Le conseil départemental avait rempli son hémicycle de spécialiste de la question des violences envers les femmes pour la Journée internationale qui leur est dédiée. Organisées en partenariat avec le Centre d’information sur le droit des femmes et des familles (CIDFF) et la communauté d’agglomération Dembéni Mamoudzou (CADEMA) les tables rondes sur les moyens de comprendre, repérer, et agir en milieu professionnel contre les violences sexistes et sexuelles, et sur les mesures concrètes pour prévenir et agir face à ces violences, entraient dans le vif du sujet. Et ceci grâce à la présence de nombreux expertes et experts du domaine. Les échanges se basaient sur des exemples concrets.
En particulier, la difficulté d’appliquer les décisions de justice. « Quand la juge émet une ordonnance de protection contre une femme victime de violences, on a du mal à la faire appliquer, nous n’avons pas les moyens de la mettre en place », déploraient plusieurs assistantes sociales. Notamment, pour rendre effectifs la prise en charge des enfants et le versement de la pension alimentaire. « Quand le père a l’autorisation de voir ses enfants, soit il est obligé de se rendre au domicile de la mère, et les violences recommencent alors que l’ordonnance de protection lui en interdit l’approche, soit il fait un chantage en disant que les conditions ne lui plaisent pas, et qu’il verra si l’enfant veut bien le voir chez lui à sa majorité. Du coup, on se retrouve avec des femmes seules avec leurs enfants, et sans moyens. » Il était admis que les grands-parents pouvaient être un bon lien de médiation.
« Une meilleure articulation des acteurs »
Mais les institutions doivent aussi faire leur mea culpa et proposer des solutions. C’est dans ce sens qu’une représentante de l’ARS Mayotte rapportait que les femmes victimes de violences étaient accueillies au CHM, « mais les professionnels de santé qui recueillent la parole disent qu’ils ne savent pas comment réorienter les victimes. » D’un commun accord les intervenants estimaient qu’il fallait « une articulation des espaces justice – institutions – milieux associatifs ».
Comme en écho, le gouvernement annonçait ce lundi l’extension du dispositif permettant aux femmes victimes de violences sexuelles de déposer plainte dans un hôpital doté d’un service d’urgences ou de gynécologie. La liste s’allonge à 377 hôpitaux, il faut espérer que malgré son déficit en ressources humaines, le CHM en soit.
Un coordinateur CLSPD (Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance), détaché du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, acteur de l’insertion des personnes condamnées) invitait à se soucier davantage des enfants témoins des scènes de violences, « ils sont aussi des victimes. Ils voient la violence comme moyen d’échange entre parents, ils le feront à leur tour. Je sais qu’il y a des actions dans les écoles, mais il faut cibler l’ensemble du territoire par des clips animés comme il y en a eu sur la télé sur les violences contre les bacoco (personnes âgées), et les diffuser sur les réseaux sociaux. »
Pas d’obligation de soins en prison
Des enfants, il en fut beaucoup question lors des échanges. Adultes en devenir, ne pas reproduire impose de mieux les informer estime Saïrati Assimakou, présidente de l’association Souboutou Ouhedze Jilaho, « Ose libérer ta parole », dans une intervention forte et très applaudie : « Beaucoup de femmes comme d’hommes nous disent, ‘on ne peut pas apprendre à nos enfants ce que nous n’avons jamais appris’. Il faut dire aux enfants que papi, aussi gentil soit-il, n’a pas le droit de mettre sa main dans la culotte du ou sur les seins de sa petite fille. On a normalisé l’horreur qui se répète. On demande à nos enfants d’avoir la capacité de comprendre ce que nous refusons de nommer en invoquant la culture ou la religion. Et quand le drame arrive, c’est trop tard ! Nous ne faisons que réparer des adultes cassés », dit-elle en présentant une BD sur le sujet, « Lakinta et le secret d’oiseau ». Il s’agit de faire prendre conscience le plus tôt possible de la notion de consentement pour que les femmes cassent la spirale infernale de leur position de victime.
En France, la volonté d’accompagner également les auteurs des violences a fait son chemin, « car ce qu’un homme a fait à une femme, il va le recommencer sur d’autres », expliquait un homme dans l’assistance. Bonne nouvelle, l’association Mlézi Maore en partenariat avec la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) met en place le Centre de Prise en Charge des Auteurs de violences conjugales (CPCA) dans les jours à venir.
On apprenait à cette occasion de la bouche du détaché du SPIP que malgré un jugement ordonnant une obligation de soins, en détention, « un prévenu peut refuser de s’y soumettre », une aberration, « ça ne favorise pas sa remise en question », jugeait-il.
Alors que les colloques sur la question se multiplient, et que l’Organisation des Nations unies (ONU) publiait ce 25 novembre le nombre de 85.000 femmes et jeunes filles ayant perdu la vie sur la seule année 2023 à travers le monde, « victimes de la violence de leurs proches en raison de leur sexe », dont 119 morts violentes au sein du couple recensées en France par les services de police et unités de gendarmerie, il serait bon de mettre en place à Mayotte une sorte de comité unique où toutes ces problématiques pourraient être remontées et des solutions trouvées dans l’urgence.
Anne Perzo-Lafond