Quelle fausse croyance il a perduré que de croire qu’il n’existait guère en notre territoire fibre et matière dédiées à la recherche scientifique comme peut en témoigner Fahoulia Mohamadi — chercheur de formation et actuelle déléguée à la Recherche et à l’Innovation au Rectorat de Mayotte — figure emblématique de notre île qui faisait, il y a encore quelques années de cela, ses études de plantes à même sa salle de bain mahoraise par manque de structures et de moyens.
La mise en avant tout comme les résultats se voulaient peu visibles, raison pour laquelle il a fallu penser à créer et structurer un laboratoire local, non seulement pour rattraper le retard existant au regard notamment des autres territoires ultramarins mais aussi afin d’aspirer à une montée en puissance structurée.
Une montée en puissance qui se veut symboliquement célébrée en ce jour permettant par la même occasion de féliciter le travail de longue haleine et les communes actions des divers acteurs qui ont financé, porté, cru et croient encore plus que jamais à ces différents projets visant une valorisation des ressources naturelles locales ainsi que celles des besoins de ses acteurs comme le souligne Cédric Bertrand, chercheur permanent au CRIOBE* et responsable de l’orientation, de la mise en place stratégique et de l’ambition du laboratoire de Mayotte depuis 2020 : « Il est important de comprendre que notre expertise vient en renfort de la vision locale. Nous co-construisons les idées avec les mahorais dans une approche intégrative…».
Quand l’innovation est (pécuniairement) saluée…
Soutien incontestable aux côtés du Rectorat ou encore du CRIOBE, dans l’élaboration et la mise en place de ce bel outil de recherche, le Département de Mayotte, dans le cadre de son plan 2021-2025, a déjà offert au Pôle de Recherche une enveloppe de deux millions trois cent vingt mille euros (2 320 000 €) afin « d’accompagner à moyen-long terme les différents travaux scientifiques et de recherche » comme le précise la vice-présidente départementale, Bibi Chanfi.
À cette louable action locale qui n’est pas des moindres, se greffe également une grande fierté et une grande première de l’Agence de développement et d’innovation de Mayotte (ADIM), également partenaire stratégique du Pôle Recherche PER Coconi, qui vient tout juste de décrocher sa place parmi les 8 lauréats de l’appelle à projets ’’Plan innovation outre-mer’’ France 2030, permettant ainsi au Pôle d’innovation intégré de Mayotte (PI2M), branche ingénierie du Pôle Recherche, de bénéficier d’un soutien financier d’un million cinq cent quinze mille euros (1 515 000 €).
« Ce financement intégral va permettre de favoriser des activités scientifiques nouvelles tant sur le plan local que dans leur développement international. Il s’agit là d’un grand projet d’espoir pour un avenir meilleur auquel on croit », déclare avec émotion Zaminou Ahamadi, présidente de l’ADIM.
Comment cela s’articule
Au sein même d’un grand tout qui englobe 3 petits labos/unités, dont le tout nouveau dédié à la phytochimie et déjà bien équipé, se comptabilise dans l’immédiat 3 scientifiques permanents, 2 doctorants en préparation de thèse ainsi qu’un stagiaire en Master 2 sous la tutelle globale de Cédric Bertrand, rattachant ainsi notre laboratoire mahorais sous l’unité d’appui scientifique national qu’est le CRIOBE, implanté à Perpignan mais également en Polynésie française. L’approche du CRIOBE justement, se base sur la Recherche très appliquée en lien avec un système de réflexion des acteurs locaux, relatifs aux besoins et ressources de notre île. Le but étant d’identifier des sujets/projets focalisant l’aspect végétal/flore qui, de surcroît, intéressent la population et seront aussi source de développement économique, de créations d’emplois et de rayonnement national et international sécurisant par normes, process et labellisations les savoirs-faire et ressources locaux dans le but d’une exploitation notamment commerciale.
Les deux axes majeurs
Il n’est guère folie que de reconnaître que notre île regorge de richesses naturelles botaniques, exobotaniques mais aussi de savoirs traditionnels au moyen de foundis et/ou tradi-praticiens. Des érudits avant tout oraux pour qui il n’a pas été pensé, en amont, d’inscrire justement dans le marbre de l’herbier, un genre d’encyclopédie locale permettant ainsi, au fil des années, de ne pas perdre traçabilité de toutes ces connaissances mais aussi de les exploiter et développer pleinement, au moyen notamment de filières cosmétopée et ethnopharmacologie.
