« On n’a pas envisagé l’avenir, on pensait sans doute que l’on serait tranquilles pour 20 ans mais l’augmentation de la délinquance et sa particularité ici insulaire avec une démographie que vous connaissez fait qu’on a vu trop court, et naturellement on se retrouve confrontés à une situation dans laquelle on a une surpopulation carcérale qu’il faut absolument régler ». De qui viennent ces propos ? Pas d’un surveillant de prison en colère, mais d’Eric Dupond-Moretti lui-même, lors de son passage à Mayotte en mars 2022. Le Garde des Sceaux avait annoncé la construction d’un 2ème centre pénitentiaire, ajoutant « pas dans 20 ans », invitant le préfet à trouver le foncier pour le réaliser.
Depuis, l’opération Wuambushu est passée par là, et de nombreuses menottes ont été passées au tribunal. Le procureur Yann Le Bris l’a toujours martelé, le repère de son curseur, ce n’est pas la capacité de la prison à accueillir, mais logiquement la délinquance à éradiquer.

Au sein du centre pénitentiaire, les surveillants nous assurent avoir fait remonter à leur direction leurs difficultés quotidiennes, « mais nous n’avons jamais eu de réponse à la hauteur de la situation ». D’où leur décision de bloquer les entrées ce lundi matin, « nous laissons passer le personnel médical et l’intendance pour la cuisine », nous indiquent-ils.
« Je ne suis pas ici pour mourir ! »
Leur triple revendication porte sur le doublement des agents à chaque étage, l’extension de l’actuel établissement, et la construction du 2ème centre pénitentiaire. « J’ai fait 7 ans en métropole, j’ai demandé ma mutation à Mayotte, mais je ne suis pas ici pour mourir !, lâche un surveillant natif de l’île, Il y a 615 détenus pour une capacité de 280. Quand on entre dans une cellule, ils sont 5 ou 6 en moyenne, et certains sont menaçants. La semaine dernière, l’un d’entre eux a mis le feu à sa cellule. Nous sommes intervenus à temps heureusement. »
De son côté Mouhamadi Houmadi, délégué FO Pénitentiaire, insiste sur d’autres risques : « Certains prisonniers détiennent des objets illicites envoyés de l’extérieur, on en découvre régulièrement. »

Ils se disent lassés par les promesses, « nous demandons des écrits de la part de la Direction de l’administration pénitentiaire sur une amélioration des conditions de travail. »
Nous avons contacté le directeur du centre pénitentiaire de Majikavo, qui nous a expliqué être « occupé à informer sa hiérarchie », et qui n’a donc pu nous fournir plus d’information sur les démarches en cours, « pour l’extension du bâtiment, c’est à l’étude », explique-t-il.
« Vous êtes là pour Wuambushu, pas pour nous ! »
Peu à peu, le nombre de surveillants à garder le portail devient inférieur à celui des gendarmes qui tentent de négocier l’ouverture, « vous avez le droit de manifester, mais pas de bloquer ». Les synidcalistes, micro en main, donnent des heures buttoir, « mais ils ne les respectent pas », maugrée un gendarme. Les pneus flambent de plus en plus haut. Au micro, on se motive, « A La Réunion, les collègues eux-aussi ont fait un mouvement pour dire stop aux transferts des détenus de Mayotte. Les gendarmes, avec nous ! Vous êtes venus pour Wuambushu, pas pour nous », s’adressent-ils aux mobiles très majoritaires sur cette gestion de mobilisation, déclenchant quelques sourires chez les militaires.

A la prière « Allah akbar » succède une Marseillaise, « on lève à 9h30 ! », lance une voix. Un quart d’heure après l’ultimatum, pas de changement, les gendarmes ajustent leurs casques, un bras se lève, le diffuseur lacrymogène fait son effet en libérant en 5 secondes le portail. Une disqueuse plus tard, la chaine tombe, l’accès est tenu par les gendarmes.
Mais la mobilisation ne faiblit pas, et les pneus continuent à alimenter le feu au milieu de la route, empêchant la circulation de véhicules. Appelés sur place, les pompiers n’interviendront finalement pas, le feu s’éteindra faute de combustible.
Un point sur l’état des projets d’extension et de 2ème bâtiment est d’autant plus urgent que l’opération Wuambushu a montré qu’un simple duplicata de capacité de la prison ne sera mathématiquement pas suffisant. Avec un taux de remplissage de 230% de l’actuelle, on dépasserait immédiatement les 100% sur les deux bâtiment.

« Dans une situation de surpopulation pénitentiaire, on ne peut rien faire, on ne peut que subir. Et les premiers qui subissent ce sont les agents, les détenus aussi, et ça, ce n’est plus possible. Nous sommes prêts à mettre l’argent, il nous faut un terrain, et ce n’est pas la Chancellerie qui peut trouver le terrain », le dernier mot au ministre de la Justice…
Anne Perzo-Lafond