Un projet qui n’est pas des moindres en termes d’investissement technique, personnel mais aussi émotionnel, sachant la longévité dans laquelle s’est inscrite cette brillante idée orchestrée par les agiles mais non-moins subtiles baguettes d’Isabelle Fougère et de Miquel Devewer-Plana; tous deux auteurs réalisateurs.
C’est donc depuis la rentrée 2020-2021 que nos jeunes élèves des collèges de Kwalé et de Marcel Henry, alors en 5ème, ont quelque part scellé un pan de leur scolarité de l’enseignement secondaire avec leurs camarades-homologues des quartiers prioritaires de l’Agglomération du GrandAngoulême, située en région Nouvelle-Aquitaine. Un pan plutôt conséquent où l’on évolue physiquement, intellectuellement mais aussi du point de vue de l’approche émotive où il est aussi question de quitter la phase pré-ado pour se diriger en flèche vers celle de pré-adulte. Et c’est justement cette évolution que leurs respectifs professeurs encadrants chaque année, aux côtés de leurs proviseurs ainsi que des 2 artistes producteurs précités, ont pu sacraliser, au travers d’un intensif travail audiovisuel, dont le résultat se veut proche d’une réalisation parfaitement professionnelle.
Posons le décor
Angoulême-Mayotte, c’est donc 4 classes de collégiens (2 à Angoulême, 2 à Mayotte) saisis dans le courant de leur année de 5ème et suivis durant près de 3 ans pour un même travail audiovisuel dans son ensemble, visant la production de courts métrages pour une diffusion chaque fin d’année. Angoulême-Mayotte c’est 3 documentaires annuels par classe, d’une durée de 10 minutes; soit 6 par territoire, 12 productions annuelles et 36 au total… Vous l’aurez compris, ça déménage niveau production ET post-production.
Mais le but de tout ça vous me demanderez ? Et bien encourager les élèves concernés à être curieux de découvrir leur propre territoire, le comprendre afin de mieux l’introduire, tels de parfaits ambassadeurs finalement, à des camarades que tout opposent en apparence, vivant de surcroit à plus de 8 000 kilomètres de là. « Nous sommes partis d’un même constat et ce, quel qu’en soit le lieu, qu’il existe des espèces de frontières invisibles et psychologiques touchant ces jeunes qui, manifestement, n’évoluent pas en dehors de leur quartier », nous confie avec bienveillance Miquel Devewer-Plana avant de poursuivre : « Le but de ce projet était de leur montrer que le Monde ne s’arrête pas au bout de leur rue et qu’il était important qu’ils s’intéressent à bien d’autres choses pour mieux s’ouvrir et donc s’ouvrir à l’autre. Et ils étaient seuls à choisir leurs sujets ».
Sel de Bandrélé, univers du dessin, Seconde Guerre-mondiale, chef étoilé, coraux du lagon mahorais, Palais de justice d’Angoulême, centre hospitalier de Mramadoudou, fouilles archéologiques et dinosaures pour ne citer que cela… Un travail d’ouverture mais aussi de socialisation sachant l’indispensable approche d’une complémentaire mutualisation des moyens où, par force des choses, chacun doit prendre sa place mais aussi laisser suffisamment d’espace à l’autre. Un sociable cercle vertueux de conscientisation, tout en développant son expression artistique à travers l’écran, au moyen de thématiques aussi diverses que variées.
Mais pourquoi Angoulême ?
Un heureux concours de circonstance à effet domino made in Angoulême d’où sont originaires les 2 réalisateurs encadrants mais aussi notre directrice du tout moderne Pôle Culturel de Chirongui, Lisa Patin qui, à l’époque encore, courant 2020, occupait ses précédentes fonctions du côté de ladite agglomération ouest métropolitaine.
