Les cerveaux commencent à vraiment s’échauffer chez les défenseurs de l’environnement. Les brûlis qui reviennent chaque année à la fin de l’hiver austral et au début du printemps, font l’objet de toujours plus de communication, sans effet probant. C’est en tout cas ce que constate Ali Madi, président de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE). « Le week-end dernier, il y a eu un feu à Chirongui, près du terrain de foot, là où sont entreposées les carcasses de voitures, et encore un autre à proximité du terrain agricole de Dani Salim. On note vraiment une recrudescence des feux de broussailles et de leur ampleur. »
Les brûlis sont pratiqués pour désherber et préparer la terre aux plantations de printemps, mais ils sont destructeurs sur plusieurs plans : la biodiversité, ils ne laissent que de la terre brute, ravinées, les padzas, qui empêchent les pluies de s’infiltrer dans le sol, « nos forêts partent en fumée, nous privant d’oxygène et du pouvoir fixateur de nuages ».
Ce qu’il déplore, c’est l’intention de nuire : « Dans les années 80, ces pratiques culturelles étaient sous-documentées. Maintenant, nous connaissons les nuisances. Ceux qui vont chasser le tenrec, nos hérissons locaux, mettent le feu pour les faire sortir et avoir un accès facile au terrier. C’est devenu un commerce. » Il dénonce aussi certaines pratiques agricoles, « ceux qui soit-disant cultivent la terre profitent de la fin de journée pour mettre le feu sans être attrapés, ils continuent à défier la règlementation et la justice. Pourtant, on voit la fumée, on sait de quelle parcelle elle provient ».
« Les bambous explosaient »
La FMAE a saisi de nombreuses fois la justice, indique Ali Madi, « c’est en cours, mais on se demande ce que font les agents de la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt et du Conseil départemental ! ». On sait que leur nombre est insuffisant pour couvrir le territoire qui perd peu à peu ses surfaces boisées sous la pression démographique.
Nous avons contacté Dani Salim, ex-président de la Chambre d’agriculture, toujours en exercice et qui possède une parcelle agricole entre Ouangani et Tsingoni. Il se dit effaré : « Une grosse parcelle à côté de la mienne est partie en fumée le week-end dernier, environ 2 hectares. Lorsque je suis arrivée, le feu était partout, on entendait des explosions, c’était les bambous qui éclataient sous l’effet de la chaleur. J’ai appelé les pompiers qui ont pu éteindre mais une grande partie était détruite. Il s’agit de propriétés privées où la plupart du temps, il y a des occupants, et dans lesquelles les propriétaires n’osent plus intervenir pour les chasser. Les services de l’Etat ne sévissent pas assez. »
Les deux hommes font le parallèle avec le Comité de suivi de la ressource en eau qui a été réactivé, « mais là, on perd des centaines de litres à éteindre ces feux, et la conséquence, c’est que les prochaines pluies vont ruisseler dans le lagon au lieu de s’infiltrer ».
Les pompiers en interventions quotidienne sur brûlis
Nous avons contacté le Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) qui évoque des interventions quotidiennes actuellement. « En ce moment, nous sommes appelés tous les jours pour des feux de broussailles non maitrisés », rapporte le commandant Sulimane Mdere, qui était de permanence, « ils ne sont pas de grande ampleur habituellement, sauf celui de Chirongui en début de semaine, où 8 hectares sont partis en fumée. En plus, c’est souvent difficilement accessible pour les camions, donc on y va en marchant, on arrose les lisières. La plupart du temps, ce sont des personnes qui sont arrivées sur un terrain, qui veulent faire de la culture sur brûlis, et qui sont dépassés ».
Ali Madi demande que soit mis en place un dispositif « aussi efficace que pour les tortues au niveau des alertes ». Justement, Mayotte Nature environnement a créé il y a un an le dispositif les « Sentinelles de la nature », réactivé, avec une plateforme où chacun peut renseigner un témoignage d’atteinte environnementale. Il suffit de télécharger l’application Sentinelles de la Nature, disponible sur Android et iOS. Il est aussi possible de créer un compte sur le site internet. « Il faudrait pouvoir le faire anonymement par peur des représailles », souligne-t-il.
En 2020, dans une lettre ouverte, le Comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) alertait sur la déforestation à Mayotte, en indiquant que notre département a subi entre 2011 et 2016, un défrichement de 6,7 %, « 1.400 hectares de terres boisées ont disparu, amenant Mayotte à un taux de déforestation annuel de 1,2%, similaire à ceux de l’Argentine ou de l’Indonésie ».
Une vigilance plus approfondie doit absolument être déployée surtout dans la perspective de l’arrivée du printemps austral.
Anne Perzo-Lafond