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Mamoudzou
mardi 4 février 2025

Françoise Toillon nommée procureur de la République par intérim

Depuis le 27 janvier 2025, Françoise Toillon assure une délégation en qualité de procureur de la République, avant d'exercer la fonction d'avocat général à compter du mois d'avril prochain.

Ironie du sort… À quelques semaines de sa prise de fonction à Mayotte, Françoise Toillon, anciennement procureur de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Metz, nous accordait une interview vendredi 13 décembre 2024, la veille du passage du dévastateur cyclone Chido, qui transformera le 101ème département français en véritable carnage en seulement quelques heures. Malgré l’extrême violence du cyclone et ses conséquences destructrices encore visibles, la magistrate n’a pas reculé et a rejoint l’archipel de Mayotte il y a quelques jours.

Nous l’avions annoncé le 30 octobre 2024, après trois ans de chroniques judiciaires particulièrement sanglantes, l’avocat général Albert Cantinol quittait ses fonctions en décembre 2024, pour rejoindre son île natale La Martinique, laissant derrière lui, une fonction sensible, celle de représenter les intérêts d’une société mahoraise, affaiblie par la violence. Après plusieurs années en qualité de juge des enfants, puis de magistrate en charge de la criminalité organisée au parquet de Strasbourg, mais aussi comme vice-procureure générale à la cour d’appel de Colmar, et enfin procureur de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Metz, Françoise Toillon assure une délégation en qualité de procureur de la République par intérim sur le 101ème département français, avant de prendre ses fonctions d’avocat général à la chambre d’appel de Mamoudzou.

« J’ai choisi Mayotte »

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Sur les quatre bâtiments du ministère de la Justice à Mayotte, trois ont été partiellement détruits par le cyclone Chido (photographie/DR)

Le flambeau n’était pas si aisé à passer, surtout dans ce contexte. Il est surtout le fruit d’un heureux hasard. Grâce au dispositif expérimental pensé par l’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, pour renforcer les juridictions ultramarines, Françoise Toillon intègre une des brigades de magistrats pour renforcer le tribunal judiciaire de Mamoudzou de mars à août 2024. « C’était Cayenne ou Mamoudzou. J’ai choisi Mayotte », déclarait-t-elle, encore émue du chemin mené jusqu’ici. Magistrate depuis 2003, Françoise Toillon fait dès ses débuts le choix du parquet. « Mon premier poste a été au parquet de Saint-Omer, qui a toujours été mon choix premier. J’aime porter la voix de la société. On parle souvent d’accusation mais le procureur peut être aussi celui qui requiert un non-lieu ou une relaxe, il y a un enjeu juridique, avec des éléments humains plus importants. » À propos des assises, elle nous confiait : « Paradoxalement, elles ne m’ont jamais effrayées. Dès mes débuts, j’ai trouvé que c’était une justice intéressante. On juge les affaires les plus graves. Il y a beaucoup de choses qui peuvent se jouer, des surprises, des revirements. Pour moi, ce sont les plus beaux procès qui existent dans le domaine de la justice. Dans le cadre de la brigade à Mamoudzou, j’ai eu l’occasion d’aller aux assises. Quand j’ai su que ce poste d’avocat général était susceptible de se libérer, j’ai candidaté. » Lorsque nous l’interrogions sur son futur poste à la chambre d’appel de Mamoudzou, la magistrate expliquait : « L’avocat général c’est l’avocat de la société. Il fait valoir des arguments pour demander une condamnation au nom de la société qu’il représente. Par exemple, en cour d’assises, il demandera une peine qu’il estime être la plus juste en réparation du dommage causé à la société par la commission de l’infraction et pour sanctionner celui qu’il fait condamner, afin de protéger la société des risques de récidive. » 

« Ne pas tomber dans une interprétation moraliste ou outre-subjective » 

Il n’est pourtant pas si évident de défendre un ensemble de personnes hétéroclites, une cohorte à plusieurs visages. À ce propos, Françoise Toillon pondèrait son discours en exposant une des subtilités de la fonction consistant « à faire la part des choses », entre l’image d’une société que l’on souhaiterait idéale et le cadre imposé par la loi. « Cela se fait grâce à des axes, le droit et la loi, qui interviennent comme une colonne vertébrale. Oui, les magistrats du parquet ont une intime conviction mais il ne faut pas tomber dans une interprétation moraliste ou outre-subjective. Le cadre c’est la loi et la jurisprudence, et après on fait des choix. » Des mois de mars à août 2024, Françoise Toillon a été immergée dans le bain judiciaire de Mayotte, au sein d’un tribunal finalement semblable à tout autre, mais sur un territoire on ne peut plus singulier. Entre le tribunal judiciaire de Metz et le tribunal judiciaire de Mamoudzou, « c’est différent et c’est pareil, c’est cela qui est rassurant d’une part », déclarait-t-elle en plaisantant. Néanmoins, pendant six mois, elle confiait avoir été « étonnée » de l’application de certaines dispositions spécifiques du code de procédure pénale à Mayotte. La magistrate mentionnait des particularités probantes, comme le fait que la cour d’assises se compose de trois jurés, au lieu des six habituels dans d’autres cours du pays. Ces trois jurés sont d’ailleurs tirés au sort sur une « short-list », reprise à chaque session d’assises, où in fine, les mêmes jurés siègent cycliquement.

