L’arrivée de François Bayrou et d’une forte délégation ministérielle dont trois connaissent bien Mayotte, est à saluer, mais va être vue à Mayotte comme une visite supplémentaire. Alors que l’Etat a laissé depuis des années ce territoire à l’abandon, laissant filer les consommations de contrats de convergence, dont il est impossible de connaitre la consommation du dernier de 1,6 milliard d’euros, et de fonds européens, va-t-il faire mieux dans la reconstruction d’un territoire dévasté ? Comment ne pas comprendre la colère d’habitants qui vivaient des services publics saturés avant le cyclone Chido, et en sous inégalités de prestations sociales, lorsqu’ils entendent un président de la République leur répondre, « Si c’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ! » ?
L’état des lieux d’avant Chido n’a aucun caractère subjectif, il suffit de se rappeler le verdict de la Cour des comptes d’une « départementalisation rapide, mal préparée et mal pilotée », c’était en 2016. On pourrait penser que les choses se sont améliorées depuis, mais l’indicateur qui mesure la richesse d’un territoire, le PIB par habitant, reste très inférieur au niveau national, puisqu’en 2022, il se monte à 10.300 euros, soit 26% du PIB par habitant en France. L’augmentation globale du PIB de 8,4% est en effet diluée par la forte augmentation de la population qui ne contribue pas au développement du territoire.
Mayotte, le territoire aux 50%
Et d’autres indicateurs continuent à maintenir la tête des habitants sous l’eau comme le niveau des retraites bloqué à 50% du national alors que non contributives, contrairement aux cotisations sociales, qui sont également de moitié du national. Mayotte est le seul département où règne une telle inégalité, sous prétexte d’un risque d’appel d’air, alors que les arrivées de kwassa de migrants en provenance d’Anjouan ne cessent pas, 50% de la population est étrangère. La Guyane, pourtant également terre de migrations, n’est pas soumise à ce dictat inégalitaire.
Les annonces successives de plans de relance, de contrats de convergence n’ont pas été concluantes, mais les élites parisiano-centrées conservent la même méthode d’un management de services de l’État inefficaces sur place, alors que leurs représentants s’envolent tous les deux ans vers un avenir meilleur. Personne ne rend de comptes, laissant une population de plus en plus amère. Des suggestions sont émises par de nombreuses études, cour des comptes, Délégation sénatoriale aux outre-mer, mais il semble qu’un cloisonnement des cerveaux soit accepté, sans connexion avec les décideurs.
Il suffit de lire les mesures prises par le gouvernement Bayrou pour soulager le monde économique, où on parle de report de paiement de l’impôt. Or faute d’activité sur un territoire classé en état de calamité naturelle exceptionnelle, il faudrait les annuler. D’autre part, l’État doit s’engager à payer ses dettes auprès des entreprises sinistrées.
Transformer la loi Urgence en loi Mayotte ?
Ancien député LR de Mayotte, Mansour Kamardine salue la visite des 5 ministres et voit dans cette opportunité « l’occasion de se projeter dans l’avenir et de mieux calibrer la loi de reconstruction de Mayotte ». Nous avons évoqué les contours de la proposition de loi Urgence pour Mayotte centrée sur la reconstruction de l’habitat et des établissements détruits. Pour l’ancien élu, l’échec est déjà là, avec des cases en tôle remontées « à vitesse grand V » ouvrant de nouveau un risque maximum à une nouvelle catastrophe humanitaire en cas de nouveau cyclone dont la saison ne fait que commencer. Rappelons que notre premier article post-Chido el 16 décembre « Chido ou la plongée dans le fantasmé risque cyclonique à Mayotte » invitait à importer massivement des bétonnières à Mayotte pour anticiper toute nouvelle formation de bidonville.
De cette loi Urgence, Mansour Kamardine souhaiterait que le gouvernement profite pour donner naissance à la loi Mayotte attendue depuis 3 ans, en intégrant un volet développement structurel, « 3ème retenue collinaire, grand port maritime, piste longue à aéroport, contournement de Mamoudzou, base navale, patrouilleur outre-mer, université, 2ème centre de rétention administrative, 2ème prison, 2ème hôpital, palais de Justice, un volet égalité sociale comme mentionné plus haut, sans quoi, cela « signerait l’hypocrisie de la démarche en maintenant durablement les Français de Mayotte dans une pauvreté économique et sociale durable », et un volet de renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine, « la suppression du droit du sol et du titre de séjour territorialisé à Mayotte sont d’ardentes nécessités. »
François Bayrou doit donc aller bien au-delà d’un simple cochage de cases des actions d’urgence annoncées par Emmanuel Macron lors de sa visite il y a dix jours mais doit apporter un changement de méthode s’il veut que la population croie dans son discours, et ne pas se retrouver dans la position fragile du président de la République face à des habitants qui demandent des comptes.
Anne Perzo-Lafond