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Assises : la thèse d’un assassinat gratuit pèse dans la balance de la justice

Depuis deux jours, sept accusés comparaissent devant la cour d’assises, pour avoir assassiné un adolescent de 13 ans et demi, le 24 janvier 2021. Ils se renvoient la balle sans assumer, sous le joug d'un chef dont le cynique ébranlait la cour.

Des « grands » menteurs, sans courage face à la cour 

Le deuxième jour de ce procès s’est ouvert dans un mauvais esprit, comme à une partie de tennis, où plusieurs accusés se renvoyaient la balle sur leurs actions le jour où un collégien de Dzaoudzi avait été assassiné froidement, dans un banga, dimanche 24 janvier 2021. L’un des accusés insista sur sa décompensation psychique après les faits ayant entraîné son hospitalisation pour se dédouaner de toute responsabilité, un autre accusé déclara ne pas savoir pourquoi il était accusé et pourquoi ses co-accusés l’avaient inculpé, mais aucun des sept n’expliquera pourquoi cet adolescent de 13 ans et demi au moment des faits, a été assassiné gratuitement alors qu’il ne faisait partie d’aucune bande. 

Les magistrats ont eu du pain sur la planche, à éplucher toutes les déclarations des accusés, qui se contredisaient et niaient leur responsabilité dans les faits

Lorsque la Présidente de la cour proclama : « Faut-il faire l’inventaire de toutes les pièces ? De toutes les auditions ? J’ai tout mon temps! », à un des accusés, dénommé « Elvé », face l’incohérence de ses déclarations et sa négation des faits, le public sentit que l’audience allait être longue, si les six autres accusés choisissaient de faire de même en répétant inlassablement « Je ne sais pas » ou « Je n’étais pas là ». Alors que pour l’expert psychiatre, à un aucun moment, Elvé, âgé de 23 ans au moment des faits, n’avait manqué de discernement le 24 janvier 2021, à la barre du tribunal, ce dernier perdra patience et dira « je ne sais pas, je n’étais pas là, vous pouvez demander à mon docteur psychiatre. » 

Même sketch, lorsque le doyen de la bande, un dénommé Mafoua, âgé de 31 ans au moment des faits, dira : « Depuis 2000, moi je suis à Mayotte, je ne suis pas un sauvage (…) Je n’étais pas là quand S* est décédé », avant d’ajouter une confusion morbide : « C’est l’union qui fait la force ». Consterné par ces déclarations, un des assesseurs répondra : « J’ai bien compris qu’à Mayotte il y avait une épidémie d’alzheimer précoce. » Comble du comble, le dénommé Elvé osera dire à la Présidente de la cour d’assises : « Si vous étiez là avec nous, vous ne vous souviendrez pas ». Ce à quoi, la magistrate répondra : « À votre différence, je n’étais pas présente au moment des faits et personne ne dit que j’y étais. » 

Un chef menteur manipulateur et bluffeur

Avant d’assassiner l’adolescent, la bande armée a incendié des bangas et agressé plusieurs habitants du quartier à l’aide de machettes (images d’archives)

En se contredisant d’une version à l’autre et en mentant sur ses actions, c’est le chef de bande, dénommé Bob, qui ajouta de la lourdeur au moment. Alors que la famille attendait des réponses, pour reprendre les mots de l’avocat de la partie civile, Me Volz, le chef de bande affirma à plusieurs reprises : « Je ne peux pas reconnaître ce que je n’ai pas fait », en jouant avec les nerfs de la cour et des avocats. Il reconnut ensuite avoir frappé la victime d’un coup de machette au bras droit alors qu’elle s’enfuyait en courant. Or cette blessure ne sera pas visible lors de l’autopsie. En garde à vue, alors qu’il avait lui-même déclaré être le chef de la bande, avoir « donné des coups de machette à l’arrière du cou, sur le dos, sur le corps » et avoir « fini » la victime « avec un coupe-coupe », le chef de bande enlèvera finalement son bob de leader, en niant avoir dirigé la macabre opération. C’est après plus de quarante minutes d’échanges avec la cour, qu’il reconnaîtra finalement, « Oui, je suis entré dans le banga ». 

Mais alors que la cour et le public pensaient enfin obtenir des réponses, le chef de bande se mit finalement à démentir les faits un à un. D’abord en déclarant que la femme qui était dans une autre pièce du banga au moment des faits avec son bébé avait voulu « embellir les choses » quand elle a déclaré avoir été menacée par le chef de bande. Puis au sujet de ses déclarations, Bob dira que ses dires passés étaient le fruit d’une mauvaise retranscription, due aux mauvais interprètes qui lui avaient été assigné, affirmant être pendant le procès, à nouveau victime d’une mauvaise retranscription, faisant dire à l’avocat de la partie civile, Me Volz, « D’accord, donc c’est le procès des interprètes. ». 

Aussi, il finira par expliquer que lors de sa garde à vue, les gendarmes avaient inventé ses déclarations, notamment les noms de dénommés Mexicain, Crochet et Niengwe, avec qui les assaillants voulaient régler leur compte : « Les gendarmes ont inventé, c’était pour embellir leur enquête », a déclaré sans manquer d’air le chef de bande qui ne voulait plus du costume de chef devant la cour. 

