Lors des 25èmes Journées nationales d’infectiologie (JNI) à Deauville du 12 au 14 juin derniers, la dengue était au cœur des échanges qui ont été riches. Parmi les thématiques discutées, l’augmentation des cas de dengue en France hexagonale, les principales mesures de lutte anti-vectorielle et les risques des arboviroses sur certains sujets tels que les femmes enceintes ont été abordés. Mais surtout, l’entrée d’un nouveau vaccin sur le marché.
Il s’agit du vaccin TAK-003 (Qdenga), le seul vaccin actif contre la dengue disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe. En France, sa commercialisation nécessite au préalable d’avoir été encadrée par une série de recommandations du comité technique des vaccinations (CTV) et de la Haute Autorité de santé (HAS). À ce stade, les autorités sanitaires n’ont pas encore rendu leur avis. Si le TAK-003 pourrait être un nouvel outil de lutte contre la dengue, la saga sur la recherche de vaccin contre ce type de maladie vectorielle est ancienne et semée d’embûches.
Le précédent vaccin n’avait pas été recommandé en France
En janvier 2019, une stratégie de vaccination contre la dengue avait été définie pour le vaccin Dengvaxia (CYD-TDV). Dès son déploiement, il y avait eu une polémique entre le gouvernement des Philippines et le fabricant du vaccin, où les autorités philippines accusaient le fabricant d’avoir causé plusieurs centaines de morts chez des enfants lors d’une vaste opération de vaccination contre la maladie (800.000 enfants avaient été vaccinés)*.
En France, le Dengvaxia avait obtenu une autorisation de mise sur le marché européen le 12 décembre 2018 et pouvait être administré uniquement pour des personnes âgées de 9 à 45 ans, qui avaient déjà eu la dengue, et dont l’infection ancienne était confirmée biologiquement avant l’administration dudit vaccin. Son utilisation était alors relativement restrictive et supposait des capacités de dépistage très conséquentes. En 2019, la HAS refusa de recommander l’utilisation de Dengvaxia sur l’île de La Réunion et à Mayotte malgré plusieurs épidémies sur ces îles de l’océan Indien, notamment en raison du caractère « endémique » de la dengue non fondé sur ces territoires d’après l’autorité de santé. Ces recommandations avaient été réitérées dans un avis de la Haute Autorité de santé, le 30 juin 2022.
La HAS prépare son avis
Suite à l’autorisation de mise sur le marché du vaccin de Takeda par la Commission européenne le 5 décembre 2022, la Direction générale de la santé (DGS) a saisi la HAS pour que l’évaluation du vaccin TAK-003 soit réalisée en fonction de l’ge, du statut immunitaire et des comorbidités des sujets. La DGS a également demandé à ce que les recommandations en attente couvrent l’Hexagone et les départements et régions d’Outre-mer (DROM). Le 10 mai 2024, le vaccin TAK-003 a été pré-qualifié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), marquant ainsi une étape importante dans l’élargissement de l’accès mondial aux vaccins, en ce que cela permet leur achat par les organisations du système des Nations unies, telles que l’Unicef et l’Organisation panaméricaine de la santé.
Des essais efficaces
Désormais, le vaccin TAK-003 attire tous les regards. À la différence du vaccin Dengvaxia de Sanofi, TAK-003 utilise un virus de la dengue de « sérotype 2 atténué » comme base, et non le virus de la fièvre jaune atténué. À ce stade, des premiers essais sur des publics jeunes d’Asie et d’Amérique latine, à forte activité endémique, ont été concluants. Pour empêcher des patients de tomber malades, 18 mois après les deux injections de vaccination nécessaires, 80,2% en moyenne des sujets ont été protégés. Chez les personnes séronégatives vis-à-vis de la dengue, l’efficacité était en moyenne de 66,2%. Celle-ci varie en fonction du sérotype, allant de 95% pour DENV-2 à 48,9% pour DENV-3. Cinq ans après la première injection, cette efficacité globale était encore de 61,2% en moyenne. 18 mois après la deuxième dose, l’efficacité vaccinale au sujet du risque d’hospitalisation a été évalué à 90,4%. Pour l’heure, aucun effet indésirable grave n’a été rapporté dans les différentes publications, à l’exception de 16 cas d’anaphylaxie au Brésil, dont 3 chocs anaphylactiques.
Le dépistage sérologique pré-vaccinal n’est plus nécessaire
Bonne nouvelle pour les jeunes. L’OMS a recommandé d’utiliser le TAK-003 chez les enfants âgés de 6 à 16 ans dans les zones de transmissions élevées de la dengue. Le vaccin doit être administré 1 à 2 ans avant l’âge correspondant au pic incident d’hospitalisations. Une vaccination de rattrapage peut être envisagée pour d’autres groupes d’âge notamment les 6-16 ans et les personnes ayant des comorbidités. Aussi à la différence du précédent vaccin, le Dengvaxia, pour l’administration du TAK-003 le dépistage sérologique pré-vaccinal, n’est pas recommandé dans l’autorité de mise sur le marché européen.
Des divergences au sein de la communauté médicale
Actuellement, des études complémentaires sont menées par le laboratoire Takeda pour vérifier l’efficacité du vaccin contre les sérotypes 3 et 4 chez des individus n’ayant pas eu la dengue précédemment. Chez les personnes qui vivent dans des pays où la dengue n’est pas endémique et qui ont déjà été infectées par l’un des 4 sérotypes du virus à la suite d’un voyage, la vaccination par le TAK-003 peut être utile pour prévenir une deuxième infection. La protection débute 14 jours après la première dose. Entre les recommandations belges, suisses, allemandes, espagnoles, des divergences existent sur l’administration de ce vaccin sur des personnes qui auraient contracté ou non la dengue dans leur passé. En Belgique et en Suisse par exemple, les autorités sanitaires estiment qu’avoir déjà eu la dengue est une condition pour l’administration d’un vaccin qui protégerait des autres stéréotypes de dengue. En Allemagne, un patient qui n’aurait pas eu la dengue précédemment, pourrait se voir administrer ce vaccin pour ce prémunir de la maladie. À ce stade, les autorités françaises n’ont pas encore rendu leur avis.
Ainsi, des questions restent encore en suspens face à l’éventuelle administration de ce vaccin contre la dengue. À ce stade, la maladie reste un danger de santé publique majeur. Chaque année, entre 100 et 400 millions de cas de dengue sont recensés dans le monde. En 2023, 2.300 décès ont été rapportés par l’OMS. En France, dès les premiers mois de l’année 2024, le nombre de cas autochtones et importés de dengue a atteint des records historiques.
*Fear, mistrust, and vaccine hesitancy: Narratives of the dengue vaccine controversy in the Philippines, V.G Yu, 2021
Mathilde Hangard