C’est une venue plutôt discrète, voire peu protocolaire, que les députées Perrine Goulet et Michèle Peyron ont octroyé à Mayotte. Une venue impulsée par un choix quasi autonome depuis la création, le 13 septembre dernier, de cette Délégation aux droits des enfants au sein de l’Assemblée. Une requête formulée de longue date antérieure, suite aux recommandations de la mission parlementaire sur l’Aide sociale à l’enfance, par les prédécesseurs mais aussi les actuels élus départementaux sous mandat. L’occasion pour notre rédaction de nous entretenir telle une sorte de bilan post 3 jours de cette visite avec ladite présidente, également députée démocrate MoDem de la Nièvre.
Il me semble que Mayotte est votre première destination DOM dans le cadre de cette mission, alors pourquoi et comment s’est organisée cette délégation des plus restreintes ?
Perrine Goulet : En tant que présidente, je fais moi-même des déplacements en divers départements de la Métropole; j’affectionne la réalité du terrain mais cette facilité de mouvance et de rendez-vous qui peuvent être faits même en une journée, en Hexagone, ne sont guère le cas dans les territoires ultramarins. Dès ma nomination, j’ai souhaité que les députés soit missionnés, dans le cadre de cette délégation, pour se rendre dans les Outre-mer car il était hors de question qu’ils soient oubliés. Compte-tenu de la départementalisation récente de Mayotte, des divers rapports déposés par nos collègues, des informations remontées et des besoins qui diffèrent des autres départements, nous avons pensé avec Michèle Peyron qu’il était normal de commencer ici nos missions, hors territoire métropolitain. Cette mission s’est volontairement voulue allégée afin de faciliter l’accès, le dialogue et les échanges. Pour ma part, c’est totalement une première, tout territoire ultramarin confondu.
Quelles sont donc les complexités singulières propres à Mayotte que vous avez déjà pu notifier, en plus des rapports lus en amont ?
Perrine Goulet : Lorsque l’on regarde la courbe de la natalité à Mayotte, on se rend bien compte que la départementalisation n’a pas changé le mode de fonctionnement et les mentalités. Il n’est pas question d’un appel d’air mais plutôt d’une problématique effectivement à prendre dans son ensemble. Un ensemble géographique régional auquel se greffe la gestion démographique liée aussi à une forte immigration qui a été quelque part cautionnée et alimentée aussi par les Mahorais; soyons honnêtes, c’est une réalité de service de proximité bon marché et tout cela mis bout-à-bout fait que nous arrivons aux différentes crises actuelles que nous connaissons tous. Un effet domino qui a pris trop d’importance et qui dépasse la population et les élus désormais. Nous sommes dans une configuration délicate où il faut entendre la souffrance des Mahorais, certes, mais aussi comprendre qu’elle a une source. Il est donc question d’une gestion géopolitique qui se greffe effectivement à la singularité de Mayotte.
Il est souvent indiqué que les divers challenges de la Guyane sont assez similaires à ceux de Mayotte, qu’en pensez-vous ?
Perrine Goulet : Pour être honnête, il est fort probable que la Guyane soit effectivement notre prochaine destination mission, bien que notre budgétisation déplacement soit restreinte. Beaucoup d’enjeux caractérisent ces 2 territoires. C’est bien d’entendre et de lire les différents rapports de nos homologues locaux à l’Assemblée nationale mais parfois les visions, par force de l’habitude, ne voient pas ou plus certaines choses; raison double pour laquelle un déplacement concret sera toujours plus enrichissant et révélateur. Et moi d’autant plus, avec mes yeux neufs entre guillemets, qui n’a absolument pas d’autre comparatif Outre-mer et encore moins une approche insulaire et même africaine, disons-le. J’ai vu des choses ici qui me heurtent, notamment en termes de scolarisation, qui est pour moi la base de tout fondement d’une société et encore plus de la citoyenneté française. Et je n’en avais pas forcément eu vent à l’Assemblée nationale. On entend légitimement parler des problèmes de l’Eau et de l’Insécurité mais ce qu’il faut comprendre c’est que l’Éducation est forcément liée à la Sécurité. L’Éducation c’est juste la base de l’Avenir de toute société.
Si les enfants ne vont pas à l’école, pendant ce temps là, ils vont s’occuper de manière non saine. À mon sens, tant que nous n’avons pas régler ce problème de scolarisation pour l’ensemble des enfants de Mayotte, on ne réglera pas le problème de la Sécurité.
