Le volet océan Indien du rapport sénatorial en forme de question « La coopération régionale : clé d’avenir pour les Outre-mer ? », donne une large part à Mayotte. C’est ce qui devrait donner un nouvel attrait au sujet, puisque le thème de l’ancrage des DOM dans leurs bassins régionaux a été de multiples fois énoncé. Les rapporteurs ont rencontré plus d’une centaine de responsables et socio-professionnels à Paris, Mayotte, La Réunion, Maurice et Marseille, pour rédiger ce texte présenté à la Délégation sénatoriale aux Outre-mer ce mardi. Nous avions d’ailleurs pu les interroger lors de leur visite à Mayotte en mai 2024.
Ce mardi soir au Sénat, d’emblée Micheline Jacques, présidente de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, évoque un « bilan mitigé » : « Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises sont moyennement intégrées dans leur bassin océan Indien. Il faut donc changer d’approche car cela peut leur apporter des réponses prometteuses, ne serait-ce que sur une meilleure alimentation à meilleur prix. »
Il y a malgré tout eu des avancées récentes, soulignait Stéphane Demilly, sénateur Centriste, et un des rapporteurs, « la nomination d’un conseiller diplomatique du préfet », dont il sera dit plus tard qu’il est sous doté en moyen humain, « la signature de la mesure 54 du CIOM » (Comité Interministériel des Outre-mer), qui associe les territoires ultramarins à la politique étrangère de la France, et permet la création d’un Comité d’intégration régionale de Mayotte (CIRM), en partenariat avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ou encore, « l’Interreg Canal du Mozambique qui se monte à 73 millions d’euros sur la période ».
Les États de la région frileux sur le contentieux
Mais la décentralisation se fait encore trop timidement jugent les sénateurs, notamment à la COI, la Commission océan Indien, qui regroupe les Comores, la France au titre de La Réunion, Madagascar, Maurice et les Seychelles : « Pourtant, la France ne donne pas mandat à La Réunion pour l’y représenter, c’est alors facile pour des pays comme la Chine, la Russie, l’Azerbaïdjan d’en profiter pour déstabiliser. »
De la place de Mayotte dans la région et notamment dans la COI, il fut très abondamment question, notamment par le sénateur Georges Patient : « La contestation de l’appartenance de Mayotte à la France nuit à la coopération régionale et est utilisée par les pays rivaux pour affaiblir l’influence de la France dans la région. Face au mur comorien, il y a deux choix : entamer un bras de fer avec durcissement des positions, ou bien, la stratégie des petits pas pour ancrer peu à peu l’appartenance de Mayotte aux projets régionaux. C’est cette deuxième proposition que nous préconisons. » Une sorte de preuve par neuf, pour démontrer la souveraineté française, on participe à ses programmes. Il livre deux raisons à ce choix : « l’irrédentisme* fondateur de l’Union des Comores, et l’aversion des États de la région de s’immiscer dans le contentieux entre la France et les Comores. » Il appelle à intégrer dans ce cadre les autorités mahoraises aux décisions en matière de coopération régionale, « l’ambiguïté coloniale ne sera jamais aussi bien combattue que par les Mahorais eux-mêmes ».
L’ambiguïté cultivée à tous les étages
En matière d’ambiguïté, les sujets sont légion sur ce thème de Mayotte française, soulignait Christian Cambon, sénateur LR, également co-rapporteur du texte. Et elle est alimentée par l’hyper centralisation parisienne, tendait-il à démontrer. Partant du constat que pour lutter contre la vie chère, l’acheminement des produits alimentaires coûterait moins cher depuis la région, il déplorait que « seulement 0,7% des importations à La Réunion et à Mayotte viennent de ces territoires ». Et enchaînait : « Sur le plan politique, on a l’impression que tout doit passer par Paris, où les dossiers sont parfois gérés par des gens qui n’ont jamais mis les pieds sur ces territoires ultramarins, alors qu’on a les compétences sur place. Résultat, des pays en profitent pour activer des menaces de déstabilisation, des tentatives d’ingérence. Le forum de Bakou du mois dernier est à ce sujet un exemple, qui a été le lieu de la contestation anti-française. Les dirigeants comoriens en profitent en participant à ces réunions et en venant en même temps chercher des subsides à Paris, cultivant l’ambiguïté ».
Le JDM a pu poser une question sur une ambiguïté à plusieurs facettes, en interrogeant les sénateurs sur l’objectif poursuivi par les autorités françaises qui veulent ménager la souveraineté française à Mayotte en même temps que la maitrise des hydrocarbures et ressources halieutiques dans le sous-sol comorien. C’est Christian Cambon qui nous répondait en appelant à tuer l’ambiguïté : « Les ressources pétrolières perturbent beaucoup les relations internationales, il faut davantage de cohérence dans nos politiques étrangères, il faut que la souveraineté domine. » S’il dit comprendre que les Comores aient besoin d’aides, et sur ce sujet rappelons que des milliards ont déjà été déversés sans amélioration concrète pour les habitants, le sénateur demande que de la part des dirigeants français, « il n’y ait pas deux discours ».
20 propositions
Il faut parvenir à éviter ces pièges et développer la coopération régionale en ancrant Mayotte et La Réunion dans leur bassin océan Indien. Pour cela, le rapport émet 20 propositions, autour de 4 axes : Faire des territoires ultramarins des chefs de file de leurs échanges économiques pour lutter contre la vie chère, « à l’image de l’accord sur le fourage entre Mayotte et Madagascar », améliorer la connectivité, à la fois sur le plan de l’aérien en favorisant l’implantation de compagnies aériennes, « il y en a 4 à Mayotte et 20 à Maurice ! » et sur le plan maritime, « en modernisant le port de Longoni », et avec une demande de mise en place d’un paquet législatif RUP pour lister et modifier les règlements empêchant l’intégration économique dans la région, bâtir une diplomatie des Outre-mer en créant une Direction de coopération régionale des Outre-mer avec une présidence tournante entre les collectivités régionales, et enfin, assoir la souveraineté française à Mayotte ce qui « ouvrirait les possibilités de coopération régionale de ce département ».
« Ouvrez la fenêtre, laissez ces territoires mieux s’auto-administrer ! », interpellaient les sénateurs.
Les prochains volets de cette thématique seront consacrés au bassin Atlantique, puis à la Nouvelle Calédonie.
Anne Perzo-Lafond
*Mouvement nationaliste réclamant l’annexion des territoires où vivent des nationaux sous domination étrangère