En dehors de Mayotte la 1ère, aucune caméras aux abords de la salle d’audience de la Chambre détachée d’appel de Saint-Denis à Mayotte, contrastant avec l’effervescence médiatique du début de l’opération Wuambushu. Et pourtant, c’est là que se jouait l’appel formulé par le préfet de Mayotte contre la suspension de démolition de cases en tôles de la zone Talus 2. Ou plutôt, que devait se jouer l’affaire, car entretemps le tribunal administratif (TA) reprenait la main sur ce qui est son champ d’action traditionnel, les recours contre l’administration. Petit retour en arrière sur ce week-end.
Ce samedi 13 mai 2023, le juge des référés du TA Gil Cornevaux, réexaminait les éléments fournis par la préfecture à la suite de la suspension ordonnée par ses soins de la démolition d’une vingtaine de cases. Les preuves d’offre de relogement individualisées et adaptées à chaque famille ne lui avaient pas été remises lors de la première instance, c’est donc avec un agacement avéré qu’il avait suspendu l’opération en février dernier.
Entraves aux démolitions
Ce samedi, il revoyait sa position « au vu d’un élément nouveau » comme l’y autorise la loi. Dans le jugement que nous avons consulté, il rapporte avoir eu la preuve que « le 8 avril 2023, un adjudant de gendarmerie de l’escadron de Koungou, s’est déplacé dans le périmètre défini par l’arrêté préfectoral aux fin de notifications des propositions de relogement pour les défendeurs ayant tous fait l’objet d’une enquête sociale à des périodes différentes (…) Quatorze familles, malgré plusieurs passages à des heures différentes, tel qu’attesté par les procès-verbaux de gendarmerie, n’ont pu être directement contactées, le courrier de notification de proposition d’hébergement ayant été apposé directement ». Il fait état d’un « silence persistant » de certaines d’entre elles.
Estimant que les conditions de réalisation des opérations de démolitions doivent être envisagées « comme suffisamment remplies », qu’aucune démarche de prise en charge n’a été initiée par les requérants, « alors même que le préfet justifie dans la présente instance d’un accompagnement social par diverses structures et associations », le juge y voit « plutôt une volonté manifeste d’entraver toutes opérations d’évacuation et de démolition ».
En conséquence, il déboutait les requérants et enjoignait au préfet de « prendre les mesures techniques nécessaires afin de permettre aux personnes concernées par l’évacuation et la destruction de leurs habitations illicites et insalubres », de disposer d’un lieu de stockage des meubles, et de scolariser les enfants dans une écoles de la commune « dans les 10 jours de leur relogement ». Plusieurs familles sont relogées à proximité des cases concernées et conservent donc le même périmètre de scolarisation. Une décision qui pourrait faire jurisprudence pour les prochaines opéarations.
« Une hystérisation juridictionnelle »
Revenons au jugement en appel de ce lundi. Le préfet y contestait une autre décision de justice, celle du tribunal judiciaire, qui avait également été saisi sur le même projet de démolition. Les avocats des habitants du Talus 2 avaient en effet contacté le TA qui indiquait ne pas pouvoir statuer sur une même affaire, c’est donc vers le tribunal judiciaire (TJ) qu’ils s’étaient tournés, la veille de la démolition. Insolite donc, puisque les recours contre l’administration, en l’occurrence la préfecture, sont le fait de la juridiction administrative, c’est donc pour « voie de fait », que le jugement avait pu se tenir en référé. C’est à dire qu’il vient juger une « action grave » de l’administration.
La présidente du TJ s’était jugée compétente, et avait suspendu la décision de démolition au motif que « l’imbrication » des cases ne permettait pas de lancer la démolition sans toucher à celles qui avaient été épargnées par le tribunal administratif. En validant l’opération ce week-end, ce dernier donnait donc de fait quitus au préfet pour la destruction de l’habitat illégal et insalubre.
La salle d’audience de la Chambre d’appel n’a donc pas résonné de verbiage intempestif d’avocats ce lundi, qui en ont profité néanmoins pour défendre des positions… qui pourraient être utiles par la suite. Car d’autres recours sur d’autres démolitions sont déposés.
Pour le préfet, Me Tamil réfutait qu’il y ait eu voie de fait, « il n’y avait pas atteinte à la propriété puisqu’aucun d’entre aux n’est propriétaire du terrain, et les requérants étaient ceux dont les cases avaient été épargnées par le Tribunal administratif. C’est une astuce pour saisir le judiciaire », quand Me Rapady évoquait une « hystérisation juridictionnelle » pour qualifier la demande des plaignants de dépayser l’appel, « on remet en question l’impartialité du juge ». Il rapportait les propos du préfet qui jugeait faire face à « une guérilla de procédures » avec une « multitude des recours ». Et accusait « l’absence de contradictoire », « quand la veille de la démolition se tient un procès où la mandataire du préfet n’a pas reçu les pièces de la partie adverses et qu’on lui donne 40 minutes de suspension pour prendre connaissance de 300 pages ! » L’avocat général venait en soutien de l’action préfectorale, « la contradiction a été méconnue ».
La défense était assurée par deux avocats. Me Ali réfutait le terme d’hystérisation judiciaire, « nous sommes la conscience du préfet, ils s’agit de dignité de personne humaine. Je préfère 1000 fois un toit insalubre que pas de toit du tout ». Avec sa collègue il assurait avoir transmis les pièces à la partie adverses, « dans les conditions d’une procédure d’urgence ». Me Trouvé appelait à « ne pas prolonger les débats », en indiquant que si l’enjeu est « tombé ce week-end » avec la décision du TA, « le préfet a un titre exécutoire », « nous vous demandons de ne pas statuer sur la compétence ou pas du tribunal judiciaire en première instance. »
S’il n’y a pas un grand suspens donc, le délibéré sera donné le 17 mai 2023, indiquait le juge Cyril Ozoux.
Anne Perzo-Lafond