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La Mosquée de Tsingoni se dévoile peu à peu

Officiellement lancé le 3 juillet dernier, pour une durée d’un peu moins de 2 mois, le 1er volet du chantier de la plus vieille mosquée de France, s’inscrit dans une dynamique compactée et globale, mené notamment par les équipes de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). L’occasion de faire parler les murs et d’exposer au grand jour, un pan de l’Histoire de ce village de l’Ouest et, plus globalement, de Mayotte, cela va de soi…

En ces estivales vacances et en dehors des heures de prière, la quiétude règne aux abords de ce lieu sacré désormais sous le feu des projecteurs. Oui ! Les projecteurs mobiles des archéologues y travaillant à l’intérieur, en des postures, disons-le, plutôt complexes. Tantôt voûtés, courbés, tantôt à genoux ou sur-élevés, il y en a pour tous les goûts et fort probablement pour le plus grand bonheur des ostéo et des kiné… Ils grattent, ils aspirent, ils déblaient; en somme, ils sondent, farfouillent et étudient au millimètre près. Depuis 7h30, en ce mercredi matin, ils sont au total 6 archéologues, appuyés d’un géomètre; dans l’ensemble tous rattachés à la Direction interrégionale de l’Inrap Nouvelle-Aquitaine et Outre-mer.

L’archéologue Benjamin Bapst nettoie son lieu d’étude qui se voudrait partie extérieure de la toute première mosquée (devenue partie intérieure de l’architecture d’une mosquée à la fois ancienne mais plus récente)

Remettons les choses dans leur (récent) contexte 

En proie à des problématiques d’infiltrations, principalement dues à l’utilisation d’enduit de type béton — ne garantissant pas la pleine respirabilité des murs et l’évacuation de la vapeur d’eau — la mairie de Tsingoni a donc souhaité entreprendre des travaux de rénovation de sa mosquée. Une mosquée, rappelons-le, classée et répertoriée, par arrêté du 25 mars 2015, au titre de monument historique et qui se doit, légitimement, de respecter un certain protocole avant d’entreprendre quelconques travaux de réaménagement. C’est donc le très réputé cabinet d’architecture parisien Gatier qui a été désigné Maitre d’oeuvre, avec, en amont, un important travail de diagnostique, d’étude et d’état des lieux, géré conjointement par la Direction des affaires culturelles (DAC) de Mayotte — sous tutelle du Ministère de la Culture — ainsi que Virginie Motte, Conservatrice régionale de l’Archéologie Réunion-Mayotte. Un travail qui a confirmé le caractère historique et fortement intéressant de mener quelques recherches préventives avant de donner le plein feu vert à ce chantier de restauration.

L’architecte Jean-Baptise Lauwereys est en charge du décapage de l’enduit qu’il y a sur les murs afin d’étudier les maçonneries

Après un appel d’offre remporté par l’INRAP, le temps de mettre en place toutes les parties juridico-administratives et la logistique escomptées, c’est donc en ce tout début de mois dernier que les festivités archéologiques ont commencé, appuyées, bien entendu, d’un cahier des charges scientifique précis, aussi appelé prescription. Une prescription qui indique moult données, telles que les endroits où déblayer, creuser, à quelle(s) largeur(s), profondeur(s) ou encore quels types de techniques en vigueur il faut utiliser etc. En bref, le manuel du parfait archéologue préventif dans le cadre de fouilles qui se veulent, vous l’aurez compris, exhaustives avant de laisser place au futur projet qui suivra, assuré de ne pas détruire d’éminents vestiges.

Les vestiges de cette ancienne capitale du Sultanat de Mayotte au 16ème siècle ont révélé la présence d’une mosquée primitive en pierre pouvant dater du 14ème voire 13ème siècle

Une grande première en bien des points 

En effet, ce chantier archéologique s’inscrit dans une approche plutôt dynamique et interactive.

(à d.) Justine Saadi, responsable d’opération, souhaite offrir pleine visibilité à ce chantier très spécial en bien des points

À la fois classée historique, cette mosquée se veut également lieu de culte et de prière toujours actif et cette opposition, qui n’en est pas vraiment une, revêt un caractère plutôt novateur pour l’archéologue et responsable d’opération, Justine Saadi et ses équipiers : «  Il s’agit pour ma part d’une première tant dans les DOM que dans l’océan Indien. Nos recherches s’articulent également en fonction des temps de prière, respectant la quiétude des fidèles sachant que notre zone de chantier cohabite avec la partie rez-de-chaussée où ils font leurs ablutions. Nous nous arrangeons pour quitter momentanément les lieux et revenons à l’issue. Cette approche est au finale très enrichissante et permet de rappeler que l’Archéologie se doit aussi d’être vivante. Nous venons quasiment tous de Métropole et n’avons pas la prétention de connaître toutes les techniques de constructions traditionnelles. Cette promiscuité pousse les gens à venir vers nous et les échanges de leurs vécus, souvenirs ou même connaissances de leurs aïeux, sont extrêmement importants pour nos données. C’est au final un chantier ouvert et nous sommes sincèrement touchés et reconnaissants au regard des bienveillance et gentillesse des mahorais ».

Cette très ancienne sculpture découverte a été gravée dans du corail brut très fin, importé fort probablement du Monde Arabe peut être dans une approche ostentatoire

Une imprégnation aussi historiquement culturelle qui a justement été l’engouement et la motivation majeurs pour venir participer à ce projet ô combien singulier et peu commun. Eh bien oui ! L’Histoire de France et de ses colonies s’est toujours plutôt portée en un caractère religieux catholique. Il n’est guère coutumier, dans le cadre d’un projet national français, d’avoir l’occasion de venir scruter les parois et sous-sols d’une ancienne mosquée riche de son antériorité shirazienne.

