Il est toujours bon de se replonger dans les rapports de la Cour des Comptes. Ne serait-ce que pour comprendre la défiance de la population envers l’Etat. Dans le rapport « Quel développement pour Mayotte ? » de juin 2022 dont nous avions fait état, les magistrats de la Cour déplorent une action publique « par à-coups » : « Alors que le plan ‘Mayotte 2025’ de 2014 comprenait une feuille de route consensuelle, et que celui de 2018 prévoyait des dépenses de l’État à hauteur de 1,3 Md€, certaines des mesures rapidement engagées ont été interrompues au gré de changements politiques ou de préfet. Ainsi, le suivi du plan ‘Mayotte 2025’ s’est interrompu au bout d’un an, et s’agissant du plan de 2018, il n’existe aucun document de suivi mis à jour ni de données d’exécution de celui-ci, hormis un tableau renseigné par la préfecture à la demande de la Cour. Dès lors, si les engagements pris par l’État sont substantiels, il reste difficile d’apprécier le montant de l’effort additionnel consenti. »
Dans ce document, la Cour des Comptes revient sur le sujet sensible du recensement de 2017 en estimant sous-estimés les 289.000 habitants, alors, actualisés en 300.000 cette année : « De nombreux indices laissent penser que sa population, évaluée à 289 000 habitants, serait en fait fortement sous-estimée. Cette incertitude est préjudiciable à la mesure fiable des caractéristiques socio-économiques de l’archipel ainsi qu’au bon dimensionnement des politiques publiques. » La Cour ne donne pas de chiffres, puisque seul l’INSEE a cette compétence, mais rappelle que l’Institut de la Statistique projette une taille de population entre 440.000 et 760.000 à l’horizon 2050.
Un rapport de la Cour des Comptes que les conseillers départementaux ont particulièrement lu au chapitre, « Recommandations », puisque la première d’entre elle demande à « établir et publier régulièrement, sans attendre 2025, des données fiabilisées sur la population présente à Mayotte ». Ils en ont fait une motion, lue ce mardi matin par l’ex-opposante Soihirat El-Hadad. « Comme vous le savez, le critère démographique est un élément crucial dans le calcul des dotations globales de fonctionnement », versées par l’Etat. Or, nous le verrons dans le compte rendu de la plénière du jour, l’assemblée va avoir besoin de rentrées d’argent supplémentaires, le sujet est donc vital.
Un mur au milieu du tunnel
L’INSEE, qui a toujours dit que nous étions la 2ème densité de France après l’Ile-de-France, a par le passé détaillé sa méthode pour recenser l’ensemble des habitants, y compris ceux qui y vivent clandestinement. Des photos aériennes sont prises, toutes les habitations ciblées. Ce qui en fait entre parenthèse un cadastre bien plus fiable que celui des services fiscaux. Les agents recenseurs se rendent ensuite dans ces logements, en dur ou en tôle, dans le cadre d’une coopération avec les mairies. Malgré cela et le fait que la densité soit centrée sur Mamoudzou, laissant des espaces vierges au Nord et au Sud, une partie de la population doute. Epaulée donc désormais par la Cour des Comptes.
Qui demande qu’une nouvelle évaluation de la population soit proposée avant 2025… même 2026. Pourquoi cette date ? Mayotte ayant rejoint le droit commun en terme de recensement, celui-ci se fait désormais par 5ème, avec résultat final en 2026. Les sénateurs avaient interpellé le gouvernement pour faire sortir Mayotte de ce long tunnel statistique, se heurtant à un mur du côté de l’INSEE, « il faudrait que cela entre dans les études triennales que nous menons, mais les prochaines sont déjà décidées », avait indiqué Bertrand Aumand, directeur de l’antenne locale de l’INSEE. Les sénateurs en avaient appelé à la Direction Générale aux Outre-mer (DGOM) pour un coup de pouce sur ce sujet.
Malgré tout, pour que les collectivités n’y perdent pas trop entre deux recensements, le gouvernement avait acté un dispositif d’actualisation anticipée des populations municipales de 2021 à 2025. Mais encore faut-il s’accorder sur le chiffre de départ…
En conséquence, et dans le droit fil des recommandations de la Cour, les élus demandent qu’un recensement général et annuel soit réalisé en 2023 et pour les années suivantes, et que les politiques publiques tiennent compte de cette population réelle, pour que « l’Etat ajuste les dotations correspondantes dès l’année 2024 ».
Anne Perzo-Lafond