Le dimanche 27 novembre 2022, le président Emmanuel Macron déclarait vouloir accélérer la mise en place de transport en commun dans les dix grandes villes françaises « où il y a thromboses » et pour tenir notre ambition écologique.
Mayotte au réseau routier sous-dimensionné, se met au transport en commun par besoin vital, sans réflexion sur une ambition écologique, « pour cela, il faudrait que toutes les collectivités autorités organisatrices des transports coopèrent. Or, ce n’est pas le cas. » Celui qui met ainsi en garde contre un risque de cumul de services est évidemment Mohamed Hamissi, spécialiste des transports en commun.
Il prend en exemple le trajet Hauts-Vallons-Passamainty, où vont intervenir deux réseaux, celui de la CADEMA sur le Grand Mamoudzou, et celui du conseil départemental qui s’étend depuis Mamoudzou au Nord et au Sud : « Le transport interurbain du conseil départemental va-t-il être accepté sur le bitume du réseau Caribus aménagé par la CADEMA ? ». Comme on l’a vu la semaine dernière, la Communauté d’agglomération Dembéni-Mamoudzou mène les travaux actuels à Kawéni et à Passamainty, où pour le coup, une thrombose liée aux travaux a vu le jour.
Ce qui induit d’autres interrogations : « Les transports scolaires, auront-ils le droit d’emprunter cette voie libre dédiée aux bus ? Et les taxis ? » Car actuellement, et malgré les démarches, les taxis ne sont pas intégrés au réseau Caribus, pas plus que les transports scolaires ou le transport interurbain. Les véhicules d’urgence eux, pourront emprunter cette voie dédiée, « mais si tout ce petit monde y roule, on va à nouveau se retrouver avec des bouchons ! »
Pas de passage au vert pour les taxis
Pour lui, la solution serait de décider que les lignes de transport en commun du CD s’arrêtent là où commencent celles de la CADEMA : « Si on raisonne environnement durable, il faudrait arrêter le réseau interurbain à Tsararano, et on prendrait ensuite le Caribus ou une ligne maritime, et pareil au Nord, avec un changement aux Hauts-Vallons. »
Et pour éviter ce genre de redondance, il suggère « une autorité de transport unique », qui devra organiser ce partage des zones, mais aussi, les usagers de la voie dédiée aux bus, « si les bus scolaires, les forces de l’ordre, les urgences, les taxis l’empruntent, les voies de bus ne vont plus répondre à leur vocation initiale. »
Cette autorité pourra notamment réfléchir à l’avenir des taxis, pensés initialement comme liaisons entre les arrêts de bus et les lieux où veulent se rendre les passagers, bureaux, commerces, etc. Une autre évolution est possible dit-il : « En tant que taxi, ils relèvent du ministère de l’Intérieur, alors que s’ils changent de véhicules en optant pour des multiplaces de 9 passagers, il s’agira de transports en commun et pourront être intégrés sur ces voies de circulation propres. » Et être équipés : « Les giratoires du parcours vont être transformés en carrefour à feux tricolores avec détection dès l’approche du bus pour déclencher un passage au vert. Ils embarqueront pour cela un équipement particulier, qui pourra être alloué aux taxis dès lors qu’ils basculent en collectif. » Un équipement qui n’est pas prévu dans les transports scolaires, ni interurbains qui devront.
On le voit, chacun raisonne sur son périmètre de compétence, « on va assister à une guerre des modes » de transport, avertit Mohamed Hamissi qui prêche pour « faire tomber les frontières administratives » avant qu’il ne soit trop tard, « la coopération ne se décrète pas, ils doivent accepter de discuter pour fixer des objectifs communs avec une feuille de route commune. » Dans une volonté d’anticipation.
Il craint par dessus tout que la juxtaposition de décideurs créée une désorganisation sur cette voie dédiée aux bus et que personne ne monte dans ces derniers faute d’efficacité.
A autorité unique, ticket unique
D’autre part, la coopération entre décideurs permettrait de mutualiser les moyens : « Aujourd’hui, le coût prévisionnel d’exploitation annuel des transports en commun interurbains et urbain terrestres et maritimes, sera d’environ 70 millions d’euros lorsqu’ils seront tous intégralement mis en service. Mais comment les rentabiliser sur un territoire où 77% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Ceux qui ont les moyens d’avoir une voiture ne vont pas forcément prendre le bus. On se retrouvera donc avec un public captif, ceux qui n’ont pas de permis, donc pas de moyens financiers. »
Le modèle économique repose sur des recettes provenant des tickets de bus, du budget de la CADEMA, et du versement de la taxe mobilité des entreprises de plus de 11 salariées situées sur le trajet de bus. « Mais face à la croissance démographique d’une population qui a peu de moyens, ça ne va pas tenir », met-il en garde.
Pour reprendre l’exemple de la portion Tsararano-Mamoudzou, au lieu d’avoir trois lignes qui la desservent, deux lignes de transport terrestre (CD et CADEMA) et une maritime, Mohamed Hamissi propose une solution : « Le conseil départemental pourrait investir dans des grands cars avec participation financière de la CADEMA, et on maintient la ligne maritime Iloni-Mamoudzou pour donner le choix entre une ligne terrestre et une maritime. »
Sans coopération, chacun défendant sa baronnie par fierté d’avoir mené le projet jusqu’au bout, c’est le fiasco assuré : « Rien ne sera opérationnel avant 2024. On va alors organiser des séminaires ou mandater un expert pour comprendre, alors qu’on savait ce qui allait se passer ! »… Sur le même air que l’engorgement à Passamainty ?
Cette coopération institutionnelle devient donc un enjeu vital d’équilibre économique du marché des transports scolaires, « et c’est aussi ce qui va permettre de déboucher sur un ticket unique de déplacement sur plusieurs modes de transport, barge, bus, ligne maritime. »
Un sujet très politique, souligne-t-il, « un point d’équilibre entre la libre administration des collectivités et la résistance des baronnies qui veulent se faire valoir aux yeux de leurs électeurs ».
Anne Perzo-Lafond