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Mamoudzou

Navettes CADEMA : privilégier la population active, une fausse bonne idée pour Mohamed Hamissi

La décision de prioriser une partie des usagers sur un transport en commun public a fait réagir Mohamed Hamissi, spécialiste mobilité. Une décision qui va à l’encontre de la loi qui prévoit l’égalité des citoyens dans le droit au transport.

« Il n’y a plus de place, attendez la prochaine ! » Pas possible, l’heure d’embauche n’attend pas, et les nombreux automobilistes qui ont entendu ce verdict se sont résolus à prendre leur voiture. Le résultat ne se compte pas en minute, mais en heure, selon les responsables de la CADEMA, « alors que le trajet du parking d’Hajangua au centre commercial Carrefour était de 1h20 chaque matin au début de la mise en place des navettes, il est aujourd’hui de près de 2h20 », déploraient-ils devant les médias ce lundi matin aux aurores. Une seule solution pour eux, privilégier les automobilistes, donc la population active, dans l’accès aux bus gratuits de la CADEMA. Un raisonnement purement mathématique qui n’a rien à voir avec le concept de transport en commun public, reproche Mohamed Hamissi, spécialiste mobilité, qui fut, faut-il le rappeler, lauréat des Talents européens de la mobilité. Et coup de bol, il travaille sur le territoire, donc consultable à l’envi.

Parfois réticent à s’exprimer de peur d’endosser le rôle du moralisateur, la décision de la CADEMA de fournir des « cartes professionnelles » uniquement à la population active, l’a incité encore une fois à rappeler la règlementation en vigueur. « Le droit aux transports publics, appelé maintenant droit à la mobilité, est garanti par la loi, c’est le droit qu’a toute personne, y compris celle dont la mobilité est réduite ou souffrant d’un handicap, de se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens, donc quel que soit l’âge, le revenu, et le motif de déplacement. Une égalité des citoyens qui est constitutionnelle. »

Les navettes CADEMA sont-elles un transport public ?

Chaque matin des centaines de personnes font la queue en attendant d’avoir une place dans les navettes gratuites de la CADEMA

Bien sûr, la diminution des embouteillages c’est l’objectif d’un réseau de transport en commun public, mais « organisé », c’est-à-dire avec réflexion sur le nombre de personnes à transporter, leurs habitudes, l’anticipation de la croissance de la population, etc. En réalité, les navettes ont répondu à une urgence, celle de l’engorgement provoqué par les travaux du chantier Caribus, et nous en avons toujours souligné la réactivité. En un week-end, le projet fut monté dans l’urgence, mais il aurait fallu que cela soit accompagné d’une réflexion sur les sujets que nous évoquons sous peine de se mettre hors la loi et/ou de voir grimper les coûts d’exploitation.

« Attention aux mesures discriminatoires provoquant une inégalité d’accès aux navettes. Quand on dit, ‘vous ne travaillez pas, donc vous ne pouvez pas monter,’ c’est une atteinte aux droits. Aux droits des demandeurs d’emploi par exemple, aux malades, aux handicapés non actifs, etc. En réalité, on dit que ce sont les 27% des plus aisés qui ont une voiture qui ont le droit aux navettes gratuites ! C’est une exclusion sociale qui peut mener à un sentiment de frustration et on a vu où ça pouvait mener en termes de dégradation de bus… »

Ou alors, il ne s’agit pas d’un transport public. Mais si c’est le cas, Mohamed Hamissi appelle encore une fois à mener une enquête sur les populations susceptibles d’emprunter ces navettes, afin d’adapter l’offre à la demande, or, c’est l’inverse qui a été fait. « Une fois qu’on a déterminé le volume et la qualité de la demande, on peut livrer des propositions, bus, vélo, desserte maritime, etc. » Et augmenter le nombre de navettes aux heures de pointe comme veut le faire la CADEMA.

L’obligation mobilité des entreprises de plus de 50 salariés

Les navettes avaient été mises en place pour résorber les embouteillages créés par le chantier de Caribus

De plus, une grande partie de la population de l’île vient travailler à Mamoudzou, ce qui engendre trois constats chez le spécialiste mobilité : « D’abord, la CADEMA ne peut résoudre à elle seule cette convergence vers son territoire, ce qui appelle des mesures coordonnées avec les autres collectivités » comme nous l’avons indiqué dans un autre article, « ensuite, rêver d’un Mamoudzou sans voitures est illusoire, ou alors ce sera un chef-lieu administratif, enfin, si on veut détourner les 15.000 automobilistes qui y gravitent le matin et le soir, il faut multiplier les parkings-relais pour les voitures, et donc dégager beaucoup de foncier. »

D’autant que lorsqu’on réfléchit, le potentiel à venir ne se compte pas seulement en croissance démographique, « bien sûr, il faut prendre en compte l’augmentation de la population, mais aussi, une autre donnée, celle des scolaires. Pour l’instant, il y a des bus de ramassage dont la CADEMA a transféré la compétence au Conseil départemental, mais lorsque le transport en commun Caribus sera créé, est-ce que la CADEMA aura intérêt à conserver deux services en interne à son territoire, par exemple sur l’axe Doujani-lycée des Lumières ? Pas sûr. » Dans les grandes villes de métropole, les élèves utilisent les transports en commun.

Comme à son habitude, Mohamed Hamissi livre des solutions. « Il faut cibler la partie des salariés qui travaillent dans des entreprises de plus de 50 salariés parmi ceux que veut capter la CADEMA avec ses cartes professionnelles. Car elles sont obligées d’intégrer le transport domicile-travail auprès de leurs employés, ou, à défaut, mettre en place un plan de mobilité employeurs. »

Multiplier les navettes est une des solutions, mais pas sans réflexion d’ensemble

Il appelle également les collectivités comme le Conseil départemental, la mairie de Mamoudzou, la CADEMA, à être exemplaires, « notamment sur la mise en place du covoiturage pour leurs agents. »

Proposer des solutions alternatives à la voiture, c’est bien, mais en trouvant un juste équilibre : « Comme je l’ai dit, on ne peut pas exclure complètement les voitures sous peine de voir partir le monde économique. Or, ce sont les entreprises de plus de 11 salariés qui financent le Caribus. Leur départ pour la périphérie, Koungou ou Combani, serait un manque à gagner terrible ».

A moins que ces navettes ne soient pas un service public, il faut donc se garder de prendre des décisions hors-la-loi en privilégiant la population active, ce qui pourrait inciter ceux qui en sont exclus à se procurer des voitures, ce qui serait contreproductif,… ou à trouver un emploi ?!

Anne Perzo-Lafond

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