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Mamoudzou

Société : Le sénat veut agir pour soutenir la parentalité des familles dans les outre-mer

Deux délégations du Sénat, celle aux Outre-mer et celle aux Droits des femmes, ont remis un rapport concernant la parentalité dans les Outre-mer. Selon les quatre élus du Palais du Luxembourg, il est urgent de soutenir la parentalité dans les territoires ultramarins qui sont confrontés à des défis économiques et sociaux majeurs. A Mayotte, sans doute le département le plus jeune de France, le rapport indique que les actions de soutien à la parentalité sont « insuffisantes voire défaillantes ».

Après plus de cinq mois de travaux, près de 120 personnes auditionnées et des déplacements en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, les rapporteurs ont formulé plusieurs recommandations afin que le soutien à la parentalité outre-mer ne soit pas « le parent pauvre des politiques familiales ».

Les travaux menés ont ainsi un double objectif : d’une part mettre en lumière les spécificités des structures familiales et parentales dans les outre-mer, dans toute leur diversité ; et d’autre part identifier les actions de soutien à la parentalité pertinentes et efficaces pour ces territoires et formuler des recommandations en matière de politiques familiales et sociales.

Un constat pas très reluisant

Les outre-mer connaissent des formes de parentalité propres à leur territoire (familles élargies, rôle central de la mère, non reconnaissance des enfants par les pères…). De plus, le niveau de vie des habitants des outre-mer est globalement inférieur à celui de la population hexagonale avec un taux de chômage plus élevé et des inégalités de niveaux de vie plus prononcées. À cela s’ajoutent des prix majoritairement plus chers que dans l’Hexagone et un octroi de mer, s’appliquant notamment sur les produits de première nécessité des enfants en bas âge, qui pèsent encore davantage sur le budget des familles. Aussi dans ces territoires les difficultés rendent nécessaire le déploiement et l’adaptation des politiques familiales, notamment à Mayotte où la population croît avec une forte natalité et une immigration importante.

Selon le rapport des sénateurs, la population s’est accrue en moyenne de 3,8 % par an à Mayotte entre 2012 et 2017. Plus de 10.000 enfants naissent chaque année dans l’île au lagon. La fécondité est près de deux fois plus élevée pour les femmes nées à l’étranger (6 enfants par femme en 2017) que pour celles nées à Mayotte (3,5). La moitié des familles de Mayotte compte au moins trois enfants mineurs et la moitié de la population a moins de 18 ans, les deux tiers moins de 26 ans, toujours selon le rapport.

Le 101e département français est aussi le plus pauvre avec 77 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté national. On constate des difficultés au niveau économique et social, au niveau des infrastructures et des services publics (hôpitaux, écoles, transports, électricité, eau et assainissement, établissements de loisirs…). En outre, la moitié des habitants est de nationalité étrangère et vit dans des conditions particulièrement précaires. Seuls 29 % des habitants sont couverts par la CAF de Mayotte, selon le rapport. Quant aux conditions de logement, elles sont problématiques.  Près d’un tiers (29 %) des logements ne disposent d’aucun point d’eau, 54 % uniquement de l’eau froide et 55 % n’ont pas de WC intérieurs. Les banga, construits pour l’essentiel en tôle, représentent 39 % des logements.

Par ailleurs certaines études montrent qu’environ 6.600 mineurs sont en risque majeur de désocialisation, faute de prise en charge. Ainsi, comme le soulignait, Michel Villac, président du HCFEA (Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge) , « A Mayotte, dont le niveau de vie est le sixième de celui de l’Hexagone, seul un tiers de la population est couverte (par la sécurité sociale). Cela veut dire que le code de la sécurité sociale, restrictif, ne protège qu’une part minoritaire de la population, malgré des besoins très importants ».

Concernant le versement des prestations familiales, Mayotte est un cas particulier. Ainsi, d’après les éléments fournis aux délégations par la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), à Mayotte, plusieurs prestations CAF versées dans l’Hexagone ne sont, à ce jour, pas ouvertes pour le territoire mahorais. Il s’agit notamment de la prime à la naissance et à l’adoption ; de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) ; du complément de libre choix du mode de garde (CMG) pour l’emploi direct (projet d’ouverture fin 2023/début 2024) ; de l’allocation de soutien familial ; de l’aide personnalisée au logement (hors APL logement foyer). De même, certaines prestations ou minima sociaux versés à Mayotte ont des montants inférieurs et/ou des conditions d’ouverture de droits plus restrictives que dans les autres DROM. C’est le cas de l’allocation familiale ; du complément familial ; du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d’activité ; de l’allocation aux adultes handicapés.

