C’est une histoire malheureusement classique à Mayotte qu’a eu à juger le tribunal de Mamoudzou ce vendredi 9 août. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, un groupe d’une vingtaine de jeunes du village de Kani-Bé se sont rendus à Kani-kéli pour « se venger » des jeunes de ce dernier village, venus les affronter quelques heures plus tôt. Lourdement armés (ils étaient munis de machettes, cailloux et barres de fer), ils ont débarqué dans le village voisin, mais, ne trouvant pas leurs assaillants, ils s’en sont pris « gratuitement » à un jeune mineur de 15 ans qui ne faisait que « passer par là ». Plusieurs témoins ont reconnu les 3 assaillants, permettant à la gendarmerie de les arrêter et de les traduire en justice vendredi dernier en comparution immédiate. Le mineur a été grièvement blessé à coups de machettes, coups de poing et de pied et laissé pour mort sur le trottoir. Les secours sont heureusement arrivés à temps pour le sauver, mais il a néanmoins eu 60 jours d’ITT (Incapacité totale de travail), témoignant de la gravité de ses blessures.
Comme si cet acte de violence gratuite ne suffisait pas, l’un des prévenus a également menacé une autre personne du village en brandissant sa machette devant lui et les trois prévenus ont placé des poubelles enflammées sur la route pour empêcher l’arrivée des gendarmes avant de prendre la fuite. Commis dans le cadre des « guerres de villages » qui gangrènent l’île, l’originalité dans cette affaire est le profil des prévenus : tous sont de nationalité française, sont issus « de bonnes familles de Mayotte » et 2 d’entre eux sont même diplômés d’un BTS. Alors, comment expliquer qu’ils aient cédé à cette spirale de violence alors même qu’ils ont « toutes les cartes en main » pour réussir dans la vie ? C’est la question que s’est posée le tribunal ce vendredi, mais sans parvenir à obtenir de réponse satisfaisante. Cette flambée de violence n’a semblé provenir de nulle part…
« Vous êtes plus coupables que les autres »
Si les trois prévenus ont été jugés en même temps, leur degré de culpabilité n’était pas identique. Le dénommé B. a été le plus violent dans l’histoire en prenant l’initiative de l’agression du jeune mineur, assisté ensuite de son comparse K. Quant à F., il s’est contenté d’assister à la scène sans intervenir, le rendant coupable également aux yeux de la justice. L’ironie du sort est que B., celui qui s’est acharné avec le plus de violence sur le mineur, est le leader d’un groupe de rap dont les textes prônent justement…un apaisement des violences entre jeunes à Mayotte et le retour à la paix ! Une dichotomie que n’ont pas manqué de relever le président du tribunal, Clément Le Bideau, et surtout la substitut du procureur, Françoise Toillon. « Votre discours lisse et positif contraste avec l’acte de violence extrême que vous avez commis », a-t-elle déclaré. Jugeant également que, vivant dans de bonnes conditions, entouré d’une famille aimante et détenteur d’un BTS, B. était « plus coupable que les autres ». Par « les autres », elle entendait évidemment les jeunes sans famille vivant dans des conditions de grande précarité.
Une réflexion qu’ont partagé le président du tribunal et ses assesseurs. A la fin de l’interrogatoire de B., l’un d’entre eux a même avoué « n’avoir toujours pas compris » ce qui avait poussé B. à commettre cet acte de violence. Le jeune homme lui-même ne semblait pas avoir la réponse et s’est contenté d’évoquer « un effet de groupe » et « un ras-le-bol » des violences l’ayant conduit paradoxalement à en perpétrer lui-même. Un paradoxe qui a laissé le tribunal dubitatif…
Malgré les regrets et les excuses prononcés par les prévenus, ainsi que les efforts de leurs avocats pour plaider « la clémence », étant donné que leurs 3 clients avaient tous un casier judiciaire vierge jusqu’à présent, le tribunal a choisi de prononcer des peines de prison ferme à leur égard, suivant presque exactement les réquisitions du ministère public. Ainsi, le dénommé B. a été condamné à 5 ans de prison dont 2 ans avec sursis probatoire, K. à 2 ans dont 1 an avec sursis, et F. à 1 an dont six mois avec sursis. Un maintien en détention a été prononcé pour B. et K. Les 3 coupables ont également pour obligation d’indemniser la victime pour les dommages qu’elle a subis.
N.G