Des mineurs, légèrement plus courageux à la barre 

La bande de La Vigie voulait venger la mort de l’oncle d’un des accusés, Elvé, en réglant leur compte avec des individus de la bande rivale, CTAM

Alors qu’il n’avait que 13 ans au moment des faits, un mineur entendu par visioconférence depuis La Réunion, en qualité de témoin, avant d’être jugé par le tribunal pour enfants, avoua que les dénommés Bob, Elvé, Bitman, Chamou, Papi, Bilco étaient présents le 24 janvier 2021. « Ils avaient tous des armes (…) Bob a frappé S* dans la chambre dans le dos (…) Il fallait tuer un dakouane (…) Elvé m’a dit que S* était mort (…) J’ai vu S* qui ne bougeait plus. Après nous sommes tous partis en courant jusqu’à la Vigie (…) Les mamans vomissaient. »

Un autre mineur, surnommé Bitman, âgé de 17 ans, au moment des faits, apporta un éclairage plus complet que les majeurs. Le jour des faits lorsqu’il rejoignit le groupe, Bitman était la dernière recrue : « Le groupe était déjà constitué » déclara-t-il dans une très bonne élocution, Elvé m’a dit qu’il fallait que je les suive sinon ça pouvait se retourner contre moi. Je les ai suivi (…) On est allés dans le quartier CTam. On est descendus jusqu’à la Mosquée. On a croisé deux jeunes, certains de la bande demandaient où était Mexicain. La victime, S*, était là. Quelqu’un a demandé s’il faisait partie d’une bande. La victime a fui en courant. Elvé lui a donné un coup de machette dans le dos (…) Puis, je suis restée dehors, dans une rue près la Mosquée. J’ai vu Elvé sortir et rincer sa machette dans une flaque d’eau (…) Après on nous a dit de partir car la police allait arriver. » Par peur de représailles de la bande de La Vigie, Bitman serait resté à attendre ses compagnons d’armes et ne se serait pas enfui, « j’avais peur des grands. »

Un règlement de compte aléatoire ? 

Au fur et à mesure des auditions des accusés, se dressa le tableau d’un assassinat cruel, gratuit, commis « au hasard » sur une victime, qui avait eu le malheur de se retrouver au très mauvais moment au très mauvais endroit. « Ce sont des sauvages » avoua finalement le doyen de la bande, tout en niant sa responsabilité des faits. À la question « est-ce que S* a été tué au hasard ? », posée par l’avocat de la partie civile, le mineur de 13 ans au moment des faits, essuiera une larme et ne prononça aucun mot. Bitman, qui n’était pas armé et qui attendait à l’extérieur du banga lorsque la victime a été assassinée, dira : « Il a peut-être été tué au hasard mais vu la gravité des faits je ne sais pas (…) On m’a dit de suivre les grands (…) Si je refusais de suivre, j’avais peur qu’il m’agresse ou agresse ma famille. J’avais peur de Bob, Elvé et Mafoua. À la question de Me. Rahmani, « si vous pouviez revenir en arrière est-ce que vous seriez présent ? », Bitman répondit « jamais ». 

« Vous avez un pied dans l’anti-chambre de la réclusion criminelle à perpétuité » 

L’avocat général Albert Cantinol rappela à un des accusés qu’il risquait la réclusion criminelle à perpétuité

Face aux déclarations contradictoires et à la condescendance du chef de bande, l’avocat général, Albert Cantinol, donna une dernière occasion, au dénommé Bob,  d’apporter des éléments de réponse à l’horreur commise : « Au milieu de cette salle d’audience, vous avez une balance, avec des poids, posés à gauche et à droite, en fonction des éléments, à charge et à décharge, avancés. C’est après que la cour d’Assises et les jurés soulèvent cette balance et examinent son poids. Vous avez un pied dans l’antichambre de la réclusion criminelle à perpétuité. Je vous demande Monsieur, pour la famille, pour le jeune S*, car vous êtes le seul et le mieux placé, de nous dire, qui est entré dans ce banga avec vous, clairement, précisément une bonne fois pour toutes. » Mais le chef de bande choisira le silence : « Je ne peux pas le dire. » 

À la fin de l’audience, il reconnaîtra finalement avoir participé à la mort du jeune adolescent, en mentionnant « je n’avais pas l’intention d’aller le chercher lui », donnant plus de poids à l’assassinat gratuit ou « sauvage », pour rendre le terme du dénommé Mafoua. En garde à vue, le chef de bande aurait confié : « Depuis que c’est arrivé ça me hante (…) ça me culpabilise. Mais j’ai perdu beaucoup de poids et ça m’a soulagé », en évoquant cet assassinat. La Présidente de la cour, lui répondra : « Vous dîtes que vous avez des images qui vous hantent mais vous ne dites pas vraiment ce qu’il s’est passé (…) je pense que vous allez être hanté Monsieur. »

* Pour préserver son identité, le prénom de la victime n’a pas été mentionné.

Mathilde Hangard

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