Comme l’a rappelé le recteur, Jacques Mikulovic, dans son discours introductif, Mayotte est une terre de contraste. « Il y a un potentiel énorme ici, une finesse, une gentillesse, les élèves sont demandeurs et à côté de cela les conditions de vie ne sont pas faciles pour eux. Aussi la pédagogie doit être plus forte que la sociologie pour gommer les différences. Il n’y a pas de fatalité… Nous devons lutter pour permettre à nos élèves de réussir et cela passe par la maitrise de la langue et l’acquisition des savoirs fondamentaux en français et en mathématiques », a-t-il insisté.
Adapter les enseignements à la singularité du territoire
Cette formation destinées aux formateurs doit permettre aux enseignants du premier degré de disposer davantage d’outils pour que les élèves apprennent à lire, écrire, parler et compter correctement. En effet, en 2022, Mayotte est le département français avec le taux le plus élevé de jeunes considérés en situation d’illettrisme détectés lors des journées Défense et Citoyenneté (JDC) organisée pour les français âgés de 18 ans. A cette occasion un test est effectué et il ne concerne que les jeunes ayant la nationalité française, soit environ 2.700 élèves testés chaque année à Mayotte. Ainsi ce taux atteint 43 % et il est nettement plus élevé que celui des départements qui arrivent juste après comme la Guyane (26 %), la Guadeloupe (14 %), et sans commune mesure avec l’Hexagone où il est de 4,6 %.
Aussi cette formation revêt plusieurs objectifs. Tout d’abord de faire l’apprentissage du français dès la maternelle en faisant parler les élèves. Il convient ensuite d’aider les parents d’élèves d’école maternelle à accompagner leurs enfants dans leur scolarité et à comprendre les tenants et les aboutissants de l’école de la République. En outre, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en classe de CP doit être renforcé, notamment en utilisant la méthode NEO (ndlr : cette méthode vise à faciliter l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans toutes les classes de CP en proposant de travailler séparément et simultanément le code et la compréhension). Enfin, les enseignants doivent interagir le plus possible avec les élèves lecteurs mais aussi et surtout avec les non lecteurs.
Maintenir les efforts pour rattraper le retard
Même si Mayotte est le département français qui a le plus progressé ces deux dernières années concernant « l’entrée dans la lecture », passant de 30 % en 2021 à 44 % en 2023, « Le chemin à parcourir est encore long », comme le souligne Olivier Hunault, formateur et inspecteur général de l’Éducation nationale en mission à Mayotte. D’après les chiffres du ministère établis à l’occasion d’évaluations, certains élèves de CM1 ne savent ni lire ni écrire, ils sont analphabètes. « Pour ces élèves-là il faut agir… travailler avec eux tous les jours. Songez que 1.000 élèves qui rentrent en 6e à Mayotte ne savent pas lire 10 mots par minute ! Ils sont 3.600 au total pour toute la France. Mayotte représente 1 % des élèves français mais malheureusement 25 % des élèves analphabètes ». Les chiffres présentés par l’inspecteur général sont assez préoccupants puisqu’en 6e, là où la majorité des élèves arrivent à lire 90 mots par minute, à Mayotte les deux tiers sont en grande difficulté et 12 % arrivent au collège en ne sachant pas du tout lire. « Cela représente en moyenne quatre élèves par classe de 6e », précise Olivier Hunault.
La sociologie joue un rôle également dans l’apprentissage et l’acquisition des connaissances, et à Mayotte elle est plus forte que dans l’Hexagone, selon l’inspecteur général de l’Éducation nationale. « Lutter contre les inégalités sociales passe par une amélioration de la qualité des enseignements. Ainsi seulement un tiers des élèves (32 %) entrant en 6e à Mayotte atteignent le seuil de 90 mots correctement lus par minute. Ils sont 86 % en France Hexagonale et 50 % en Guyane ». Concernant l’entrée en CP, les chiffres ne sont pas mieux, le seuil est fixé à 30 mots par minute et seulement 26 % des jeunes mahorais l’atteignent quand ils sont 68 % dans l’Hexagone.
Ce qui fait dire à Jacques Mikulovic que « Malgré la difficulté on peut progresser en utilisant des méthodes adaptées et nouvelles. A Mayotte les élèves ont envie d’apprendre, les parents ont beaucoup d’attentes vis-à-vis de l’institution et les équipes pédagogiques sont totalement mobilisées. Aussi, en dépit des nombreuses difficultés je suis convaincu qu’à Mayotte on peut développer une manière de faire pouvant être un modèle pour la métropole ».
B.J.