« Répondre plus efficacement à la juste colère des citoyennes et citoyens », tel est en filigrane la finalité recherchée par le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) portant sur « La gestion de l’eau et de l’assainissement dans les Outre-mer ». Si, la loi du 30 décembre 2006 dispose « le droit à chacun d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous, pour son alimentation et son hygiène », l’avis du CESE relève néanmoins la dichotomie subsistant pour les populations ultra-marines. « Les coupures d’eau, le manque d’infrastructures, les inégalités d’accès… génèrent un très fort mécontentement des usagers et usagères », note le CESE. Des défaillances qui ne sont pas sans conséquences sur le développement économique et social des Outre-mer.
Mayotte, une situation critique aux multiples facteurs
Si la Guyane ou encore la Martinique sont sujettes à des « tours d’eau », le conseil reconnaît que « Mayotte est probablement le territoire où la situation de l’accès à l’eau est la plus critique ». Pour étayer leurs propos, le CESE s’appuie sur deux publications de l’Institut national de la statistique de 2017 et 2019. Un tiers des habitants de Mayotte n’a pas d’eau courante, représentant plus de 81 000 personnes, précisant que « la moitié des ménages qui n’ont pas d’eau dans leur logement résident à Mamoudzou, Ouangani et Koungou, où l’habitat en tôle est très répandu ». A noter, selon le rapport, que la part de l’eau dans le budget des ménages est en moyenne de 17 % et peut atteindre « 20 à 25 % pour les populations les plus précaires ». La crise sanitaire ayant exacerbé l’inégalité d’accès à l’eau potable, l’Agence Régionale de santé, rappelle le CESE, a réalisé l’installation de rampes d’eau ainsi que des bornes fontaines. Cette initiative a permis « d’apporter un accès à l’eau aux personnes les plus démunies vivant dans les quartiers d’habitat informel […] avec une ressource fragile non contrôlée sur le plan sanitaire ».
Cette situation résulte de facteurs multiples parmi lesquels, entre autres, la croissance démographique exerçant une pression constante sur la consommation d’eau potable, une capacité de stockage insuffisante, un réseau de canalisations obsolètes générant de conséquentes déperditions. En outre, la préservation de la ressource en eau ne peut faire l’économie d’une meilleure prise en compte des effets du changement climatique mais aussi de la protection des cours d’eau en amont. Dans ces démarches de contrôle, Mayotte souffre notamment de l’absence d’un Office de l’eau.
Des investissements conséquents aux retombées pourtant concrètes
Le document rappelle la « mobilisation des budgets conséquents pour développer les infrastructures et améliorer la disponibilité de la ressource ». A ce titre, le plan d’action du Gouvernement présenté en 2017, en réaction à la crise de l’eau ayant ébranlé le département, prévoyait 67 millions d’euros, sur 5 ans, pour l’eau et l’assainissement. « Ce plan d’urgence […] a été quasiment achevé », rapporte le CESE entraînant ainsi « un gain de 4000 m3 par jour d’eau potable ».
Plus récemment, lors de sa visite en août dernier, le ministre des Outre-mer a annoncé 411 millions supplémentaires afin d’accélérer les investissements du syndicat des eaux ainsi que l’instauration d’un nouvel exécutif à la tête du Syndicat Intercommunal d’Eau et d’Assainissement de Mayotte. Une démarche permettant de tourner la page des gabegies financières d’alors ayant grevé ses finances « en raison de défaillances internes dans sa gestion et de choix budgétaires contestables ». Le CESE fait également mention du retard pris pour la réalisation de la troisième retenue collinaire à Ouangani, en raison de « difficultés d’accès au foncier », ainsi que des défaillances de l’usine de dessalement de Petite-Terre ; la capacité de production actuelle n’est que de l’ordre de 2000 m3 par jour contre 5 300 initialement prévue.
Des préconisations pour instaurer « un véritable droit à l’eau pour tous et toutes »
A travers son document le CESE entend apporter des solutions concrètes auprès des pouvoirs publics afin d’instaurer une continuité du service de distribution de l’eau en supprimant les tours d’eau tout en apportant « un accès à l’eau aux personnes les plus démunies vivant dans les quartiers d’habitat informel, à Mayotte et en Guyane, qui aujourd’hui vivent avec une ressource fragile et non contrôlée sur le plan sanitaire. Ces deux objectifs sont indissociables pour parvenir à un véritable droit à l’eau pour tous et toutes ».
Pour y parvenir, le CESE présente vingt-trois préconisations dont « la mise en place dans tous les Outre-mer d’un ‘tarif social de l’eau’ sous condition de ressources, sur la base d’un forfait de 400 litres d’eau par jour, par foyer, soit 150 m3 par an ». Concernant Mayotte, l’institution préconise, entre autres, que « le Département, les intercommunalités et le syndicat gestionnaire des eaux et de l’assainissement mettent en œuvre le Plan-eau Mayotte, sous délais contraints, sous contrôle et encadrement strict de l’Etat » voire « la réquisition de l’opérateur si les délais ne sont pas tenus ». En outre, « l’usine de dessalement doit être mise en état de fonctionner en 2023 pour atteindre l’objectif d’autonomie de Petite-Terre », et « une Agence de l’eau de plein exercice doit être créée » dans le département. Autant de dispositions dont la finalité est de restaurer la confiance des populations à l’égard des pouvoirs publics en recouvrant « le respect ordinaire » de la dignité humaine.
Pierre Mouysset