Les faits se sont déroulés le 22 mai 2022 vers 18 heures, à la tombée de la nuit. Alors qu’une femme quittait le CHM pour rentrer chez elle, deux individus viennent vers elle et l’interpellent. L’un d’eux brandit alors un couteau et lui dit : « Si tu fais ce que je veux ça va bien se passer ». L’homme se met alors à se masturber devant elle et tente de lui imposer une fellation, tandis que son compère, derrière elle, lui touche la poitrine. D’après les dépositions, les deux hommes sont alcoolisés et tiennent des propos incohérents. Le calvaire de cette femme va ainsi durer 6 à 7 minutes.
L’un des deux individus est interpellé quelques mois plus tard, le 29 août 2022, après enquête. Il a des antécédents psychiatriques et est déjà connu de la justice pour des faits d’agression sexuelle et de viol. Il soutient devant le tribunal que ce n’est pas lui qui a fait ça, qu’il n’était pas sur les lieux à ce moment-là du fait, justement, d’un contrôle judiciaire. Sa mère interrogée par les enquêteurs indique qu’elle a peur de son fils et qu’il a toujours eu un rapport étrange avec les femmes. Les différentes expertises psychiatriques et psychologiques faites sur sa personne sont un peu contradictoires, certaines soutiennent qu’il est « accessible à une sanction pénale » et d’autres font ressortir « une altération du discernement ».
En détention provisoire pour récidive légale
« Ce n’est pas moi ! Je n’ai pas une tête à violer une femme, ça ne me ressemble pas, clame-t-il. La victime n’est pas là pour dire quels sont ses agresseurs. Je n’ai jamais commis de viol. J’étais à Passamainty chez ma mère ce soir-là. J’étais sous contrôle judiciaire. – Pourtant la victime vous a reconnu et clairement identifié à la fois sur des photos mais aussi au tapissage, derrière une vitre teintée, rétorque le président du tribunal, Ivan Mercier-Bossény. – Ça ne peut pas être moi », insiste l’accusé. Ce dernier a déjà été condamné en 2019 pour agression sexuelle au même endroit où se sont déroulés les faits. A cette date il avait suivi une femme avant de l’agresser. « Vous avez quel rapport avec les femmes ? Demande le président. – Je ne sais pas trop. – Vous êtes peut-être trop insistant ? Vous auriez même tenté de draguer la juge d’instruction pendant votre audition en lui disant qu’elle était jolie et plutôt pas mal. – Elle m’a posé la question : « C’est quoi votre type de femme ? J’ai répondu : Comme vous ! Fine et raffinée ! ».
Au dire de sa famille, depuis qu’il est revenu à Mayotte après plusieurs années en métropole son comportement a changé. Il a des périodes calmes et des périodes plus agitées avec de la violence. En effet, l’individu aurait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique quand il se trouvait dans l’Hexagone et aurait arrêté son traitement médicamenteux depuis son retour dans l’île, à l’image de cette phrase lunaire, sortie dont on ne sait où : « l’État et les gendarmes ce sont des comiques, c’est ce qu’ils disent dans La Soupe aux choux !? ».
La victime quant à elle n’était pas présente mais le président du tribunal a lu sa déposition : « J’ai senti qu’ils me suivaient, ils étaient deux. L’un d’eux a sorti un couteau et m’a dit tu vas faire ce que je veux. Si tu fais ce que je veux ça va bien se passer. Ils étaient alcoolisés, excités et pas dans leur état normal, l’un avait un tatouage avec une sorte de cœur avec des ailes – Je n’étais pas là, ce n’est pas moi », interrompt le prévenu.
Une altération du discernement
Les rapports psychiatriques soulignent une anomalie psychologique, une schizophrénie affective, une altération du discernement pouvant entrainer le passage à l’acte. « Vous avez déjà été condamné à deux reprises en 2019 pour des faits d’agression sexuelle qui ont une forte similitude avec les faits qui vous sont reprochés aujourd’hui. Par ailleurs, vous avez sept mentions à votre casier judiciaire entre 2011 et 2023 pour vol avec effraction, vol en réunion et consommation de stupéfiants, vol aggravé, recel et vol avec violence. Vous consommez de l’alcool et des stupéfiants ? Demande le président. – Oui je buvais beaucoup d’alcool, 4 à 5 bières tous les jours, pour oublier la solitude, mais j’ai arrêté de fumer. C’est pas une bonne chose la détention, les conditions sont difficiles à Majicavo, il n’y a pas de télévision dans la chambre, je couche par terre à côté des détergents ».
Le vice-procureur, Tarik Belamiri se lève alors pour faire son réquisitoire. « J’étais de permanence ce soir-là, je me rappelle très bien…Même s’il a été question de requalifier les faits en agression sexuelle et non en viol car il n’y a pas eu de pénétration et pas de fellation à proprement parler. La victime a tout de suite fait une description de son agresseur, elle a parlé d’un tatouage à l’épaule. Lors du tapissage, elle a reconnu le prévenu parmi plus de quarante individus. Il y a peu de doute sur sa culpabilité. Aussi, je vais demander une peine lourde en raison de l’extrême dangerosité du prévenu, de la gravité des faits et du risque de récidive, même si l’accusé a une altération du discernement ». Le procureur a ainsi requis 10 ans de prison assorti d’un suivi socio-judiciaire pendant 10 ans et l’impossibilité de porter une arme durant 15 ans.
A l’écoute de ce réquisitoire, l’avocat de la défense, maître Aurore Baudry, n’a pas manqué de réagir : « 10 ans ?! J’avoue que je ne m’y attendais pas. Mon client souffre d’une altération du discernement, il y a la nécessité d’adapter la peine. De plus, la réalité de l’agression sexuelle n’est pas présente dans cette affaire, la victime est revenue sur ses déclarations et a admis le fait qu’il n’y avait pas eu de fellation ». Maitre Baudry a également fait valoir que le soi-disant couteau avec lequel son client aurait menacé la victime n’apparait à aucun moment dans la procédure et que le second agresseur est absent du procès : « Où est la deuxième personne de l’agression ? Interroge -t-elle. Il n’y a eu aucune investigation pour la retrouver. Concernant les faits qui sont reprochés aujourd’hui à l’accusé, ils n’ont rien à voir avec ses précédentes condamnations, ce n’est pas le même mode opératoire. Il n’a pas pu commettre ces faits puisque mon client était sous contrôle judiciaire, il ne pouvait pas aller du côté du CHM, assure-t-elle ».
Et pour le coup, les caméras du CHM et les exploitations de toutes les vidéos de surveillance se trouvant dans le secteur vont dans le sens de maître Baudry : les enquêteurs n’ont absolument rien trouvé pouvant mettre en cause l’accusé. Idem concernant l’ADN, aucune trace du prévenu n’a été retrouvée sur les vêtements de la victime. « Dans ce dossier il n’y a pas assez d’éléments pour prouver la culpabilité de mon client. Certes il est insistant avec les femmes et a un comportement inapproprié. Mais il n’y a pas de preuves et encore moins la démonstration de la réalité de cette agression sexuelle. Je plaide donc la relaxe ».
Après avoir délibéré le tribunal a décidé de relaxer le prévenu « au bénéfice du doute », il est donc ressorti libre du tribunal. Toutefois, le ministère public n’exclut pas de faire appel dans les dix jours : « Je vais y réfléchir très sérieusement », a annoncé Tarik Belamiri.
B.J.