Oui mais comme vous le savez aussi, les structures scolaires officielles ne sont pas indéfiniment à rallonge et de création immédiate ! C’est le cercle vicieux du serpent qui se mord la queue…
Perrine Goulet : Ah mais complètement ! Lorsqu’on me dit qu’il nait chaque jour une classe entière à Mayotte, cela montre l’ampleur du travail à accomplir. Après, il existe aussi des associations qui proposent des pseudos alternatives de scolarisation; au moins un accompagnement à minima des enfants pour lesquelles on octroie légitimement des aides mais il serait intéressant de voir si, du point de vue législatif, il ne serait pas pertinent de lever quelques freins, notamment liés au fait que la notion de scolarité soit forcément quelque chose de relié à l’Éducation nationale. Il y a donc déjà des questions et des pistes qui se dessinent et que nous comptons soulever à l’Assemblée nationale. Le but étant de regarder qu’est-ce qu’il serait intéressant de débloquer pour essayer de trouver des alternatives. À cela s’ajoute également un effet pervers, notamment au niveau des classes moyennes. En effet, la plupart des enfants de Mahorais ou de fonctionnaires qui viennent à Mayotte, repartent lorsque leurs enfants entrent dans un degré de scolarisation plus important car comme il est complexité ici et que le niveau se veut plus bas pour divers facteurs; on ne préfère donc pas pendre ce risque pour l’Avenir de ses enfants en privilégiant une scolarité ailleurs, hors département. C’est ainsi, toutes ces ingénieries et têtes pensantes de Mayotte qui s’en vont; raison plurilatérale pour laquelle, je pense, il est indispensable de prioriser la problématique de l’École ici.
C’est une question que nous soulevons de plus en plus et encore dernièrement, je l’ai directement posée auprès du cabinet de la Première ministre dans le cadre du CIOM : pensez-vous que l’efficiente solution pour lever certains freins serait liée à une plus grande autonomie territoriale et législative ?
Perrine Goulet : Je ne sais pas si dans la loi il faut instituer des choses comme ça, par contre oui, sur certains dispositifs, il faudrait effectivement laisser la main au préfet et pas que dans les territoires d’Outre-mer d’ailleurs. Il existe déjà un certain nombre de dispositifs qu’il serait intéressant de pouvoir adapter localement, de manière bien plus simplifiée. Par exemple pour Mayotte, je pilote moi-même le budget pour l’Égalité des chances alimentaires et petit déjeuner gratuit etc., j’ai donc posé la question en ce sens, pour savoir comment cela s’appliquait ici. Il m’a été répondu que pour pouvoir bénéficier de ce fonds notamment européen, il faudrait, entre guillemets, graver et tracer les bananes, les mettre sous plastique pour normes d’hygiène afin de pouvoir les distribuer aux enfants. Vous vous doutez bien qu’on ne va pas faire ça ici ! Donner une banane pour que l’enfant mange à minima, c’est quelque chose qu’on peut faire de manière directe et simplifiée. Donc là aussi, on voit bien qu’il y a des conditions qu’il serait à revoir et assouplir car cela représente un réel frein.
Nous pourrions ainsi utiliser ces fonds européens pour pouvoir assurer un repas à des enfants dans le besoin, sans passer par des complexités logistico-législatives qui n’ont pas lieu d’être. De vous à moi, lorsqu’on regarde déjà certaines conditions de vie, face à une réalité sanitaire qui prouve la capacité naturelle de résilience des enfants, il serait peut-être plus intelligent et cohérent de leur donner directement une banane ou autre, sans pseudo normes hygiéniques européennes et plastification autour, pour qu’ils puissent manger. Un moment donné, il faut être pragmatique !
Comment s’est articulé votre agenda visites sur ces 3 jours plutôt compactés ?
Compactés, vous l’avez bien dit mais riche d’échanges et d’informations. Nous avons rencontrés les services de l’Agence régionale de Santé (ARS), diverses structures associatives, des forces de sécurité et de l’ordre, ainsi que la vice-présidence départementale et la présidente du tribunal judiciaire. Nous avons également visité la maison de la gendarmerie en lien avec les violences intra-familiales, le Centre de rétention administrative (CRA), pour se rendre compte des conditions et mise en place du dispositif, en plus des échanges sur les politiques publiques que nous avons eus avec les divers services préfectoraux. Par ailleurs, nous sommes aussi allées à la rencontre des habitants dans le quartier de Majicavo Lamir, récemment décasé, et avons discuté avec des enfants qui jouaient non loin d’un terrain de foot. Pour l’anecdote, leur seule demande a été un ballon de foot ! Ça en dit long…
Je simplifie volontairement mais donnons plus ballons à ces enfants dans la rue et ils feront peut être moins de bêtises ! Il est question de les occuper, c’est juste normal. Des éducateurs et acteurs/grands-frères de proximité, en plus grand nombre seraient aussi une politique à privilégier pour ne pas que cette jeunesse soit si précocement livrée à l’autonomie dans la rue.
