Un article du Monde titré « A Mayotte, les détournements de l’aide alimentaire exaspèrent la population, et mobilisent les autorités », dénonce une discrimination pratiquée par les élus en matière de distribution de denrées alimentaires et de packs d’eau. Le journaliste Jérôme Talpin a recueilli des témoignages sur place et rapporte que « les récits individuels concordent, pleins de soupçons. Les témoignages, sous le sceau de l’anonymat, décrivent des discriminations à l’encontre des sinistrés étrangers sans papiers. Ils mettent aussi en cause les agents communaux accusés de « partager entre eux une partie des denrées », ou les élus privilégiant leurs réseaux par clientélisme. Le ministre des outre-mer, Manuel Valls, comme le préfet de Mayotte admettent « s’interroger » sur le problème. »
Ce n’est pas la première fois que des élus sont ainsi pointés du doigt pour privilégier certains de leurs administrés au détriment d’une population en situation irrégulière. Plusieurs CCAS (Centres communal d’action sociale) avaient été remaniés lors de leur création pour avoir été les bras armés de maires aux approches d’élections municipales, pour des distributions pouvant passer pour des achats de voix.
Pour autant, s’ils persistent, il est impossible de généraliser ces faits sous peine de soupçonner tous les maires de ces pratiques, ce qui est faux. D’autre part, cette situation qui sème le trouble, est le fruit d’un contexte global que nous avons dénoncé depuis le début de gestion de la crise. L’aide annoncée est en décalage avec la réalité.
L’article du Monde dénonce le conditionnement de la distribution de l’aide alimentaire à une pièce d’identité, ce que plusieurs pratiquent pour l’inscription dans les écoles, dénonce régulièrement le Chambre régionale des Comptes. Une pratique mise en place dans un contexte de pénurie sur un territoire insuffisamment doté, qu’elle soit alimentaire ou en infrastructures scolaires.
Dès le 23 décembre, nous avions titré, « Chido : approvisionnement, un ‘pont’ très aéré » pour dénoncer un acheminement de l’aide au compte-goutte qui avait valu au président Macron de se faire huer lors de son déplacement à Mayotte. A la mairie de Chiconi, le 4 février, une vingtaine de bâches avaient été livrées sur les 2.000 demandées, avions nous rapporté.
Une pénurie orchestrée
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L’article du Monde a interrogé sur ce sujet Said Ibrahima Maanrifa, maire (LR) de M’Tsangamouji, qui dénonce lui aussi l’insuffisance du soutien national. « L’État parle de tonnes de produits en donnant l’impression que c’est beaucoup, mais cela masque des carences. Une tonne d’eau cela fait environ 100 packs. Je fais comment pour contenter tout le monde dans ma commune de 8 000 habitants ? Il n’y en a pas assez. Les premiers arrivés aux distributions sont les premiers servis. »
A ces difficultés pesant sur l’aide acheminée par l’Etat, s’ajoutent de gros retards de sortie du port sur la livraison habituelle de marchandises, pour des containers dont le stationnement sur les quais coute un « pognon de dingue » aux transitaires et donc aux consommateurs, comme nous l’avions rapporté. Un professionnel du port nous alertait au lendemain du ravage de Chido, « les containers arrivent mais ne sortent pas ». Les rayons des bouchers sont restés désespérément vides de nombreuses semaines avec des marchandises périmées lorsqu’elles étaient enfin extirpées du port. Des containers avaient été sortis par l’armée… héliportés, pour plus de fluidité.
On peut comprendre dès lors que le peu de marchandises arrivant sur place, qu’elle soit humanitaire à destination des populations irrégulières ou pas, soit prisée. Il faut donc aussi pointer les responsables alimentant cette « pénurie » du côté du port de Longoni, et pas seulement les élus. Si certains pratiquent des détournements, c’est bien sûr condamnable, et cela peut être signalé au procureur, mais il est injuste de mettre tout le monde dans le même panier.
Arrêt de la distribution
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Réagissant dans un communiqué ce lundi, l’Association des maires de Mayotte (AMM) dénonce « avec la plus grande fermeté » les accusations « scandaleuses » portées par l’article du Monde dans un article « à charge ». Ils consentent tout d’abord à convenir d’une « responsabilité partagée entre l’Etat, les collectivités et les différents acteurs de terrain » : « Les difficultés d’approvisionnements, les tensions sur la distribution et les besoins encore non satisfaits sont avant tout le résultat de la situation exceptionnelle crée par le cyclone et non le fruit de pratiques frauduleuses que l’article insinue de manière malveillante. »
Dans l’article, il est indiqué que le ministre des outre-mer, Manuel Valls, comme le préfet de Mayotte admettent « s’interroger » sur le problème de rupture d’acheminement , une posture « irrespectueuse », jugent les maires de Mayotte, qui annoncent se retirer de la distribution « dans le dernier kilomètre » et dès ce lundi 17 février 2025 : « Dès lors que l’Etat a fait le choix de marginaliser les élus, il lui revient d’assumer pleinement la gestion de cette crise et d’en rendre compte directement à la population. »
Ils demandent au Monde de « rectifier ses propos diffamatoires », et au préfet un changement de mode de gestion de la crise : « La levée immédiate des réquisitions sur l’eau et les autres biens essentiels, pour rétablir les circuits normaux d’approvisionnements. Une mesure qui doit être associée à un blocage sans délai du prix d’un pack d’eau qui atteint aujourd’hui le prix faramineux de 12€ le pack de 6 bouteilles et à un contrôle plus rigoureux dans les magasins et les épiceries. L’arrêt des restrictions imposées au Port de Mayotte qui freinent le redémarrage économique du territoire. Un déblocage immédiat des dotations d’urgence promises à nos collectivités et toujours pas versées deux mois après la catastrophe. »
Un problème à prendre dans sa globalité donc.
Anne Perzo-Lafond