La question du statut des cadis au sein des institutions mahoraises n’en finit plus de faire débat. Depuis l’ordonnance du 3 juin 2010, ces « juges musulmans », qui rendaient autrefois la justice à Mayotte sur la base du Mihadj, un code religieux venu de Damas et datant du 13ème siècle, n’ont plus de rôle juridique officiel. Seule la justice républicaine est appliquée depuis cette date sur l’île aux parfums. Mais la réalité est plus complexe que cela puisqu’ils gardent un rôle « officieux » important et de nombreux Mahorais viennent encore les consulter. Le poids de la tradition étant encore très important, cela explique sans doute que les cadis continuent actuellement d’être salariés du Conseil départemental, d’autant plus que la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne s’applique pas à Mayotte. C’est en effet le décret Mandel du 16 janvier 1939 qui régit le Culte dans les Outre-mer et permet à l’Etat de continuer à le financer. En outre, tant que les Mahorais n’ont pas fait la démarche de renoncer devant la justice à leur statut personnel de droit local, il continue à s’appliquer et à être transmis à leurs enfants.
Le souci majeur est néanmoins qu’aux yeux des lois républicaines, le conseil cadial n’est pas reconnu. « L’administration coloniale mise en place en 1841 avait gardé les cadis au sein de l’administration française de Mayotte. Mais cette information n’a jamais vraiment été rapportée au niveau national ce qui fait que les parlementaires ne sont pas au courant des particularités religieuses de Mayotte », explique Askandari Allaoui, le chef de service de la délégation de Mayotte à Paris, chargé du projet d’autonomisation du conseil cadial par le président Ben Issa Ousseni. Cette autonomisation permettrait de séparer le conseil cadial du Conseil départemental tout en lui redonnant une valeur légale.
Créer un espace de dialogue
Le colloque de ces dimanche et lundi avait donc, entre autres, pour objet de réunir les dirigeants des différents courants religieux de Mayotte afin de créer un espace de dialogue. Pour réfléchir à la place des cadis au sein des institutions mahoraises, certes, mais pas uniquement, puisque de nombreux points ont été abordés au cours de ces 2 jours comme la question de la laïcité, du mariage ou encore du pèlerinage à la Mecque. « L’ Alsace-Moselle a réussi à créer sa propre définition de la laïcité, alors qu’à Mayotte, on laisse le Rectorat donner une définition unique de ce concept », a expliqué Askandari Allaoui. « Le défi est de concilier les exigences des institutions républicaines avec la loi islamique dans un contexte laïque », a-t-il ajouté.
Pour les cadis, comme pour un grand nombre d’élus mahorais, il serait impensable que le conseil cadial disparaisse des institutions mahoraises. Il est cependant nécessaire de le séparer du Conseil départemental étant donné sa dimension religieuse. Trois options ont donc été discutées lors de ce colloque : soit conserver le statu quo, mais avec un changement de fond, soit créer une structure autonome en s’appuyant sur le décret Mandel, soit créer un établissement public du Culte comme il en existe en Alsace-Moselle. « Cette dernière option serait la solution idéale pour Mayotte, mais cela ne pourra se faire qu’à long terme car cette solution implique de passer par une législation du Parlement. En outre, le droit local à Mayotte est un droit personnel qui ne peut pas être appliqué au département », détaille le chef de projet.
Si les débats ont bien avancé au cours de ce colloque, il faudra sans doute encore du temps avant que la question de la place des cadis au sein des institutions mahoraises ne soit réellement enfin clarifiée.
N.G