Concernant le volet scolarité, le recteur n’étant pas présent, nous n’avons pu le rencontrer mais comptons bien nous entretenir avec lui très prochainement via visioconférence.
Quelle est donc la suite des événements ?
Perrine Goulet : Alors qu’il soit question de ma collègue Michèle ou de moi-même, nos spécificités sont liées à l’aspect financier; c’est tout de même le nerf de la guerre ! Nous allons donc essayer de voir s’il n’y a pas possibilité d’ajouter des financements supplémentaires à Mayotte. Mais surtout, nous allons pouvoir relayer à nos collègues, les problématiques que nous avons pu constater. De mon côté, je compte bien aller voir le nouveau ministre des Outre-mer, qui est un collègue MoDem, pour lui faire part concrètement de ce qu’on a vu et essayer d’avancer dans le sens des besoins de ce jeune département; sachant de surcroît les spécificités annoncées par le Gouvernement au regard de la loi Mayotte pour laquelle il serait intéressant d’apporter les modifications nécessaires. Soyez certains que vous avez deux voix supplémentaires qui porteront les couleurs et la défense de Mayotte au sein de l’Assemblée nationale et ce, même si nous ne sommes pas députées de Mayotte ! En plus de celui des Outre-mer, je souhaite aller discuter avec d’autres ministères notamment celui de l’Éducation nationale.
N’attendez pas un grand pas révolutionnaire mais, je me répète avec sincérité, vous avez acquis deux ambassadrices supplémentaires à l’Assemblée. Un compte-rendu sera probablement rédigé et présenté à la rentrée. Je suis honnête, très à chaud, je suis encore très prise par l’émotion de ce que j’ai pu voir durant ces 3 jours. Il faut donc prendre un intelligent et sain recule pour pouvoir mettre sur papier tout ça; voir ce qu’on peut bouger, re-trier les données et définir les pertinentes pistes prioritaires. Je n’enlève pas le fait qu’indéniablement il y a cette problématique de l’Eau à gérer en urgence mais pour mon volet Enfant, c’est l’Éducation la base de tout ça.
J’ai pour habitude volontairement candide de demander en conclusion de certaines de mes interviews ce que les personnes feraient si elles étaient armées d’une baguette magique; je me permets donc de vous poser cette même question Madame la députée et présidente de la Délégation parlementaire aux droits des enfants ?
À Mayotte les gens sont foncièrement souriants, attachants, le dialogue direct dans sa simplicité est une richesse incroyable en plus du cadre en lui même; je suis vraiment étonnée que ce territoire n’ait pas encore (pu) développé(r) son Tourisme. En toute objectivité, tant qu’on n’aura pas résolu cette histoire d’Éducation et de scolarité, on restera bloqué. Par l’Éducation, on aura moins de délinquance et avec moins délinquance, on pourra développer le Tourisme.
Et lorsqu’on aura amené plus de Tourisme à Mayotte, on amènera plus d’autonomie de gestion pour ce département et on pourra ainsi peut-être aider un peu plus la gestion des voisins comoriens. Qu’on le veuille ou non, sans se voiler la face, tant qu’on ne développera pas les Comores, on ne pourra pas gérer cette crise des flux migratoires. Et même si effectivement certains élus soulèvent le fait qu’on ne peut pas scolariser tous les enfants, et d’autant plus les étrangers, je voudrais dire que même s’il est question d’amener ces enfants à une scolarisation jusqu’à leur majorité, avant de les refaire partir dans leur pays d’origine, pour certains, ils auront ainsi acquis une capacité de connaissances et de réflexions qui leur permettra probablement de développer leur propre pays. Aujourd’hui, il est important de voir aussi la situation dans ce sens. Ça n’est seulement que par l’Éducation que les choses évolueront. Si on pousse tout le monde vers le haut, on peut aussi espérer que ces enfants pousseront l’Avenir de leur pays. Il n’est pas question que les Comores restent telles qu’elles sont pendant encore des années. On ne s’en sortira clairement pas.
Donc avec ma baguette magique, je mets tous les enfants à l’école. Ils sont l’Avenir de Mayotte, ils incarnent tout ce dont ce département a besoin en termes de politique et services publics, de sages-femmes, de professionnels de tous bords, d’acteurs sociaux, d’animateurs et professionnels sportifs, de futurs ambassadeurs capables de monter et de valoriser l’activité culturelle et touristique du territoire etc. Il faut investir dans cette Jeunesse pour voir sur du long terme.
Propos recueillis par MLG