Pour ces femmes et ces hommes au regard fatigué, pieds nus dans la boue, un sac poubelle sur la tête pour se protéger de la pluie, il est difficile de conserver un semblant de dignité humaine. Après avoir été évacués par les forces de l’ordre, lundi 3 février, de l’enceinte du collège de Kwalé, dans lequel ils avaient été placés par la préfecture le 20 janvier dernier, ces personnes, des demandeurs d’asile pour la plupart, se retrouvent laissées pour compte aux bords de la route à l’entrée de Tsoundzou 2, en pleine saison des pluies. Un traumatisme en plus qui vient s’ajouter à leurs histoires personnelles déjà marquées par l’horreur.
« C’est grave d’être traîné dans la rue »
« Ils nous ont déposés en bus dans un parc près de Passamainty sans nous donner plus d’informations », déplore Amissi, 29 ans, venu de la République démocratique du Congo (RDC). « On a passé la nuit ici sous la pluie et c’est difficile de trouver à manger et à boire », ajoute le jeune homme au tee-shirt détrempé. « On nous a dit « si on trouve une solution on vient, en attendant vous êtes dehors ». Nous sommes dépassés, leur objectif était de débarrasser le collège, c’est tout », raconte Steve, les yeux plissés après avoir retiré le sac poubelle de son visage.
Sans aucun renseignements sur les prochains jours à venir, plus de 300 personnes tentent de se préparer à survivre dans ces conditions inhumaines. Installés de façon éparse le long de la route entre Passamainty et Tsoundzou 2, les exilés, en proie aux fortes pluies, essayent de se mettre à l’abri sous des feuilles de bananiers ou des morceaux de tôles récupérés sur la zone de tri des déchets adjacente. La plupart ont pu prendre avec eux un lit de camp pliable du collège de Kwalé sur lequel ils s’allongent pour tenter de dormir quelques minutes. De temps en temps, trempés jusqu’aux os, ils lèvent les yeux et croisent le regard des automobilistes, coincés dans les embouteillages du matin, qui les observent à travers les vitres de leurs véhicules.
« Ce qu’on déplore c’est la façon dont on traite l’histoire, c’est grave qu’on soit traîné dans la rue », lance Stéphane, lui aussi venu de RDC. A côté de lui, des enfants jouent au football derrière le portail du village-relais « Etape Fuléra » de l’association Coallia, qui a permis, depuis 2021, de reloger des familles vivant dans des cases. « C’est comme si on n’avait pas les mêmes droits qu’eux ! », continue l’homme, abasourdi par la situation.
« Les publics vulnérables pris en charge »
« Conformément aux engagements gouvernementaux, le collège de Kwalé, qui n’était pas un centre d’hébergement d’urgence a été rendu à sa vocation initiale », indique la préfecture que nous avons sollicitée.
« Les public vulnérables : familles, enfants, femmes seules avec enfant(s) se sont vu proposer une solution de prise en charge », a ajouté la préfecture, qui « regarde au cas par cas » la situation des autres personnes encore dans la rue.
Du côté du collège de Kwalé, le plateau sportif et les gymnases commencent à être nettoyés. Des hommes vêtus de combinaisons blanches et de masques à gaz aspergent de désinfectant des matelas de gymnastiques. Les parents d’élèves qui étaient présents depuis le 20 janvier devant l’établissement sont partis. La rentrée scolaire des 1.600 élèves de l’établissement se fera progressivement, ce mercredi pour les 3èmes, jeudi pour les 6èmes et les 5èmes et enfin vendredi pour les 4èmes.
De retour aux abords de la nationale, un peu à l’écart de la circulation, un jeune homme étend ses habits sur un grillage dans l’espoir de les faire sécher entre deux averses. Il réajuste ensuite la position de son lit sous un abri rafistolé qui laisse passer les gouttes d’eau. Après une première nuit sous la pluie, le garçon commence à savoir dans quelle position il subit le moins les intempéries. Pour lui comme pour les autres, au milieu des arbres morts et de la végétation, les premiers automatismes s’installent. Des gestes qui risquent de devenir leur quotidien.
Victor Diwisch