On ne parlait que réussite et créations d’entreprise avec quatre catégories de récompense, Commerce, Service, Artisanat et Économie sociale et solidaire pour ce concours Talents 2024. Et pour chacun, le lauréat, le prix coup de cœur et prix Féminin. Des hommes et des femmes passionnés qui vont contribuer à porter l’économie de Mayotte, un exemple à mettre en valeur plutôt que le rêve d’un costume cravate de fonctionnaire.
Après une introduction du vice-président de la BGE Adrien Michon soulignant le mérite de ces créateurs d’entreprises qui tentent de survivre après les crises, « la résilience mahoraise est la garantie du développement du territoire », les organisateurs ont eu la bonne idée de prendre du recul, et d’interroger les lauréats des années précédentes pour connaître leur trajectoire. De bons retours pour la plupart, et pas mal d’écueils aussi.
« Mon défi, c’est d’arriver à garder mon entreprise », lâchait Marlène Fraytag, qui a repris la fabrique de stylo et décorations « Touch’du bois » en 2013, quand Ansufati Halidi, Maypat Culture, de valorisation et de promotion de la culture mahoraise, explique ne pas arriver à vivre de son activité. Lauréate outre-mer, elle rayonne malgré tout, « je suis arrivée à faire de ma passion un métier. » Formée par la couveuse Oudjerebou, « je travaille seule désormais et je gère les demandes de subvention et autres », elle explique avoir des marchés en Polynésie, en Mauritanie, à Maurice, et souhaite donner une autre dimension à son activité en créant « un Conservatoire ».
Un parcours haché par les mouvements sociaux
Anciennement primé régionalement et nationalement, Aromaore est un vieux de la vieille et sa durabilité pour avoir ciblé il y a quelques années un secteur qui allait être porteur, l’agrotourisme, est mise à dure épreuve : « Il y a beaucoup d’obstacles à Mayotte. Les plus récurrents sont les troubles sociaux, ceux de 2011, l’insécurité, les décasages, Wuambushu, etc. Quand on a une PME dans le tourisme où les gens ont besoin d’avoir confiance dans le territoire, ça induit une chute colossale du chiffre d’affaires, nous ne sommes pas millionnaires pour pouvoir encaisser ça », témoignait Assane Soulaima dans une vidéo.
Revenue d’Angleterre où elle travaillait, pour créer dans son île son salon de thé « John & Okhama », Aïna Kamardine avait été obligée de le déménager de Combani, « une question de survie vu ce qu’est devenu Combani », pour Sada, « c’est plus tra nquille ». Elle évoque également les hoquets de l’économie mahoraise : « Avant le Covid, avec ma sœur, on était sur le point de se verser des vrais salaires, ce fut un coup d’arrêt, puis on a récupéré, mais ce furent les émeutes de Combani. » Son départ a induit une perte de clientèle, « mais notre concept store commence à trouver sa place, nous avons été boostés pour avoir décroché la première place du concours du meilleur pitch* lors du forum « entreprendre en océan Indien ».
« Nous ne sommes pas assez accompagnés par les élus »
La réussite historique de la BGE et la fierté du concours Talents, c’est Tanchiki Maore, créateur de MAP, entreprise de vidange des fosses septiques, parti d’un camion rouillé, « Jean-François Demontis qui dirigeait la BGE m’avait dit, ‘l’idée est bonne, mais le matériel fait peur !’ », l’entrepreneur dans l’âme indiquait qu’ils étaient actuellement 180 à être employés sur l’ensemble de son groupe, « j’ai enlevé le chômage à Koungou et accompagne 70% des associations ». Suscitant des applaudissements nourris. Il en profitait pour faire passer deux messages. « J’ai vu grandir MAP, mais pas mes enfants, faites attention à préserver votre famille. » L’autre sera pour les élus du territoire : « Nous ne sommes pas assez accompagnés par les élus locaux, contrairement à la Direction des Finances publiques et la préfecture. Il faut que nos élus se réveillent. » Ce n’est pas d’argent qu’il est question, « j’avais une régularisation administrative à faire sur le plan national, son montant a doublé sans que j’arrive à défendre l’idée du manque à gagner lié aux crises économiques. J’aurais apprécié que les élus m’appuient alors que j’ai cru que MAP allait couler en mars ». Sans vouloir faire de comparaison systématique, dans les autres départements d’outre-mer, les élus pèsent dans la balance pour faire preuve de volonté de défendre leur territoire.
La remise des prix de ce 15ème concours Talents concernait donc 4 domaines. Pour la catégorie Service, c’est la salle de jeux Maygame des frères Halifa à Sada, qui remporte le prix, dont nous avions assisté à l’inauguration. Pour l’Artisanat, c’est l’entreprise de jus de fruits frais et cocktails JIVA & Juice d’Anichat Abdou Alloui qui est couronnée. Moment difficile pour la remise du prix Économie sociale et solidaire puisqu’il a été remis à Habit’Âme, Fabrication de produits de consommation courante en matières plastiques, portée par Hannah Dominique, mais également feue-Nadine Séon, « c’est elle qui a fédéré autour de ce projet », sauvagement assassinée selon les aveux de son ex-petit ami, sa mémoire a été saluée par une marche blanche ce samedi.
C’est dans la catégorie Commerce qu’il faut chercher le grand vainqueur de ce concours Talents, Ibrahim Oili Ali, pour son entreprise SOA de réparation, maintenance et installation d’appareils électrodomestique et de climatisation, qui remportait 4.000 euros ainsi que de nombreux autres lots.
Treize entreprises ont été primées au total. On espère les retrouver sur leur belle lancée lors du premier bilan de leur parcours.
Anne Perzo-Lafond
*Présentation courte et efficace d’un concept ou d’un projet