Dimanche 3 novembre, notre rédaction a reçu une lettre anonyme rédigée par un professionnel de santé du CHM, dans laquelle les conditions de travail des infirmiers sont décriées.
Dès les premières lignes, le cadre est posé comme tel. Rédigé à la première personne à la manière d’une charte ou d’un contrat, la lettre dresse un état des lieux des conditions d’exercice au Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) des infirmiers non originaires de Mayotte : « Mesdames, messieurs. Si je vous envoie cette lettre ouverte aujourd’hui, c’est pour vous dresser un état des lieux et fournir le ressenti de l’exercice au Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) pour les infirmier(e)s non originaires de Mayotte. »
« Une vacuité des compétences médicales »
Service par service, la lettre charge d’abord le service des ressources humaines de l’hôpital, qui est présenté comme défaillant : « Les réponses tardent à venir. Souvent, il arrive que je ne reçoive pas de réponse à des questionnements ou à des sollicitations. Quand je reçois une réponse, il arrive qu’elle n’ait pas de rapport et qu’elle n’apporte rien à ma problématique initiale. » Au sein du service de néonatalogie, l’écrit reflète des problèmes médicaux dus à un manque de ressource médicale, où des internes pallieraient au manque de ressource médicale : « Les problèmes d’ordre médicaux sont flagrants avec des internes étrangers livrés à eux-mêmes en néonatologie, ce qui rend difficile leur apprentissage. Nous rappelons qu’un interne en médecine est encore étudiant et que sa pratique est sous supervision directe d’un médecin senior. » Dans ce contexte d’ « insuffisance médicale », les infirmiers réaliseraient des actes purement médicaux, ne relevant pas de leur compétence.
Négligence, « prise en charge maltraitante » et « parfois mortifère »
Désabusé, l’infirmier dénonce une « gestion catastrophique de la douleur et des soins palliatifs » sur des patients, et notamment sur les nouveaux-nés hospitalisés en néonatalogie : « Travailler en néonatalogie est devenir complice d’une prise en charge maltraitante et parfois mortifère. Le tout, couvert par une partie de l’encadrement et la chefferie médicale du service. » La nuit serait un couloir sans appel où les infirmiers seraient seuls, livrés à eux-mêmes, quand d’autres professionnels de santé seraient dans les bras de Morphée : « La nuit, dans l’ensemble de ces services, je serai régulièrement seul à travailler, mes collègues se reposant de 00H à 06H. »
Une différence de traitement entre les Mzungus, les Mahorais et les Comoriens ?
Pourtant si l’écrit se veut « factuel et non politisé », une dizaine de lignes s’attardent à dénoncer « un racisme décomplexé » entre les agents issus de différentes origines. Dans cette lettre, l’infirmier non-originaire de Mayotte fait état de moqueries de la part des professionnels d’origine mahoraise à l’égard des métropolitains : « Régulièrement, j’entendrais les agents parler en Shimaoré juste à côté de moi et utiliser le mot « Mzungu », définissant la personne blanche européenne. On parlera de moi, ou de mon groupe d’appartenance, sans que je puisse comprendre les propos et en rigolant de mon incompréhension. » Les patients comoriens seraient également les réceptacles d’un racisme pratiqué à outrance à leur égard : « Je vais être confronté à un racisme décomplexé d’agents locaux envers les parents Comoriens en situation régulière ou irrégulière mais aussi envers certains agents comme moi, non Mahorais. Ce racisme amène l’absence d’esprit d’équipe et de coopération. » Une différence de traitement entre les infirmiers formés à Mayotte et ceux formés dans l’Hexagone est également dénoncée : « Il faut savoir aussi que les IDE (Infirmier Diplômé d’État) Mahorais ayant été formés et/ou ayant travaillés dans l’Hexagone reçoivent également un accueil dégradé. Certain(e)s se sentent mal à l’aise et sont poussé(e)s à quitter les services ou même encore l’île. » À cette addition chargée, bien que cela ne constitue pas une spécificité mahoraise, l’auteur ajoute et signale un manque criant de médecins, une absence de matériel et des difficultés de prise en charge, au sein de l’hôpital public.
Mais à qui s’adresse-t-elle ?
Derrière le destinataire se cache une « institution », qualifiée de « véritable machine à broyer », en précisant que « s’ils (ndlr : les infirmiers) ne se confondent pas dans le moule, ils finissent par partir avec pertes et fracas », en stipulant « ce n’est pas grave ! Le CHM pense pouvoir toujours compter sur la solidarité nationale… ». La lettre parle de « précédents appels à l’aide » sans réponse. Interrogées, la direction du CHM et la direction de l’ARS n’ont pas souhaité commenter ce contenu, dont « la source n’est pas vérifié et donc crédible », selon elles.
Mathilde Hangard