Certains habitants vivant à Mayotte depuis de nombreuses années n’ont jamais régularisé leur situation administrative et ne peuvent donc bénéficier des prestations qui exigent la preuve de quinze années de présence continue sur le territoire. De plus, comme a indiqué Enrafati Djihadi, directrice de l’Udaf de Mayotte, devant les rapporteurs, « Certaines familles mahoraises ne peuvent bénéficier du RSA car elles sont mariées selon le droit local et non le droit commun ». Ce qui explique que, malgré un fort taux de pauvreté, seul un tiers de la population mahoraise bénéficie des prestations familiales ou sociales.

Pour le président du HCFEA, il convient de « se pencher en priorité sur l’allocation de base de la Paje (Prestation d’accueil du jeune enfant), les allocations familiales pour trois enfants et plus et le complément familial. Cela n’aurait sans doute pas de sens d’aligner le RSA à Mayotte sur son niveau en métropole. En revanche, il faut avoir pour objectif une parité sociale globale. En outre, le logement représente évidemment un enjeu fondamental. Les difficultés sont massives à Mayotte et en Guyane, moindres dans les autres départements, si l’on excepte certains quartiers. Quoi qu’il en soit, il faut intensifier l’effort de résorption de l’habitat insalubre et déployer l’aide personnalisée au logement (APL) avec plus de vigueur », assure-t-il.

S’agissant du RSA (Revenu de solidarité active) versé à Mayotte, Nassimah Dindar, sénatrice de La Réunion, estime nécessaire qu’il soit « aligné sur le niveau des autres territoires, pour une raison très simple : les Mahorais viennent à La Réunion pour percevoir un RSA largement supérieur, quitte à faire des allers-retours. Ce serait aussi un moyen de traiter le cas des mineurs non accompagnés et de réduire les carences éducatives ».

De plus, comme l’a expliqué devant les délégations Philippe Fery, directeur général de la CSSM (Caisse de sécurité sociale de Mayotte), « Les orientations de la branche famille de la CSSM sont définies par des conventions d’objectifs et de gestion (COG). Les moyens sont donnés à travers l’action sociale et familiale. Toutefois, l’action de la CAF de Mayotte est limitée aux familles en situation régulière. La CSSM est donc relativement inopérante face aux enfants isolés, a fortiori lorsque ceux-ci quittent le système scolaire ». Certaines familles n’ont pas connaissance des droits auxquels elles peuvent prétendre. Ainsi à Mayotte, le directeur des prestations de la CSSM, Rémy Posteau, a précisé aux délégations que « le taux de couverture des crèches avoisine les 4 % sur ce territoire ».

Par ailleurs, la question du taux de scolarisation des enfants en âge d’aller à l’école est particulièrement problématique à Mayotte où la proportion d’enfants de 3 ans scolarisés est de 64 %, d’après les chiffres fournis par le HCFEA, contre 98 % dans l’Hexagone. À Mayotte, Unicef France a relevé que le nombre estimé d’enfants n’ayant pas accès à l’éducation était de 9.500. Parmi les freins à la scolarisation des enfants à Mayotte, l’association a notamment identifié « une absence de repérage et d’identification des enfants non scolarisés. Dans certains quartiers informels, il est notamment très difficile de savoir si l’ensemble des jeunes sont scolarisés ou non, ce qui complique la collecte de données de qualité. S’y ajoutent des difficultés d’inscription à l’école, parfois liées à des pratiques illégales de la part de certaines municipalités. Enfin, les conditions de logement, de transport, voire de restauration peuvent rendre difficile l’accès et le maintien à l’école ».

