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Sous tutelle de Paris et isolés au sein de régions sous-développées, quel avenir pour les Outre-mer ?

Y a-t-il une fatalité des Outre-mer français ? A la fois en retard de développement sur l’Hexagone, et privés d’échanges avec les pays avoisinants. A la croisée de plusieurs actualités illustrant l’incapacité des Outre-mer à se sortir de leur bourbier économique, le site Vie-publique propose une réflexion intéressante sur les raisons historiques, dont le système dit "de l’Exclusif", et sur l’inapplication des mesures annoncées.

Le site Vie-publique est réalisé par la Direction de l’information légale et administrative (DILA), rattachée aux services du Premier ministre, qui gère aussi les sites Légifrance et Service-public.fr. Son objectif est de donner les clés pour comprendre les politiques publiques, les grands débats qui animent la société et le contexte international.

Alors que la Martinique se mobilise une nouvelle fois contre la cherté de la vie, et que la Délégation outre-mer au Sénat mettait le mois dernier l’accent sur l’ancrage territorial des DOM comme préalable au développement, c’est aussi ce constat que fait Vie-publique non sans glisser quelques vérités. On comprend mieux le fil à la patte des Outre-mer avec la métropole, une dépendance historique sans autonomie de décision régionale. Le « riche parmi les pauvres, et pauvre parmi les riches » de l’ancien directeur de l’INSEE Mayotte, Jamel Mekkaoui, sonne toujours comme une vérité.

C’est à peine s’il est utile de rappeler comme il est fait mention, les inégalités entre les DOM et l’Hexagone, à ceci près que cette fois, Mayotte a toute sa place. Si on imagine aisément que La Réunion a l’œil rivé sur la métropole, Mayotte quant à elle doit viser un rattrapage au moins sur les autres DOM, et on en est loin. En matière de niveau de vie, la moyenne nationale du PIB (Produit Intérieur Brut) par habitant qui est de 38.775 euros en 2022, dégringole à 24.663 euros à La Réunion et 11.579 euros, le plus faible, à Mayotte. On sait de la bouche du directeur national de l’IEDOM que les prix de l’alimentaire chez nous sont 30% plus cher qu’au national. Le chômage y bat tous les records, 34% mais près de 50% en comptant tous les inactifs en âge de travailler, contre 7,2% en France hexagonale. A mettre en lien avec un taux de difficulté de lecture chez les 16-25 ans de 55,7% à Mayotte, 51% en Guyane, contre 11,2% sur l’ensemble de la France. La pauvreté que vivent 77% des Mahorais induit un taux de mortalité infantile également bien supérieur, puisque près de 9 nourrissons sur 1.000 y décèdent, contre presque 4 en France hexagonale.

L’eau potable, emblème du sous-investissement

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L’ex-ministre des Outre-mer, Philippe Vigier, s’interrogeait sur le retard des travaux qui auraient dû être menés en matière d’eau potable à Mayotte

Une fois dépeint ce tableau, force est de constater qu’il est à relier à un déficit d’investissements. Pourtant, selon Vie publique qui se base sur un rapport de  la Cour des comptes de mai 2022, l’Etat ferait de plus en plus d’efforts avec « un budget de la mission outre-mer de 22 milliards d’euros en 2023, en augmentation de 11% ». Mais le site ne va pas jusqu’au bout des conclusions des magistrats de la Cour des comptes qui pointent une sous-consommation de la part des Outre-mer, attribuée à un déficit d’ingénierie à combler. On peut aussi mettre en cause une certaine catégorie d’élus dépourvus de volonté politique pour leur territoire, mais par contre, plutôt nantis quand il s’agit de leur intérêt personnel, on l’a vu à Mayotte sur l’eau.

Nous ne sommes pas seuls à souffrir d’un sous-investissement. Si « 31,7% de la population n’a pas accès à l’eau courante dans son logement à Mayotte, entre 15% et 20% de la population de Guyane n’a pas accès à l’eau alors que le territoire dispose de la troisième réserve d’eau du monde ». Et un habitant sur deux de La Réunion ne peut pas boire l’eau du robinet car non potable, indique l’étude. La crise hydrique de Mayotte avec distribution de bouteilles et tours d’eau est dument mentionnée. Le sous-investissement concernant la fibre optique et le logement est aussi pointé.

