Les sentez-vous ? Mais si, ouvrez grand les narines et humez ce parfum de négativisme exacerbé alimenté de pertinents commentaires qui vont instinctivement jaillir à la seule lecture de cette introduction. Eh bien oui ! « On a tout de même d’autres priorités à Mayotte que celle de parler du Bio, voyons… » Oui, mais non en fait ! Parce que de vous à moi, la Santé c’est tout aussi important que l’Eau et c’est d’ailleurs la première chose que l’on souhaite lors de nos annuels voeux et ce, quelle qu’en soit notre croyance. La Santé, c’est comprendre qu’il y a des liens de cause à effets dans l’air que l’on inhale, dans l’environnement dans lequel on évolue de manière sociale, personnelle ou encore professionnelle mais aussi dans notre approche hydrique et alimentaire. Une approche qui n’est pas sans désastreuses conséquences sanitaires pour lesquelles nous avons désormais suffisamment de recul pour admettre que bien des bêtises, aussi irréversibles, ont été faites en amont et qu’il est grand temps d’en changer.
Les récentes révélations nationales, dévoilées dans le cadre du rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), quant à la présence notoire de résidus de pesticides dans l’eau du robinet ne me feront guère mentir, tout comme nos amis Antillais qui ne cessent d’en apprendre des vertes et pas mûres, au regard de leurs fameuses bananes à la sauce chlordécone, pour ne citer que cela ! Donc soyons clairs : non, l’utilisation de produits chimiques dans la production agricole n’est pas anodine, non nos anticorps ne feront pas de miracles face à tous cela et oui, qu’il soit question d’industriels fongicides, insecticides ou encore herbicides, ils ont tous leurs effets plus ou moins néfastes, en partant de l’agriculteur au consommateur, en passant par les foetus et nourrissons. Le décor est grossièrement planté, place au bio désormais…
Topo général local
Le bio c’est partir du principe qu’une agriculture se doit d’être respectueuse de l’Environnement dans son ensemble, tant pour la biodiversité, l’air, l’eau et les sols que dans le bien-être animal. Et la qualité des aliments n’en est que mieux nutritionnellement et gustativement parlant. Alors, vous me direz que la terre, initialement dans son ensemble, était justement déjà bio à sa création et qu’il en a toujours été ainsi dans cette approche traditionnelle.
Malheureusement, divers et nombreux facteurs, notamment démographico-économiques, ont fortement contribué à créer une industrialisation en ce domaine, avec les folles accélérations et dérives que l’on connait et pour lesquelles on en revient justement. Et du côté de notre fertile terre mahoraise, il est un élément important à souligner, celui que, culturellement, la prédominance se veuille toujours et majoritairement au naturel, en plus d’un extraordinaire potentiel et ça, il faut le justement le conscientiser, le soutenir, le préserver et, surtout, le valoriser. Telle est la mission de Calvin Picker, conseiller de développement en agriculture biologique au sein de l’Epfam depuis près de 2 ans. Alors qu’en 2020, il était timidement dénombré une petite dizaine d’agriculteurs mahorais justement certifiés Agriculture Biologique (contre 402 à la Réunion, soit un pourcentage de 0,002% à Mayotte contre 12% en Hexagone par exemple*), ils sont désormais 26 nouveaux à avoir été certifiés du sacro-saint logo AB en mars dernier et 34 à avoir entamé le processus, en vu de décrocher — à minima horizon 2025 — cette fameuse certification. « Les profils se veulent légitimement extrêmement variés, je peux avoir du vieux producteur de vanille, où la notion de naturel n’est même pas à expliquer tellement les pratiques se veulent ancestrales, tout comme un jeune agriculteur qui se lance avec le souci d’amorcer les choses dans le respect aspiré » nous introduit C. Picker, prêcheur de la bonne parole bio et indiscutable passionné, nourri d’un savoir en la matière, aussi international, depuis 2 bonnes décennies : « Les itinéraires techniques diffèrent également en fonction de l’historique du sol. Il est important de savoir avec quels types d’utilisation de produits et engrais organiques on se doit de partir etc. Dans les grandes lignes de période de conversion, nous sommes à 2 ans pour le maraîchage et 3 ans pour l’arboriculture. C’est le temps de régénération officielle estimée dans ce processus de certification AB ».
Comment ça se passe et par où commencer ?
Nous nous sommes rendus ce mercredi sur l’exploitation agricole et maraîchère de Kira Ali Bacari. Ancien entrepreneur en Métropole, cet ex-électricien est revenu vivre en ses terres de M’tsangamouji où il a décidé d’entamer, au final très récemment, une reconversion dans le milieu agricole. Issu d’un fratrie initiale de 8 frères et soeurs, il est le seul à avoir voulu donner un caractère pleinement professionnel à la culture de cette terre familiale, héritée de son père. Un challenge qui n’est pas des moindres sachant que l’approche justement professionnalisante en la matière n’est pas encore quelque chose de pleinement perçue sur notre île; tout le monde ayant pour intuitive culture celle du jardin mahorais et des week-ends à la campagne.