Les collèges et lycées de Mayotte sont les établissements avec les plus forts taux d’occupation d’Europe. Comme l’a indiqué aux quatre sénateurs, Tony Mohamed, président de l’association Espoir et réussite à Mayotte, « A Mamoudzou, 5.000 enfants attendent encore d’être scolarisés ». « Nous luttons contre les classes surchargées, les rotations d’effectifs, le rythme scolaire, le manque de personnel, l’absence de réfectoire et l’inadaptation des collations aux besoins nutritionnels. Malgré des avancées, les défis restent entiers », a également rappelé, Rafa Youssouf Ali, présidente de l’Union départementale de la confédération syndicale des familles (UDCSF) de Mayotte

Les principales recommandations du rapport

Aussi, les recommandations s’articulent autour de quatre axes majeurs : mieux sensibiliser aux enjeux et aux responsabilités de la parentalité en reconsidérant la place du père dans les politiques familiales et en développant les mesures judiciaires d’aide éducative ; aider et accompagner les familles précaires et vulnérables en déclinant l’information relative aux politiques familiales et parentales sur des supports de communication mais aussi en promouvant les projets combinant soutien à la parentalité et lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme ; renforcer les services de proximité pour tous en faisant du futur service public de la petite enfance (SPPE) une opportunité pour rattraper le retard des outre-mer et également en densifiant le réseau des lieux d’accueil enfants-parents, des écoles des parents et la médiation familiale, avec un plan d’urgence pour Mayotte ; soutenir les acteurs associatifs et mieux coordonner les actions en musclant le réseau des associations locales grâce à plus de financements pluriannuels par exemple.

Ainsi pour répondre au mieux aux besoins des familles et accompagner les parents dans leur rôle, le rapport préconise de « Généraliser les Observatoires de la parentalité, en s’inspirant de l’expérience réunionnaise, pour récolter, exploiter et diffuser données et connaissances ». Afin d’impliquer davantage la figure paternelle dans l’éducation des enfants, le rapport recommande de « Reconsidérer la place du père dans les politiques familiales en luttant contre les idées reçues relatives aux effets sur le bénéfice des prestations familiales d’une reconnaissance légale par le père et en associant davantage les pères aux dispositifs de soutien à la parentalité ».

En matière d’éducation, le rapport suggère de « Dispenser dans tous les collèges et lycées des outre-mer les séances obligatoires d’éducation à la vie affective et sexuelle, de développer la prévention des grossesses précoces et de conforter les dispositifs permettant aux jeunes mères de concilier leur vie familiale et le Service militaire adapté (SMA) ».

Pour favoriser la pratique de la langue française et diminuer l’illettrisme, il convient de « Décliner l’information sur les politiques familiales et parentales sur des supports adaptés à la diversité des populations concernées mais aussi de développer les projets combinant lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme et soutien à la parentalité ».

Pour apporter des prestations et services à la hauteur des besoins, il faudrait « Réaliser une étude comparative des incidences budgétaires et socio-économiques pour les familles des différents systèmes de prestations sociales entre l’Hexagone et les territoires ultramarins ». Afin d’améliorer l’accès aux droits et l’« aller-vers », les sénateurs souhaiteraient « Consolider la présence des CAF au plus près des familles et développer des guichets uniques ».

Concernant la scolarisation et un meilleur accueil des enfants, le rapport indique qu’il faut « Faire du futur service public de la petite enfance une opportunité pour rattraper le retard des outre-mer en matière de mode de garde et également de renforcer l’accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire ». Afin de soutenir davantage la parentalité, le rapport recommande que « Lorsque le domicile est éloigné du centre médical adapté, de proposer des solutions d’hébergement temporaire pour les femmes enceintes ou bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation et les parents de grands prématurés ». Mais aussi de densifier les lieux d’accueil enfants-parents et les écoles des parents, en particulier en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin où des plans urgents de rattrapage sont nécessaires. Il est également primordial de développer les mesures judiciaires d’aide éducative et d’aide à la gestion du budget familial.

Enfin pour renforcer le travail des acteurs locaux de proximité, les rapporteurs préconisent, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion État-Cnaf 2023-2027, d’inscrire un volet « soutien à la parentalité outre-mer », qui autoriserait notamment les CAF à financer des projets à 100 % et augmenterait les crédits disponibles pour développer les services aux familles. Et pour les associations : « accroître la part de financements pluriannuels et les inciter à s’appuyer sur les fédérations nationales pour monter en compétences (formation, ingénierie administrative…) et simplifier et renforcer la gouvernance de la politique de soutien à la parentalité ».

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