Une litanie des inégalités qu’il devient fatiguant de répéter. Les Etats généraux des Outre-mer qui faisaient suite aux mouvements sociaux de 2009 avaient été prolixes en mesures… notamment sur la cherté de la vie, « beaucoup restent toutefois inappliquées », souligne l’étude. On nous promet toujours l’égalité à horizons lointains, sans résultats probants, « les habitants des DOM continuent de vivre des conditions de pauvreté plus fortes que dans l’Hexagone ».

Obligation de commercer avec la métropole

Seulement 0,7% des importations viennent de la région océan Indien

Crédits non consommés, mesures non appliquées… de plus en plus d’élus nationaux préconisent donc de laisser une large autonomie au DOM pour un meilleur ancrage territorial vecteur d’échanges économiques avec les pays de la région.

Mais le site nous apprend qu’il va falloir pour cela revenir sur un accord historique. En effet, si plus des deux tiers des échanges commerciaux se font avec l’Hexagone*, c’est en raison d’un « héritage du système économique colonial dit ‘de l’Exclusif’ : les territoires étaient soumis à une obligation de commerce exclusif avec l’Hexagone et lui fournissaient matières premières agricoles ou minières tout en servant de débouchés à ses produits industriels ». Un échange pas vraiment « gagnant-gagnant ».

Ces territoires restaient sous perfusion d’aides, « une compensation des handicaps structurels par le biais d’outils d’intervention spécifiques pour soutenir la croissance et réduire les écarts de développement ou les baisses de charges sociales avec notamment ». Il s’agit de la défiscalisation, de l’octroi de mer, des sur-rémunérations (indemnités éloignement, congés bonifiés, uniquement pour les fonctionnaires).

Alors que, comme le dit l’étude, « l’éloignement de ces économies insulaires aurait dû inciter à produire sur place plutôt qu’à importer. » Sous dépendance, elles n’y étaient pas incitées, limitant les secteurs économiques productifs à l’agriculture, le tourisme, ou le bâtiment grâce à la défiscalisation.

Un développement grâce au soleil exactement

Encourager les petites installations photovoltaïques

Pourtant, la solution à l’étroitesse des territoires qui freine le développement des filières faute de débouchés, se trouve dans la région immédiate qui ne demande qu’à consommer. « La recherche d’une meilleure insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional est identifiée comme un des principaux leviers de leur croissance durable, riche en emplois et garante d’effets économiques et sociaux bénéfiques. La production locale serait une réponse pertinente à la crise du pouvoir d’achat ». Il faut pour cela, comme l’ont démontré les sénateurs, que Mayotte puisse intégrer l’organisation régionale qu’est la COI. Il faut aussi viser les autres organes spécifiquement africains.

Autre niche, le développement durable visant l’indépendance énergétique. Là aussi, l’éloignement avec la métropole a plombé le dynamisme. Alors qu’en 2017, un arrêté tarifaire photovoltaïque relatif aux Outre-mer impliquait l’obligation de rachat par EDF de l’électricité produite par les particuliers, il n’y avait plus rien depuis. Le dernier arrêté vient d’être publié en janvier 2024. Et les atouts ne manquent pas pour favoriser une énergie non fossile : solaire, géothermie, éolien, biomasse, qu’il faut encourager.

Loin de plomber le moral face à une inaction parisienne, l’étude met en avant des pistes pour sortir de cette logique de mesures avancées au lendemain des crises mais partiellement appliquées. D’avantage d’autonomie pour que les Outre-mer trouvent les outils propres à leur développement avec les ressources régionales, ce qui n’empêche pas d’en contrôler l’effectivité, semble une piste nouvelle, et moins couteuse pour l’Etat dans un contexte de budget contraint.

Anne Perzo-Lafond

 *Seulement 0,7% des importations à La Réunion et à Mayotte viennent de la région selon le rapport sénatorial

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