Budget outre-mer : « Distorsion entre les priorités de l’Etat et les choix des mahorais »

Depuis 12 ans de départementalisation, la situation de Mayotte se dégrade malgré les millions annoncés. La pression migratoire couplé au déficit d’investissements structurants pour l’absorber, notamment dans les services publics, incite le député Kamardine à demander une réorientation des priorités.

Dans un article intitulé « Budget Outre-mer : comment garantir sa consommation en 2024 ? », nous avions apporté de la nuance à l’annonce gouvernementale d’un projet de budget annoncé en hausse pour 2024, de 7% en autorisation d’engagement, 2,9 milliards d’euros, et de 5% en crédits de paiement, 2,6 milliards d’euros. Une augmentation qui ne se traduit pas forcément par des investissements supplémentaires mais notamment par davantage de compensation d’exonérations de cotisations sociales en faveur des outre-mer, avait souligné le Sénat. L’institution alerte régulièrement sur la sous-consommation de ce budget tiraillé entre des territoires ultramarins aux problématiques différentes.

A commencer par le député martiniquais Jiovanny William, rapporteur de ce budget, qui

Philippe Vigier en visite dans une école de Mayotte

évoque « un rattrapage attendu » de la métropole, mais indique vouloir « enrichir le texte de nouvelles propositions ». De son côté, le député LIOT de Saint-Pierre et Miquelon Stéphane Lenormand, demande notamment une subvention supplémentaire de 15 millions d’euros pour le port de Miquelon et le quai du commerce à Saint-Pierre. Le député Réunionnais Perceval Gaillard invite quant à lui le ministre délégué aux Outre-mer, Philippe Vigier à tenir compte de la « situation dramatique » dans laquelle vivent les outre-mer en tenant compte des amendements « pour rattraper ce qui n’a pas été fait depuis des années », et à ne pas garder « cette vision néocoloniale » dont fait souvent preuve Paris.

Structurer le territoire, pas seulement avec des écoles

Car ce sont 407 amendements qui ont été déposés. Avec des priorités qui sur le papier sont les mêmes pour le gouvernement, mais pas dans les discours de tous les élus du territoire. Si le martiniquais invoque de mettre davantage dans le logement social, cette mesure n’est pas vue comme essentielle par exemple par le député LR Mansour Kamardine. Alors que 77% de la population vit à Mayotte sous le seuil de pauvreté selon des critères métropolitains, et qu’il va falloir construire après avoir détruit les bidonvilles le mot « social » est entendu ici comme une aide aux populations en situation irrégulière.

L’arrivée permanente de jeunes enfants impose de suivre le rythme de construction des écoles et des établissements du secondaire

Le député s’est exprimé face au ministre des outre-mer en commission il y a dix jours, et remettait ça pendant 5 bonnes minutes ce lundi à l’Assemblée nationale. Tout en reconnaissant que Philippe Vigier « se bat pour un mieux à Mayotte », et que « le gouvernement fait beaucoup de choses avec 500 millions d’euros pour les écoles, 350 millions d’euros pour le logement social », il évoquait des « priorités qui ne sont pas les mêmes pour la population mahoraise et pour le gouvernement » : « Ce n’est pas le choix des mahorais. Ce que nous voulons, c’est que l’Etat agisse sur ses domaines de compétence : la sécurité, le contrôle des frontières, l’université, les routes nationales, la piste longue d’aéroport, la santé, l’égalité sociale et de traitement avec les autres territoires de la République ».

Le parlementaire mahorais parle même de « distorsion » dans les priorités de l’Etat : « Construire des écoles et des logements sociaux, ce sont des aimants à l’attraction de l’immigration clandestine ». Ou comment retourner à l’envoyeur le risque d’attractivité que le gouvernement brandit à chaque demande d’alignement des droits sociaux, y compris des retraites… Comme si des bacoco (personnes âgées) allaient prendre le kwassa depuis Anjouan pour des pensions auxquelles ils ne peuvent prétendre.  Mansour Kamardine demande des « aménagements structurants », qui pourraient ensuite faire un effet de levier et d’insertion par le travail sur un territoire qui compte 40% de chômage, en comptant le halo des non inscrits à Pôle emploi.

Des millions qui passent sous les radars

Des radars pas tous fonctionnels et qui ne couvrent pas toutes les zones

Or, du côté des compétences de l’Etat, le compte n’y est pas. En dépit des labels Shikandra et Wuambushu, les radars de repérage des kwassa ne sont pas tous fonctionnels, les drones maintes fois annoncés, toujours pas d’actualité, l’insécurité perdure, et le territoire est insuffisamment structuré (routes, assainissement, etc.). La dépense par habitant de 7.800 euros était rappelée, « c’est la moitié à Mayotte », et pas seulement en raison de compétences non exercées par le Département-pas-encore-Région (construction des collèges et lycées, routes nationales, etc.)

Dans une de ses charges il accuse le gouvernement de conserver la gestion des fonds européens pour financer ses priorités, quand, nous l’avons constamment répété, c’était à l’Etat de le faire avant la départementalisation et l’accès au statut de RUP européenne. Au lieu de quoi, la départementalisation n’a rien coûté, et on s’en est remis à l’Europe et ses fonds pour développer le territoire. Sans qu’il n’y ait sur place les compétences pour le faire. Les millions ont fondu comme neige au soleil mahorais.

Cette distorsion dont parle le député Kamardine ne doit pas opposer les besoins, les écoles et les logements doivent se faire de pair avec les investissements structurants, ce qui implique des enveloppes bien supérieures à ce qui est annoncé. Le montant de 1,6 milliard d’euros du Contrat de progrès avait cette ambition, suivi d’une déception faute de l’avoir consommé. On attend de savoir et surtout de voir, à quoi ont servi les investissements. «

« Monsieur le ministre, le moment est venu que l’Etat tienne compte des choix des mahorais », concluait le député qui indique que le groupe LR ne votera ce projet de budget « que si les priorités des ultramarins en général et des Mahorais en particulier sont mieux prises en compte ».

Anne Perzo-Lafond

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