« El pueblo salva al pueblo »*. Au sein du quartier des Rivières des Manguiers 2 à Passamainty, des dizaines de familles résident. Comme tous les quartiers chapeautés par la société immobilière de Mayotte (SIM), les maisons sont reconnaissables à leur couleur jaune, beige ou marron, construites sur le même style architectural, faisant ressortir les briques et des varangues en bois, permettant parfois d’avoir des vues imprenables sur le lagon. Mais derrière l’apparence d’un quartier au sein duquel il ferait bon vivre, se cache une toute autre réalité.
Un « qui-vive » permanent
Agression en sortant de leur domicile, vol à leur arrivée dans la résidence, caillassage lorsqu’ils sont en scooter, cambriolage de leur maison, ces événements indésirables n’ont eu de cesse de se multiplier au fil du temps. Pour résister, les habitants du quartier réunis sein de l’association « Les résidents de Rivière des Manguiers 2 », échangent chaque jour sur des groupes téléphoniques via WhatsApp, l’un dédié aux activités courantes du quartier, l’autre consacré à la sécurité de la résidence. « Au départ, c’était plutôt un groupe pour se donner des meubles, se prêter du matériel de bricolage, ou pour les coupures d’eau, mais c’est l’insécurité qui a pris le dessus. Quand il y a eu les tentatives d’intrusion dans un des chalets en bois, les voisins sont tous allés en même temps vers le chalet pour faire déguerpir les voleurs. », explique un résident.
Sur ces groupes WhatsApp, à n’importe quelle heure du jour comme de la nuit, on peut lire ces messages : « Agression à la machette à 15h alors que je rangeais mon scooter »; « Un jeune s’est introduit dans un domicile au Manguier 1 hier et a agressé le fils de la dame qui était absente à ce moment-là »; « Bonjour, tentative de cambriolage sur le chalet du fond. Soyez vigilants. On a appelé la police, on préviendra les gardiens. » Pourtant, malgré la vigilance des voisins et le travail de surveillance mené chaque jour par les gardiens, les agressions demeurent fréquentes. Pour les familles qui ne veulent pas céder à ce climat de peur et de méfiance tous azimuts, difficile de faire abstraction de la réalité. Alors qu’ils étaient absents, deux jeunes hommes du quartier ont été cambriolés. « Le bardage a été démonté, ils ont fait un trou dans le mur. Merci pour votre aide pour sécuriser la maison. », avait déclaré une des victimes.
Éclairer et clôturer
Accablés, les membres du collectif du quartier rédigent un courrier adressé au directeur de la gestion locative de la SIM, Philippe Messelier, en prenant soin de mettre en copie la Direction Territoriale de la Police Nationale (DTPN), le Commandement de la Gendarmerie de Mayotte (COMGENDYT), et le directeur général des services de la Mairie de Mamoudzou, Philippe Ramon. Dans cette lettre, les résidents n’y vont pas par quatre chemins. Aux autorités, ils font part de leur « inquiétude quant à l’insécurité dans la résidence et aux intrusions répétitives qui se sont accentuées ces dernières semaines. » Les résidents expliquent que les tentatives d’intrusion, « notifiées à la gendarmerie et à la Brigade Anti Criminalité », ont été « facilitées par les failles et trous dans la clôture ainsi que l’absence d’éclairage dans la majeure partie de la résidence ». Urgemment, les habitants implorent au directeur de la SIM, l’installation d’un système d’éclairage « des zones plongées dans le noir » pour « faciliter la veille, la vigilance et le travail des gardiens payés par les résidents », ainsi que la réparation et « le renforcement des clôtures », notamment au niveau des deux flancs de la résidence, dont ils précisent que ces flancs, « sont souvent attaqués par les assaillants. »
« Le nombre fait la force »
Conscients de la gravité des enjeux, les résidents du quartier précisent que l’objectif de leurs intentions n’est pas de se faire justice eux-mêmes mais de « donner l’alerte au plus tôt » aux autorités compétentes. « Le groupe des voisins permet d’avoir un sentiment de sécurité supplémentaire. C’est un relai, pour appeler la police ou les secours au plus tôt, pour renforcer nos moyens. Le nombre fait la force », déclarent des habitants.
Cette solidarité va jusqu’à intervenir directement auprès des gardiens en cas de problème. « Les gardiens sont là pour avertir les habitants du quartier d’un éventuel danger, d’une tentative de vol ou d’une intrusion. Même s’ils peuvent tenter de mettre en fuite les personnes mal intentionnées, ils ne doivent pas rester seuls face à elles. C’est surtout leur présence et notre vigilance qui les dissuadent. » Le collectif des résidents préconise à l’ensemble des foyers de se procurer un sifflet. « Quand un gardien identifie un problème imminent, il siffle pour avertir les habitants du quartier. Toutes les personnes présentes qui ont entendu l’appel doivent allumer les lumières. Si l’incident arrive pendant la nuit, sortir rapidement, siffler et rejoindre les gardiens. Même s’il est pénible de sortir du lit en pleine nuit, il faut le faire, on ne laisse pas les gardiens seuls. »
Dans ce contexte d’insécurité à Mayotte, de nombreux partis pris politiques ont transformé la solidarité en un sentiment nationaliste et identitaire, tout en appelant à une gestion plus répressive de la crise sécuritaire avec la mobilisation de forces armées. Depuis, ces actes se poursuivent, sans nette amélioration des conditions de vie des habitants. « On s’est peut-être trompé, on a loupé quelque chose, et plus j’avance, moins je comprends », confie un ancien habitant de Mayotte. À Passamaïnty, un habitant, récemment victime d’un cambriolage, confie : « Si quelqu’un nous dit vous n’avez qu’à déménager, je ne pense pas que c’est la bonne solution le déménagement c’est donner raison aux voleurs, sans chercher de solution, diluer les membres du quartier et mettre en danger ceux qui restent. »
*Le peuple sauve le peuple, slogan de solidarité relayé lors des « inondations du siècle » à Valence, en Espagne, le 30 octobre 2024.
Mathilde Hangard