Nous y sommes. Après plusieurs années d’étude, l’ARS et le Conseil départemental ont déposé un appel à projet pour la création d’un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) de 80 places sur le territoire de Mayotte. Ce sont ainsi 20 places en accueil de jour et 10 places en hébergement temporaire qui sont prévues.
Si Mayotte est le plus jeune département de France, les jeunes générations vieilliront dans quelques temps et le moins que l’on puisse dire, c’est que le département n’est pas tout à fait prêt à accompagner et soigner ces futures personnes âgées, qui gagnent en longévité.
Une ouverture en deux étapes
Attelée à la construction de ce projet depuis plusieurs années, l’ARS veut mettre les bouchées doubles pour ce projet. L’objectif : permettre l’ouverture de 80 places médicalisées, en deux phases progressives de montée en charge, avec 40 places chacune, sur le modèle des unités de petite taille en métropole. Mais ce n’est pas tout. Le projet intègre également trois autres types de prise en charge complémentaires aux 80 places du futur EHPAD, en proposant 10 places d’hébergement temporaire, un pôle d’activités et de soins adaptés (PASA) pour l’accueil de résidents atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie neuro-dégénérative, et 20 places en accueil de jour pour les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de pathologies apparentées.
Un centre pour les personnes âgées mais pas seulement
Pour les autorités sanitaires, si le projet concerne prioritairement un public âgé, il répond aussi à un besoin d’accompagner des personnes en perte d’autonomie. Un large public est visé, puisque toutes les personnes âgées atteintes de la maladie Alzheimer, d’une maladie neurodégénérative ou apparentée, et les personnes handicapées vieillissantes de 50 ans et plus, sont éligibles à une prise en charge dans le futur EHPAD. L’ARS et le Conseil départemental estiment que le territoire a besoin d’un établissement proposant un cadre « pérenne de vie au sein de l’établissement ou une solution provisoire pour les personnes dont le retour ou le maintien à domicile est rendu temporairement impossible. »
Lutter contre l’exil et l’isolement des anciens
Si le lieu d’implantation est encore inconnu, ce qui est sûr, c’est que le futur EHPAD sera à Mayotte. Les autorités sanitaires et sociales espèrent ainsi lutter contre l’exil des personnes âgées vers d’autres structures de soins de La Réunion ou de la métropole, ou leur isolement à leur domicile à Mayotte. Les candidats de cet appel à projet devront présenter « un ou deux sites » dans leur dossier et exposer « les caractéristiques pour cette ou ces implantation(s) », ainsi que « les conditions principales du projet de bail ou de construction. » D’après l’ARS, les premiers résidents pourraient être accueillis d’ici 2035. Et si le premier coup de pioche est encore loin d’être donné, les projections fusent autour du futur établissement. Un grand bâtiment de forme ronde ou carrée, où tous les services et pièces communes seraient disposés au centre, et où les chambres seront installées à raison d’une dizaine par aile, est d’ores-et-déjà imaginé.
Répondre à l’absence d’une « filière gériatrique »
Si la « culture EHPAD » n’est pas ancrée à Mayotte, les autorités sanitaires sont formelles : ce projet d’EHPAD est « nécessaire ». Actuellement, il n’existe aucune place pour les personnes âgées au sein d’une institution, ni de filière gériatrique dans le système hospitalier. Plus qu’un établissement, c’est donc tout un parcours de soins que le département va devoir créer, en formant des personnels qualifiés, pour ces métiers bien spécifiques.
Accompagner les aînés tout en respectant la tradition, un défi culturel
Encore aujourd’hui, à Mayotte, placer ses parents en EHPAD est perçu comme une honte. S’occuper de ses ainés fait partie des traditions, ce n’est pas un choix, c’est un devoir, pratiqué depuis des générations, réitéré par les générations suivantes. Néanmoins, des changements sont d’ores-et-déjà visibles. La mondialisation a changé les rapports aux autres. Les nouvelles technologies ont fait irruption dans l’intimité de la population, en délaissant la parole et l’écoute. Dans ce contexte, certaines personnes âgées, auparavant plus entourées, qui tenaient une place importante dans la famille, en racontant des contes et des histoires, se sont parfois retrouvées délaissées.
« Je n’ai pas le temps toujours d’aller voir ma grand-mère (…) elle est dans le Nord, elle est malade, mon frère y va parfois avec sa femme (…) avant on vivait tous ensemble, mais depuis il fallait que je travaille (…) le soir aussi le Nord c’est compliqué de sortir pour les jeunes », témoigne un homme de 28 ans. Si certaines personnes âgées ont des soins à domicile, ce n’est pas le cas de toutes, et nombreux sont les ainés qui vivent dans des endroits inadaptés à leur situation. « Je peux culpabiliser de laisser ma grand-mère à cause du travail (…) elle n’a plus toute sa tête », ajoute le jeune homme. Pour lui, la création d’un EHPAD à Mayotte serait une bonne chose car il serait rassuré de savoir que sa grand-mère est bien prise en charge et entourée. Lorsque nous lui demandons s’il ressentirait de la honte à placer sa grand-mère dans un EHPAD, il rétorque : « Non pas de honte s’il est beau, ce serait un cadeau, car là sa maison est en train de se casser, elle vit un peu dans le noir, c’est pas très convenable. »
Si ce genre d’initiative est louable, elle n’est pas au goût de tout le monde et le scandale du groupe Orpea, en métropole, avait fait couler beaucoup d’encre. Le défi est donc de taille à Mayotte où les dossiers des candidats de ce premier projet d’EHPAD pour le territoire devront imaginer un système de soins respectueux des traditions.
Mathilde Hangard