C’est ainsi que Mohamed Haddad — Chercheur à l’IRD** et l’unité Pharma-Dev de Toulouse — encadre les travaux de Thibault Tam-Hui — étudiant en M2, Chimie du vivant à l’Université de La Réunion — basés notamment sur l’enquête de terrain et la répertorisation de plantes mahoraises à but médicinal traditionnel. En stage pour une durée de 6 mois sur notre département, la mission de Thibault se centre sur l’étude des maladies locales pour lesquelles il est employé, en approche pharmacopée, des plantes et remèdes précis.
Depuis près d’un mois, il parcourt ainsi notre île afin d’aller à la rencontre des populations et informateurs potentiels ayant déjà permis de recenser 130 plantes dont les Plectranthus amboinicus (gros thym antillais ou origan cubain) et Phyllarthron comorense (zahana) offrant, après décoction, une tisane remède miracle naturel contre la toux par exemple.
De son côté Oumaynou Daroueche — Doctorante chimie affiliée CRIOBE et Laboratoire de Mayotte — se penche sur l’étude expérimentale de composés actifs dans la biomasse à but cosmétique. L’optique finale étant de créer une filière cosmétique de qualité voire même de luxe basée principalement sur l’exploitation de l’ylang-ylang qui aspire prétendre, tout comme ses grandes sœurs du cacao ou encore de la vanille, à être officiellement labellisée.
Il est à noter que tous ces travaux scientifiques se veulent d’être actés dans une démarche verte et un souhait de proche labellisation environnementale pour notre île, privilégiant ainsi les systèmes d’exploitation et d’extraction des plantes par des procédés naturels de type dioxyde de carbone supercritique (CO2 SC)*** et notamment la non-utilisation de solvants halogénés (qui contiennent du chlore), plutôt lourds et gourmands en termes de techniques de recyclage non disponibles dans la gestion des déchets sur notre territoire.
Ce choix de procédés naturels qui se veut aussi coûteux, s’inscrit notamment dans le projet d’aide financière de l’ADIM – France 2030 permettant de marquer les aspirations et la singularité qualitative de notre département au regard aussi de la concurrence géographiquement régionale malgache ou comorienne qui pourrait prétendre développer à des prix moindres, ainsi que des approches humaine et écologique discutables, le même genre d’exploitation de produits également présents dans les respectives ressources naturelles de ces îles. En somme, une économie biologique, organique et naturelle toujours aussi convoitée dans les fastes sphères pour qui il existe un public d’acheteurs friands à travers le monde rappelant accessoirement les belles années historiques de la précieuse Cananga Odorata mahoraise (ylang-ylang) si chère au cœur de Jean-Paul Guerlain et toujours dans la composition d’éternelles et emblématiques fragrances telles que l’Air du Temps de Nina Ricci, Opium d’Yves Saint Laurent, Poison de la maison Dior ou encore l’intemporel et tant convoité, Chanel N°5…
MLG
*CRIOBE : Depuis 1971, le CRIOBE est une unité d’appui à la recherche de l’EPHE – PSL, de l’Université Perpignan Via Domitia et du CNRS, implantée à Perpignan, et en Polynésie française, avec un bureau de représentation à Paris. Ses membres sont investis dans la construction de connaissances transverses interdisciplinaires sur les récifs coralliens dans leurs dimensions écologiques, biologiques, chimiques, physiologiques, génétiques, sociales et culturelles.
**L’Institut de recherche pour le développement (IRD) est un établissement public à caractère scientifique et technologique français sous la tutelle des ministères chargés de la Recherche et de la Coopération, remplaçant l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer.
***L’extraction au CO2 supercritique est un procédé relativement récent, complètement naturel et non polluant qui utilise un fluide à l’état supercritique, dans ce cas de figure, du dioxyde de carbone. Présentant de nombreux avantages, le CO2 est inerte chimiquement, non toxique, non polluant et compatible avec les produits alimentaires (les fameuses bulles des sodas ou bien même des eaux gazeuses). Il est donc tout à fait approprié pour l’extraction végétale.