bas désintermédiés. Pour les pouvoirs publics, l’enjeu est de simplifier les procédures douanières, notamment par une digitalisation complète, et de créer les conditions d’une offre de transport maritime ou aérien plus performante ».

B.J.

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