Une agglomération qui, contre toute attente, compte depuis quelques récentes années une forte communauté mahoraise. Une communauté encore peu intégrée dans les services de vie des quartiers et notamment du point de vue associatif et culturel. À cette même époque, Isabelle F. et de Miquel D.P. venaient de terminer un projet pluriannuel quasi similaire, entre des lycéens de La Réunion et de Mayotte. Projet qui avait rencontré un certain succès au moyen notamment d’une diffusion finale télévisuelle sur la regrettée chaîne France Ô et qui, de surcroît, était aussi en projection dans les divers centres sociaux français relatifs aux quartiers populaires, GrandAngoulême inclus. C’est donc dans cette volonté de mettre en valeur et d’introduire pleinement cette jeune population mahoraise exilée en Héxagone qu’est née l’idée d’Angoulême-Mayotte. Et comme un superbe fait exprès, quelques mois après le début de la mise en place de ce projet, l’énergique directrice concernée prit donc ses fonctions, courant 2021, dans la région sud-ouest de notre île. Tout était écrit; à vos marques, prêts, filmez !
Un projet à portée nationale auquel on croit
Et pas simplement dans une approche simpliste ou ultra-démago, non ! Nombreux sont les partenaires associatifs mais aussi institutionnels, rectorats et ministères inclus : « Aujourd’hui, les personnes qui méritent d’être pleinement applaudies, c’est vous » déclare Thierry Denouylle, directeur académique adjoint, présent à cette projection et s’adressant aux élèves dans la salle, « Les enjeux sont au delà du produit final, il est question d’ouverture, même internationale car oui, bien que Mayotte soit un département français, il a aussi cette pleine portée internationale. Il est question d’apprentissage et d’une prise de maturité accélérée. Même si vous ne vous en rendez pas encore compte, cette expérience vous marquera à jamais et j’espère que vous comprendrez un jour à quel point nous vous avons poussés et soutenus dans cette évolution. Croyez-en vous et surtout, soyez fiers ».
Une fierté qui peut, sans rougir, être étalée au grand jour, sachant la nomination de ce projet Angoulême-Mayotte pour la phase finale du prix national de l’Audace artistique et culturelle en partenariat avec les ministères de l’Éducation nationale, de la Culture et de l’Agriculture ainsi que de la Souveraineté alimentaire. Rien que ça ! C’est donc ce projet que le rectorat de Mayotte a décidé de présenter au regard notamment de la thématique de cette année qui se veut sous le signe « du décloisonnement ». On ne pouvait pas mieux tomber niveau raccord. Si nos jeunes Francis Ford Coppola ou encore Yann Arthus Bertrand* mahorais en herbe apparaissent parmi le classement des lauréat finaux, ils monteront dès le mois prochain, au sein même du 110 rue de Grenelle**, dans le 7ème arrondissement de Paris, où ils se verront remettre un prix par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Pap Ndiaye, en personne.
Croisons les doigts pour eux et pour tous ceux qui les encouragent dans l’ombre, chaque jour, afin de croire en leurs rêves et passions. Outre la reconnaissance même propre à ce prix, il est incontestable que cette expérience qui leur a été offerte est avant tout l’opportunité de leur montrer que dans la Vie tout peut être envisageable si l’on s’en donne l’énergie nécessaire canalisée et les moyens. Nulle barrière n’existe lorsque la motivation est palpable, dictée par le coeur et ce, quel qu’en soit le contexte. Notre jeune territoire mahorais est un vivier d’inspirante émulation des plus passionnées où le possible est une notion plus que jamais d’actualité et ce, malgré justement l’éternelle et triste prédominance médiatisée. Notre rédaction est heureuse d’assister chaque jour un peu plus à ces différents événements et projets porteurs, incarnés par ceux qui seront les citoyens de demain. Quel que soit le résultat de ce prix national desservi ou non, la plus belle victoire est de voir ces jeunes épanouis et confiants pour la poursuite de leur aventure scolaire et la construction de leurs respectifs chemins de vie. Le rideau se ferme peut-être sur l’écran de Chirongui mais un autre tout aussi fort s’ouvre à eux. Félicitations à tous et, par avance, bon courage pour les épreuves du brevet et la prochaine rentrée qui se fera au lycée…
MLG
*Adresse du Ministère de l’Éducation Nationale
**Célèbres réalisateurs notamment de type documentaire