Depuis un an, les automobilistes de Mayotte ont pu mettre en application ce qui était ici une rareté du code de la route : le respect du feu tricolore. Et il y a encore du boulot ! A ceux qui espèrent les voir disparaitre après les travaux de Caribus, déchantez !, ils vont au contraire se multiplier. Car ils sont là pour préparer l’arrivée d’un nouveau mode de transport qui tient en 4 lettres, BHNS, le Bus à Haut Niveau de Service.
Comment ça marche ? Ou plutôt, comment ça va marcher ? Dans l’optique de penser le 1er projet de transport en commun terrestre de l’île sur les 20 à 30 ans à venir, ses concepteurs ont opté pour ce bus particulier qui circulera sur l’axe principal RN1-RN2, du rond-point Carrefour (ex-Jumbo) à Passamainty, sur une voie qui lui sera réservée. A lui, et sans doute à d’autres véhicules. Pour comprendre la logique qui a été suivie, il faut remonter à la méthode, que nous développe notre expert en mobilité Mohamed Hamissi, à l’initiative du projet Caribus mené désormais par la Communauté d’agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA).
« Nous savions que la phase travaux du projet allait être délicate, mais elle l’est encore plus en absence d’alternative, notamment du transport maritime côtier qui aurait dû voir le jour l’année dernière ». Idem, la partie transport en commun du conseil départemental n’est toujours pas d’actualité : « Les travaux des lignes interurbaines du conseil départemental n’ont pas commencé, or elles sont censées ramener les habitants du Nord et du Sud venant travailler à Mamoudzou, qu’on appelle les ‘captifs pendulaires’ parce qu’ils arrivent le matin et repartent le soir, qui doivent ensuite utiliser Caribus. C’est l’objectif du projet, soulager la route aux heures de pointe. » La CADEMA a été très réactive en mettant en place des navettes, « mais elles ne circulent qu’à des horaires précis pour amener et ramener ceux qui travaillent à Mamoudzou, ce n’est pas vraiment un transport en commun que l’on peut prendre à toute heure de la journée. Or, les études ont montré que, en moyenne, un individu se déplace 3 fois par jour à Mayotte. Faute d’alternative, les habitants se sont retrouvés coincés dans leur voiture pendant la phase travaux. »
27 carrefours, dont une majorité à feux tricolores
Ce qui a imposé de se soucier de l’urgence des « parcs relais » ces grands parkings destinés à accueillir les véhicules. A ce propos, il y a de la friture sur la ligne : « Sur les 1.045 places de stationnement publics inventoriées entre Tsararano et Kawéni, 25% sont dans la rue de l’Archipel (HD) à Kawéni, et 42% en front de mer à Mamoudzou. Ces dernières vont toutes disparaitre puisqu’un pôle d’échange multimodal est prévu devant le marché couvert de Mamoudzou, où il sera possible de changer de modes de transport, et qu’un aménagement pour le BHNS est prévu entre les camions rouge et blanc. »
Caribus, c’est le plus gros chantier sur une zone aussi vaste, avec plusieurs enjeux. L’aménagement d’une voie dédiée au bus, mais aussi « l’intégration du réseau dans son environnement », ce qui comprend les pistes cyclables, le traitement des eaux pluviales, l’aménagement des trottoirs, etc.
Parmi toutes les options de transport en commun, c’est donc le BHNS qui a été choisi, « car il intègre les mêmes avantages qu’un tramway, au niveau du confort, de la sécurité, de la capacité, de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap, tout en coutant deux fois moins cher à mettre en place. Reste à assurer la fréquence, avancée comme élevée, avec donc des passages réguliers. C’est pourquoi une grande partie des 27 carrefours existants entre les Hauts-Vallons et le rond-point du cimetière à Passamainty seront dotés de feux tricolores, avec priorité aux bus : « Si ce n’était pas le cas, le BHNS perdrait en attractivité, et les gens préfèreraient rester dans leur voiture. Il faut qu’ils gagnent en temps de parcours de manière significative. Par exemple en faisant leur trajet en vingt minutes au lieu d’une heure. »
Pour y arriver, les signaux statiques (panneaux stop ou céder le passage) ou les giratoires deviendront minoritaires au profit des « signaux dynamiques » que sont les feux tricolores, « le choix se fait en fonction de la demande et du trafic à écouler ». Jusqu’à présent, n’était aménagé qu’un seul feu tricolore à Mayotte, à la barge, « pour sécuriser la traversée des piétons ».
Le choix draconien des véhicules prioritaires
Pour assurer les dessertes aux horaires indiqués, pas de feu rouge qui tienne pour le bus ! « Il sera équipé d’un émetteur de signal qui permettra en amont du carrefour de déclencher le feu vert dans sa voie. Certains auront un cycle de 70 secondes d’autres 90 secondes de fonction de la circulation, ou d’un tourne-à-gauche arrivant dans l’autre sens. »
Reste à savoir s’il y aura d’autres utilisateurs autorisés à emprunter cette voie… sans pour autant y créer de nouveau un embouteillage : « Ces aménagements doivent permettre la rapidité de transport et la ponctualité. Il faut donc étudier les droits de passage avec soin. On peut penser que les forces de l’ordre et les ambulances y auront droit, mais quid du transport scolaire ou des taxis ? Pour les premiers cela permettraient de réduire le temps de trajet, quoiqu’actuellement leur priorité soit plutôt d’arriver entier, et pour les seconds, il faudrait conventionner comme nous l’avons déjà évoqué, pour mettre en place uns service public desservant les quartiers isolés en amenant les usagers vers les arrêts de bus. » Tout ralentissement sur cette voie dédiée serait préjudiciable, « n’oublions pas qu’il faut miser sur la rapidité de transport pour attirer les automobilistes », rappelle l’expert mobilité.
Les trois-quarts du parcours du BHNS se feront sur un site propre, certaines portions comme entre les ronds-points Baobab et Manguier n’ayant pu être aménagées, il empruntera la même voie que les automobilistes. C’est également le cas sur les boulevards à Bordeaux.
Le préfet en super agent de la circulation
C’est donc une petite révolution qui s’opère… avec son lot d’agacement inhérents. « C’est clair qu’au moment de les installer, il aurait fallu communiquer auprès de la population, expliquer que cela allait perdurer après la phase travaux. Ensuite, je comprends les agacements d’être dans les embouteillages, mais toutes les grandes villes sont engorgées. Le problème c’est une fois encore, qu’il n’y a pas d’alternative proposée ici. Il faut se dire que malgré tout, le feu tricolore fluidifie. »
Il a malgré tout fallu tâtonner au niveau de la fréquence du passage au vert – et ce n’est pas fini à en croire ce que des automobilistes nous font remonter à Passamainty (voir la vidéo ci-dessus), le préfet François-Xavier Bieuville a d’ailleurs dû se muer en super agent de la circulation pour améliorer la situation : « C’est anormal que le préfet soit sollicité par tous et pour tout. Le territoire doit se doter d’experts, d’ingénieurs en génie civil, d’expert en économie des transports, etc. Il faut passer par les grandes écoles. Ce projet est une formidable source de créations d’emploi. Car quand on aura terminé, il y aura besoin d’une réelle expertise dans les deux à trois prochaines années, et on ne les a pas à Mayotte. Ce ne sont pas les bureaux d’étude qui vont gérer nos services publics. »
D’expert, le territoire en possède un, Mohamed Hamissi étant diplômé de l’école nationale des Travaux Publics de l’Etat, et lauréat des Talents européens de la mobilité en 2022, mais dans un sourire il explique que « la relève doit être là et en nombre ».
Anne Perzo-Lafond