L’entrée du chantier archéologique se veut donc jumelée à la salle d’eau, au rez-de-chaussée de la salle de prière

Montre moi ton bâti, je te dirai qui tu es…

Au regard de la promiscuité aussi des caveaux d’inhumation, l’étude initiale subodorait la présence de sépultures antiques datant donc du 16ème, voire peut-être même du 15ème siècle. Des sépultures qui, malheureusement après sondages bien encadrés et définis en amont, rappelons-le, n’ont pas exprimé cette révélation tant espérée.

L’archéologue Guilhèm Bernoux répertorie ses données au fur et à mesure, au niveau de la salle des caveaux. À sa gauche, on entraperçoit une partie du vieux minaret

À cette profondeur et en ce point précis, RAS* et pour ceux qui s’inquiéteraient et/ou s’offusqueraient en jugeant blasphématoire le caractère de l’approche, rappelons qu’il n’est autorisé fouille(s) justement que dans le cas où les sépultures n’ont plus d’identité. C’est donc une respectueuse manière de redonner vie à tout ce qu’a pu incarner, en amont, un défunt tombé dans l’oubli…

Donc, pour résumer, pas de sépultures dans l’immédiat mais une archéologie du bâti riche par la composition de ses différentes strates soulignant la temporalité des divers travaux de restructuration qui se sont modelés et ajoutés au fil des années, au moyen de matériaux en lien avec des époques bien précises. Calcaire marin, corail, céramique, dolomie ou encore basalte… Le plus ancien se tablerait sur de la roche sédimentaire de type grès. Qu’il y ait ou non ses 50 nuances, il est certain que la configuration et l’architecture même du lieu aient été modifiées en bien des points présentant, par exemple, une ancienne cour d’entrée, désormais couverte et fermée, à laquelle est aussi venu s’implanter un vieux minaret en pierres et de récents caveaux funéraires.

Marie-Hélène Jamois avait fait partie de l’équipe archéologique en lien avec les vestiges de l’usine sucrière de Tsingoni. En dessous d’elle, on devine de dessin de moulures et structures antérieures

Les sols et les murs parlent, permettant ainsi de comprendre, à travers le temps, l’évolution de ce site ô combien sacré pour les mahorais et de pouvoir définir, grâce à des prélèvements de sédiments, des datations bien plus exactes au regard de la genèse de ce lieu. 

Ce chantier s’inscrivant dans une configuration globale, c’est à dire faisant appel au chevauchement de plusieurs entreprises et corps de métiers, en un laps de temps plutôt réduit, il s’avère que, tel un effet domino, les équipes de l’Inrap ont malheureusement enclenché leur phase de travail et d’étude en retard. Ayant à coeur de pouvoir mener à bien leur mission — entièrement prise en charge par la Préfecture de Mayotte et qui doit se clôturer le 31 août prochain — une demande de petite prolongation, au prorata du temps perdu lord de la phase initiale de démarrage, a été formulée ce mercredi. En attente de validation de cette requête, les archéologues poursuivent activement leur chantier avec, de surcroît, un souhait d’organiser d’ici peu, une journée portes-ouvertes afin d’inviter le tout venant à découvrir l’envers du décor et l’Histoire de cette incroyable mosquée. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés lorsque cette date sera officiellement arrêtée.

MLG

La présence de l’archéo-anthropologue Yves Gleize permet d’offrir à l’équipe une lecture rapide de certains vestiges et même de certaines et rares ossatures trouvées. Ici, un coquillage faisant partie de matériaux antérieurs dans la fondation des murs
Souvent associés aux sculptures des églises catholiques, les trilobes font aussi partie de l’ornement d’anciennes mosquées
Ces deux mausolées shiraziens étaient à l’origine couverts de céramique. Ces sépultures sont fort probablement celles de riches marchands issus du chaféisme et venus du Sud de l’Iran. Ils se pourraient qu’ils aient été les premiers diffuseurs de l’Islam à Mayotte
Duyouf Soilihi, gérant associé chez DSM Créa fait les vas et viens entre l’intérieur et l’extérieur avec sa brouette chargée de gravats. Et dieu sait qu’il faut être costaud…
Darouechi Maoudjoudi est co-gérant de l’entreprise DSM Créa en charge de détruire les gros enduis cimentés pour ouvrir le chantier aux archéologues. C’est une première de travailler sur un site historique mais symbolique pour lui et son associé, originaires justement du village de Tsingoni
Quelques ossements trouvés issus probablement de micromammifères
Le géomètre Olivier Onezime est un passionné du Monde médiéval arabe. Il est en charge de procéder à tous les relevés des différentes structures et réalisera une photogrammétrie du site après nettoyage et découpage des murs. En sommes une vue 3D et précise de l’ensemble
16ème ? Pas si certain au final…
L’ambiance se veut plutôt tamisée sur le chantier…
Et au bout la lumière…
On distingue parfaitement ici les différents contrastes de couches et strates marquant visuellement des époques différentes
Chaque indice notoire est marqué, identifié et relevé. Ici, principalement, des unités sédimentaires
Les traces d’un ancien trilobe découvertes dans les murs en pierres
Anciennes écritures sculptées qui se dévoilent
La mosquée de Tsingoni n’a pas fini de faire parler d’elle… Infos supplémentaires 

 

 

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