« Le bilan de l’année 2022 est relativement mauvais alors qu’elle aurait pu être celle de la reprise de l’activité ». Le président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) de Mayotte, Charles-Henri Mandallaz, n’a pas caché son profond dépit. Une activité sinistrée compte tenu d’une succession de vagues de déconvenues dont la première est à placer, sous le signe du Covid en raison des « entraves telles que les couvre- feux et autres restrictions ».
Les derniers stigmates de la crise sanitaire
Cette situation a « passablement grevé le début d’année », d’autant que le pass sanitaire n’a été levé qu’au mois de mars entraînant ainsi une fréquentation moindre des établissements de restauration. Avec le recul, note le président de l’UMIH, « cet épisode reste assez douloureux pour les gens qui sont attachés au respect de la loi » car selon lui, « ceux [ayant] respecté la réglementation, ont été les grands perdants de l’histoire alors que ceux qui ne l’ont pas respecté ont pu continuer à travailler normalement ». Cela a créé, souligne-t-il, une « certaine aigreur » alors que la levée des restrictions sanitaires a coïncidé, à quelques mois près, « au début des remboursements des Prêts Garantis par l’Etat (PGE) ».
Interrogé en avril dernier, au sujet de ce dispositif de soutien aux entreprises pour atténuer les retombées économiques de la pandémie, Charles-Henri Mandallaz indiquait alors « avoir un œil attentif [concernant] les dégradations potentielles de trésoreries, et les situations de mise en danger de certains ». Est-ce que les conditions de remboursement des prêts se sont révélées être l’épée de Damoclès planant au-dessus des trésoreries des établissements ? « Sur cette question, pour l’instant ce n’est pas trop mal, cela n’a pas mis en danger d’entreprise chez nous », constate le président. Selon lui, « ce n’est pas ce qui a été le plus dommageable pour notre activité ».
La médiatisation en métropole de la violence à Mayotte : “une véritable catastrophe”
La détérioration significative du climat des affaires pour le secteur de la restauration est à chercher du côté de l’insécurité. « Nous avons perdu une quantité de chiffre d’affaires non négligeable à cause d’une activité du soir réduite à peau de chagrin. Les gens restaient calfeutrés chez eux », fait remarquer Charles-Henri Mandallaz. La flambée de violence notamment sur la commune de Mamoudzou a été « un fléau qui [a] terrassé nos activités du soir », renchérit-il. Une situation qui par ricochet médiatique a écorné une fois de plus l’image de l’île auprès des touristes. « L’ultra-communication négative engagée au niveau des médias nationaux a été quelque chose de totalement contre-productif, une véritable catastrophe », dénonce le président.
Les effets ne se sont pas fait attendre concernant les réservations des nuitées dans les hôtels. « Si les établissements pour la partie Mamoudzou sont relativement bien fréquentés, pour ceux en dehors du chef-lieu, c’est une autre affaire puisqu’il s’agit essentiellement d’une clientèle composée de touristes », explique-t-il. Au regard de la publicité négative relayée en métropole tous azimuts, Charles-Henri Mandallaz a conscience de la nécessité de « redorer le blason de la destination Mayotte. On s’y attache en faisant énormément de promotion, de salon et de communication positive avec un grand ‘P’ ».
Avec les coupures d’eau, la coupe est pleine
La fin d’année aurait pu se présenter sous de meilleurs auspices puisque « nous avions entendu en début de saison une petite musique qui laissait supposer que les ressources en eau étaient largement suffisantes, qu’il n’y aurait pas de tour d’eau », ironise le président qui se désole du contexte actuel : « or cette année est une véritable catastrophe ». Il abonde : pour nous, les établissements recevant du public, la situation est claire, s’il n’y a pas d’eau nous sommes censés fermer. Vous imaginez encore la déperdition de chiffre d’affaires ? ». Une problématique « inacceptable » aussi bien pour les professionnels de la restauration que pour tout habitant de l’île, véritable « insulte à ce département ». Résultat, en comparaison à l’année de référence 2019, « les déperditions des chiffres d’affaires sont de l’ordre de 30 à 40 %, selon les établissements et leur emplacement », révèle Charles-Henri Mandallaz.
Une situation fiscale devenant peu à peu inextricable
Pendant que l’activité économique de ces professionnels est entravée par l’insécurité, le manque d’eau, les acquittements fiscaux et sociaux eux restent les mêmes. « Cette situation est presque indécente d’oser demander et de devoir payer les impôts que l’on paie alors que les basiques ne sont absolument pas assurés que ce soit au niveau de la sécurité ou des besoins en eau de la population. Il y a une situation qui dépasse l’entendement », dépeint le président. A ce titre, il prévient « que nous allons commencer à réfléchir à l’hypothèse de suites juridiques car on ne peut pas d’un côté avoir les services de l’Etat qui nous demande de payer la CFE, les impôts divers et variés, les cotisations URSSAF comme si de rien n’était alors que de l’autre côté vous ne pouvez que travailler à 60 % ».
Une prise en étau qui risque selon lui d’aboutir à des situations sanitaires périlleuses dans un contexte de coupures d’eau. En effet, le risque encouru si on ne donne pas la possibilité aux personnes de travailler correctement alors qu’ils doivent continuer à faire face à leurs obligations fiscales « c’est de se retrouver avec des systèmes D précaires avec des seaux d’eau, des réserves d’eau dans des bidons pouvant devenir fatalement un véritable problème sanitaire ». Pour éviter d’en arriver à ces extrêmes, le président de l’UMIH indique que des négociations sont en cours avec les services de l’Etat pour envisager une « hypothèse de subvention » et « la mise en place d’un système nous permettant un réservoir tampon d’eau sur nos établissements de restauration afin de pouvoir travailler dans des conditions sanitaires correctes ».
Qu’espérer à l’aune de cette nouvelle année au regard des problématiques structurelles qui secouent inlassablement l’île ? « On espère arriver cette fois-ci sur une vraie année de relance. Une année sans entrave, avec une baisse notable de l’insécurité afin que l’on puisse à nouveau circuler, respirer et travailler convenablement », révèle Charles-Henri Mandallaz ; même si sur l’insuffisance des infrastructures en eau, il a conscience « qu’il n’y aura aucun miracle ».
Pierre Mouysset