La politique pénale varie mais le droit reste identique 

Tribunal de Mamoudzou, vol avec arme, vol avec séquestration
« En termes de liberté individuelle et de réponse pénale pour les faits les plus graves nous n’avons jamais cessé de fonctionner » expliquait
Yann Le Bris, ancien procureur de la République de Mayotte, après le passage du cyclone

Si chaque territoire a ses propres caractéristiques, les justiciables ont aussi des requêtes sensiblement différentes. « En fonction du lieu où il se trouve, on peut dire que le citoyen n’attend pas la même chose parfois de la justice et la justice va être plus ou moins modulable, selon la criminalité qui existe et les moyens dont elle dispose. Par exemple, un kilo de cocaïne, à Cayenne ou à Aurillac, ne sera pas analysé de la même façon. La politique pénale est différente mais le droit pénal appliqué est identique. » Et si Françoise Toillon estimait que la justice mahoraise tenait bon malgré l’importance de la délinquance sur l’île, à Mayotte, comme au sein de certains tribunaux d’hexagone, la pratique de la « correctionnalisation ab initio » serait monnaie courante : « Si on devait renvoyer toute procédure qui commence de manière criminelle devant la cour d’assises, on ne pourrait pas, on n’aurait pas assez de juges d’instruction, pas assez d’une cour d’assises. Cette pratique ne se fait pas qu’à Mayotte, bien sûr. »

« Juger c’est comprendre »

Frappée par l’extrême jeunesse de la population mahoraise, elle estimait que le centre éducatif renforcé de l’île n’était pas suffisant et qu’un centre de redressement pour mineurs délinquants, encadré par des militaires, pourrait avoir sa place sur le territoire. « Le centre éducatif renforcé de l’île n’est pas suffisant et que la création d’un centre éducatif fermé serait souhaitable. Cette structure fonctionne bien dans l’Hexagone. Les mineurs y sont très encadrés par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Le bilan peut être qualifié de positif même si la question de la prise en charge lors de la sortie demeure problématique. » D’autre part, elle constatait que le nombre de plaintes à Mayotte était nettement inférieur à celui d’une autre juridiction, en dépit de l’importance de la délinquance et de la criminalité. « Il y a une partie immergée de la délinquance en matière de mœurs et de violences conjugales. Le taux de crimes de sang est nettement plus important à Mayotte qu’ailleurs en France. Les meurtres, les assassinats, les viols et les vols avec arme sont monnaie courante à Mayotte. Dans d’autres juridictions de l’Hexagone, on a beaucoup plus de plaintes pour viols, mais moins de vols avec arme et de crimes de sang, du moins c’est la réalité telle que je l’ai perçue », admettait-elle, avec retenue. « Quand on est magistrat, il faut intégrer que la vie et la mort n’ont pas toujours la même valeur d’un territoire à un autre. Il faut faire respecter la loi de la République bien sûr, tout en intégrant l’ensemble de ces paramètres dans la compréhension des faits, car juger c’est comprendre. On ne peut pas faire l’économie de ces aspects sociologiques et culturels. Cela n’excuse pas mais cela permet de comprendre. »

Carton plein pour la brigade mahoraise

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Après le cyclone Chido, réparer les bâtiments endommagés et fidéliser les fonctionnaires, constitue une priorité

Après avoir passé six mois au sein de cette brigade pour renforcer le tribunal judiciaire de Mamoudzou, Françoise Toillon n’en revenait toujours pas. « J’ignorais tout de Mayotte, je devais venir en renfort pour six mois et finalement j’ai été séduite par ce territoire. Cela m’a conforté dans mon choix. Ce poste d’avocat général est un avancement professionnel. Je reviens avec enthousiasme, en toute connaissance de cause », insistait-t-elle. « Je sais que ce sera un poste chargé, j’espère être à la hauteur de la tâche, mais ce ne sera pas une déconvenue. » Sur les trois brigadistes venus en renfort à Mayotte, deux autres ont accepté leur mutation sur le territoire mahorais : Ludovic Duprey, premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention, et Axelle de Laforcade, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants. « Pour la direction des services judiciaires, c’est carton plein ! », s’exclamait Françoise Toillon. À Mayotte, comme ailleurs parfois, la vida no vale nada pero nada vale la vida*. C’est sur ce tandem bouillonnant, en plein contexte de reconstruction post-Chido, que la magistrate oscillera désormais.

* Traduction de l’espagnol : La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. 

Mathilde Hangard

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