Officiellement répertorié comme agriculteur, Kira — dans son nouveau parcours d’installation — est donc allé suivre une formation courte d’approfondissement de connaissances, au sein du Lycée agricole de Coconi où il a non seulement pu rencontrer d’autres professionnels, ainsi que des encadrants, mais également des accompagnants dans ce processus de certification agriculture biologique, dont l’Epfam qui offre un point d’accueil et renseignements en ce lieu : « Faire du bio était déjà une volonté personnelle. Le fait d’avoir accès facilement à un certain nombre de données via ce stage et cette prise de contact avec Calvin m’a conforté dans l’idée que je voulais me lancer. C’est réellement un soulagement des plus rassurants, moi qui suis seul car il m’est apporté une expertise dans son large ensemble. Que ça soit technique, administratif ou même commercial, on est soutenu et cela est extrêmement porteur ». Ainsi, en plus de l’accompagnement de l’Epfam — principalement juridico-administratif — et des sessions de formation régulières, d’autres professionnels encadrants, basés notamment au LPA de Coconi, viennent apporter leur large expertise à même l’exploitation, comme par exemple celle d’un entomologiste qui pourra aiguiller l’agriculteur quant aux pratiques et plantations adéquates au regard de l’étude des insectes, déjà présents sur zone. Car oui, s’il existe des bébêtes un peu contraignantes pour la cohabitation maraîchère, chacune d’entre elles a ses spécificités et, contre toute radicale idée reçue, elles ne sont justement pas toutes à faire fuir, bien au contraire…
À noter que dans ce processus d’aide à la certification, volontairement appuyée des pouvoirs publics et notamment de la Daaf**, les agriculteurs se voient bénéficier, depuis cette année à Mayotte, d’un pécuniaire soutien versé annuellement.
Un gros frein levé et une fluidité de calendrier
Initialement, pour pouvoir prétendre à amorcer justement ce processus de certification, il fallait faire appel à un cabinet certificateur accrédité, implanté hors département. Au mieux la Réunion, au moins mieux, la Métropole ! Et concernant les frais engendrés par la venue de ce professionnel, en plus du prix de la certification en elle même, ils se voulaient à la charge des agriculteurs inscrits dans ce processus justement. Une double complexité, à la fois financière et logistique, qui en réfrénait plus d’un, ne garantissant pas toujours la possibilité d’adapter un roulement des audits de contrôle et de certification de manière régulière. Mais cocorico et mabawa ! Depuis cette année 2023, merci l’Epfam and Co. (Olé!), Mayotte dispose désormais de son propre certificateur local, reconnu par l’officiel et national organisme Certipaq Bio et le vertueux effet boule de neige s’enclenche, avec notamment des amorces de processus plus régulières.
Depuis ce début d’année, c’est déjà la 3ème session qui démarre, comprenant 7 agriculteurs, dont Kira qui a eu son audit initial ce lundi. Cet audit se veut de constatation et pose des bases avec notification des primo mesures et actions correctives à mettre en place dans un délai relativement réactif de 15 à 30 jours, hors cadre d’observations de non-conformité qui, pour le coup, sont un peu plus bloquantes. Pour notre maraîcher de M’tsangamouji, aucune grosse contre-indication en cette première visite, juste un nécessaire de régularité et de demande de dérogation pour des semences achetées localement, non estampillées bio (car cela n’existe pas encore à Mayotte) mais qui se veulent tout de même naturelles et non traitées. Prochaine étape donc, la seconde visite officielle dans un an mais qui peut être entrecoupée de visite(s) surprise(s) inopinée(s) pour justement s’assurer du sérieux, du plein engagement et de l’honnêteté de l’exploitant agricole; ce qui est aussi rassurant pour ses clients consommateurs, tout comme les données de production et superficie officiellement déclarées auprès des organismes étatiques escomptés.
Une vertueuse ramification et la volonté de transmettre
Afin de monter en cohérente puissance dans cette politique de structuration de l’agriculture biologique certifiée qui, au final, n’en est qu’à ses prémices sur notre sol mahorais, 3 professionnels de l’Epfam et 7 autres conseillers de différents bords éducatifs, estampillés agriculture, ont suivi en juin dernier, une formation sur les bio-intrants durant près d’une semaine. En somme, l’introduction d’alternatives naturelles pouvant entrer dans les processus de protection, de nettoyage, de désinfection et même de fertilisation des exploitations agricoles biologiques.
Une formation encadrée par Rémi Thinard, conseiller en agroécologie chez Symbiotik, venu de Métropole qui, avec son oeil expert aussi international, notamment en milieu tropicalisé, a été des plus agréablement surpris par le potentiel mahorais : « La marge de développement se veut énorme à Mayotte en termes d’implantation de l’Agriculture bio. Les pratiques traditionnelles ont permis de préserver la qualité naturelle des sols, en plus de conditions tropicales optimales. Souvent, l’argumentaire détracteur contre le bio se veut justement de dire que cela coûte cher. Lorsque l’on constate que la réserve alimentaire locale se base principalement sur de l’importation et que l’on voit les tarifs, l’agriculture locale est juste l’axe qu’il faut clairement prioriser sachant, de surcroît, que toute cette mise en place est facilement réalisable et intéressante aussi pour les exploitants. Les Mahorais ont conscience des répercussions néfastes des pesticides, il faut pleinement encourager cette filière biologique ».
Des encadrants encore mieux formés, prêts à transmettre leurs nouveaux (bio)savoirs en la matière, auprès d’autres acteurs et ainsi la fertile et porteuse connaissance se diffuse et s’allonge au plus grand nombre, telles de belles racines noblement enchevêtrées. Dès ce mercredi après-midi, Calvin Picker avait rendez-vous avec un exploitant de Mangajou, dans le cadre d’un nouvel audit initial. Le bio est marche et pour notre plus grand bonheur, il ne chôme pas ! Merci à tous ces protagonistes, Biomen & Women, activement conscients, qui oeuvrent chacun à leur respective et discrète échelle, pour un futur plus vert de notre département… À tous, Santé !
MLG
*Données 2020 Insee et Epfam / **La Direction de l’ alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte est un service déconcentré de l’Etat, à compétence interministérielle.