De quoi parle-t-on ? Le 19 septembre 2022, le préfet Thierry Suquet prend un arrêté d’évacuation et de démolition des cases en tôles à Doujani, sur la commune de Mamoudzou. Il se base pour ce faire sur l’article 11-1 de la loi du 23 juin 2011, qui dit que, lorsque la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipements publics rend nécessaire la démolition de locaux à usage d’habitation édifiés sans droit ni titre sur la propriété d’une personne publique, celle-ci à l’initiative de l’opération peut verser aux occupants une aide financière visant à compenser la perte de domicile sous plusieurs conditions. Il doit proposer le relogement ou l’hébergement d’urgence aux personnes concernées.
Deux occupants des habitations visées, Mme A. et M.M. et la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif (TA) de Mayotte de suspendre l’exécution de cet arrêté en se basant sur la loi qui donne possibilité au juge de prononcer cette suspension du moment qu’une requête en annulation d’une décision administrative est déposée.
Le juge du TA a aussitôt transmis au Conseil d’Etat cette Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), qui a été examinée le 15 février 2023 par la plus haute juridiction administrative en France.
Que dit la loi ? À Mayotte et en Guyane, lorsque des locaux ou installations construits sans droit ni titre constituent un habitat informel et forment « un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains » et présentent « des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique », le représentant de l’État peut, par arrêté, « ordonner aux occupants de ces locaux et installations d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition à l’issue de l’évacuation ». Sous réserve qu’un rapport des services chargés de l’hygiène et de la sécurité et une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence adaptée à chaque occupant, soient annexés à l’arrêté.
Qu’en conclut le Conseil d’Etat ? Ses arguments sont favorables au préfet. Il estime que l’arrêté concilie les risques graves pour la salubrité, la sécurité et la tranquillité publique, et la prise en charge des occupants « en garantissant, lors de la démolition, un relogement ou un hébergement d’urgence à chaque occupant », d’autant que les locaux visés forment bien « un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d’assiette », comme le demande la loi.
Considérant que la question soulevée, « qui n’est pas nouvelle », et « ne présente pas un caractère sérieux », le conseil d’Etat juge qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les deux occupants et la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen. La même conclusion avait été formulée en janvier 2023 dans son mémoire par Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires sur cette affaire.
Un jugement qui va faire du bruit, notamment du côté des pelleteuses, dans un contexte de préparation de l’opération de démolition non encore officiellement annoncée et préparée par le ministre Darmanin pour fin avril.
Anne Perzo-Lafond