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mardi 21 janvier 2025

Ibrahim Aboubacar invite à écrire le « Pacte pour la reconstruction » de Mayotte

C’est à un recul sur l’Histoire de Mayotte depuis 2011, année de sa départementalisation qu’invite l’ancien député de Mayotte. Ibrahim Aboubacar part du constat que, depuis cette date, « Mayotte est en ébullition », en pointant un dialogue difficile avec Paris. Constatant que le discours a favorablement évolué, il appelle à un « Pacte » entre l’État, les élus de Mayotte et la société civile

Ancien député PS de Mayotte et ex-1er vice-président du Département, Ibrahim Aboubacar, avait disparu des radars politiques mahorais. Cadre d’un gros syndicat mixte de Mayotte, il reprend la plume sur un domaine qu’il maitrise, le pilotage de document stratégique. Il avait été rapporteur du Comité pour la départementalisation de Mayotte, puis, pilote du document Mayotte 2025 qui devait orchestrer la convergence vers le droit commun. C’est non sans une certaine ironie qu’il paraphrase le « Pacte pour la départementalisation », longtemps accusé d’être une coquille vide, en « Pacte pour la reconstruction » de Mayotte dans lequel il voit l’occasion de ne plus passer à côté d’un vrai travail de confiance avec les instances parisiennes.

Un « Pacte pour la reconstruction » de Mayotte

Ibrahim Aboubacar (à droite) aux côtés du président Hollande en 2014, et avec les parlementaires mahorais et Victorin Lurel

Le Cyclone CHIDO a dramatiquement ouvert pour Mayotte une nouvelle page de son histoire. A tout point de vue.

Cet événement, nous conduit d’une part à panser nos plaies immédiates et d’autre part à repenser la construction du territoire à long terme. Mon propos porte, en résumé, sur le second aspect de ce moment.

Cela fait des années qu’une sorte de dialogue de sourd s’est enkysté dans les relations entre Mayotte et la France. De la période des statuts provisoires de 1976 à 2000 après le référendum de 1975, à celle transitoire allant de 2000 à 2011 après le référendum de l’an 2000, puis jusqu’à l’ère de la départementalisation que nous vivons aujourd’hui après le referendum de 2009 : aucune de ces périodes n’a fait l’objet réellement d’un consensus entre Mayotte et Paris malgré l’expression de la volonté de la population.

La reconstruction de Mayotte ne peut pas s’engager sur les mêmes bases. Nous sommes au pied du mur, et nous devons, Paris et nous :

1-Regarder en face, la réalité de ce qui se passe à Mayotte, la même réalité, même si elle est regardée à partir de points de vue différents ;

2-Nous parler différemment, sur des bases nouvelles.

C’est ce à quoi CHIDO nous oblige. La Président de la République a fixé le cap, dans ses vœux à la Nation le 31 décembre dernier : « décider et agir avec 2050 en ligne de mire ». Le Premier Ministre a décliné la méthode dans son discours de politique générale, (qu’on peut résumer ainsi) : agir ensemble dans le dialogue, le respect, le compromis et la responsabilité.

Le défis à relever, les besoins de la population, les retards du territoire, les principales actions ou projets à réaliser pour mettre Mayotte dans la voie de la Convergence économique et sociale avec les autres  DOM et la Nation (car c’est cela notre horizon, et non le niveau de développement de nos voisins) sont connus et consignés dans de nombreux rapports : Rapports de la Cour des Comptes, dont ceux de 2016 (Lire Rapport de la cour des Comptes sur la departementalisation de Mayotte) et 2022 ; Rapports parlementaires ; expertises diverses sur tous les sujets et sur de nombreux projets. Nous n’avons plus besoin de rapports et d’études, mais d’arbitrages, de décisions et d’actes programmés et respectés dans le temps.

« Le lien de confiance entre Mayotte et Paris est au plus bas »

Bayrou, Mayotte, Chido, collège Kawéni,
« Des sujets, jusque-là tabous, sont mis sur la table par le Gouvernement »

Sur le premier point, s’agissant de la réalité de ce qui se passe à Mayotte, des choses ont bougé, et des sujets, jusque-là tabous, sont mis sur la table par le Gouvernement, il faut le reconnaître, tels la démographie, l’immigration, les bidonvilles : ce n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin sur la totalité des sujets qui fâchent, et ils sont connus, même s’ils sont difficiles à traiter.

Sur le second point s’agissant de la méthode, tout est à repenser. Il faut le dire, le lien de confiance entre Mayotte et Paris est au plus bas, le climat social et politique local, si ce n’est le contrat social lui-même, est tendu depuis plus de 10 ans : il faut trouver un chemin pour apaiser la situation. Nous ne pouvons pas continuer à ignorer que depuis 2011 Mayotte est en ébullition, et que les sujets accumulés, non traités, ont conduit la société mahoraise à réagir au moyen de COLLECTIFS, sorte de gilets jaunes permanents, qui sont le reflet de cet état de fait.

Le Premier Ministre dit vouloir apaiser la Nation, nous devons ici aussi apaiser Mayotte et rassurer les mahorais que la Nation accepte enfin de les considérer comme des français à part entière, par les actes et non les paroles (car pour les paroles la Constitution est là et se suffit à elle-même) et que l’an 2025 est véritablement un An I de son intégration véritablement acceptée dans la République. L’élan de solidarité qui s’est manifestée dans toute la France nous permet de le penser. Le contenu des actes des pouvoirs publics doit suivre.

Un « Pacte » s’impose entre l’État, les élus de Mayotte et la société civile, qui aborde tous les sujets rendant possible une reconstruction de Mayotte, avec les mahorais, dans le long terme, et permettant de mobiliser toutes les énergies du territoire dans ce dessein et de mettre tous les acteurs devant leurs responsabilités. Ce pacte doit contenir à minima :

-les bases de la reconstruction de Mayotte,

-les objectifs de convergence poursuivis dans le temps,

-les freins à lever et les moyens qu’on se donne pour les lever, qui ne seront pas que législatifs.

-les impératifs de bonne gestion et de bonne gouvernance du territoire à tous les échelons (les rapports de la Cour des Comptes et de la CRC synthétisent cela).

L’enjeu est simplement l’intégrité du territoire, c’est-à-dire, la pérennité de la présence de Mayotte dans la France, non pas par extinction de la volonté des mahorais, mais par une situation de fait rendant impossible sa gouvernance par les principes fondamentaux de la République.

« Faire vivre les idéaux de la République »

Les mahorais sont attachés à ces principes et ces valeurs :

-La Liberté, au nom de laquelle elle a marqué son attachement à la France depuis 1841, de diverses manières. Celle-ci n’a de sens que si la sûreté est garantie sur l’île.

-l’Égalité, pour laquelle nous regrettons de nous la voir appliquée de manière sélective, et trop souvent dans une acception défavorable aux intérêts de la population qui vit dans ce territoire : et nous regrettons amèrement que le Conseil Constitutionnel (et le Conseil d’Etat) ait accepté et entériné une interprétation de cette valeur qui rend impossible la recherche d’une égalité réelle pour les citoyens français vivant à Mayotte (et d’ailleurs plus généralement outre-mer). Et qui aboutit à accepter que des français vivent, à tous points de vue, avec un niveau de vie au tiers de celui de la Nation, sans émouvoir personne à Paris, pendant qu’on rechigne à légiférer, au nom de cette même égalité, sur les actes permettant de garantir la sécurité sur le territoire.

-La fraternité, dont les mahorais font preuve tous les jours, eux qui subissent plus de 50 % d’étrangers sur leur sol, des écoles publiques accueillant plus de 50 % d’enfants étrangers, un système de soins conçu pour accueillir presque gratuitement plus de 50 % de patients étrangers, et tout cela sans brocher ou presque. En recevant par-dessus le marché des leçons de tolérance par certains qui n’accepteraient chez eux un dixième de ce qui se passe ici. Là encore, aucun sujet ne doit être tabou et notamment la complicité de ceux qui à Mayotte, par leurs actes aggravent cette situation.

AME, AMU, Sénat, Gérald Darmanin, Mayotte, dispensaires, vaccination,
« Un système de soins à 50% tourné vers les patients étrangers »

Ce que Mayotte demande à la France, c’est de se donner les moyens collectivement de faire vivre les idéaux de la République sur cette terre française, puisqu’ils sont universels, pour la sûreté des personnes, pour l’école, pour l’asile, pour les soins aux plus démunis, pour la protection des mineurs, pour l’accès au logement. Les mahorais ne refusent pas cela : ils disent que ce fardeau est trop lourd à porter sur ce territoire, le plus pauvre de France, de 374 km2, où, il y a 20 ans, vivaient moins de 200 000 habitants, chiffre inconnu aujourd’hui.

Les chemins et moyens pour y parvenir pourront être discutés de façon apaisée par la suite. Le Gouvernement propose le chemin « Mayotte debout ». Ce n’est pas le sujet de ce post d’en commenter le contenu, sauf à dire quelques mots.

Il semble articulé autour de trois moments :

-La remise en route immédiate du territoire après les dégâts des cyclones : c’est en cours ;

-La reconstruction à court terme, à l’identique ou presque de ce qui est détruit : semble-t-il d’ici 2027 ;

-La reconstruction à long terme : quel horizon retient-on ?

Les outils législatifs mobilisés sont la « Loi spéciale Mayotte » en cours d’examen et la « Loi de Programme » annoncée pour dans trois mois. Il est nécessaire, pour le débat public, et l’appropriation des outils qui seront contenus dans ces deux textes, que les objectifs et le périmètre de chacun d’eux soient clairement définis, afin que leurs contenus correspondent à leur objectif. Afin d’éviter que les débats ne se chevauchent et finissent par jeter la confusion.

Ces deux textes doivent être parachevés, le moment venu, d’ici juin, par un « Pacte pour la reconstruction de Mayotte », qui scelle la volonté commune de l’Etat, des élus de Mayotte et de la Société civile pour l’avenir de ce territoire : afin que chacun puisse continuer désormais à agir à sa place.

Le chemin sera long, difficile, mais nous arriverons à bon port d’autant plus sûrement que nous aurons évité les faux débats et les faux semblants, et ils sont nombreux, et que nous aurons choisi les outils, stables, permettant à tout instant de mobiliser aux maximum les énergies du territoire.

Par Ibrahim ABOUBACAR

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