« Quand je suis parti le 18 mai, nous avons dit ensemble qu’après cette réunion qu’on avait interrompue, le dialogue allait se poursuivre, je reviendrai, et je suis revenu aujourd’hui » déclarait ce mercredi le préfet Thierry Suquet, s’adressant aux habitants et usagers de l’îlot érigés en collectif.
Entre modernisme, traditionalisme et protection des frontières
Un nouvel épisode de dialogue, de pédagogie mais aussi de contestations. Nous en parlions en mai dernier dans nos colonnes, le projet affiché comme « une reprise en main » du plus grand îlot de Mayotte, avait lors de sa présentation connu une réception plus que mitigée de la part des habitants et usagers des lieux. Comprenant la destruction de 133 cases en tôle, l’implantation d’un ponton à pieux au Sud-Est de l’îlot et un retour aux cultures traditionnelles, le projet laisse rêveur sur le papier. Pourtant il inquiète, perçu comme une appropriation dénuée de concertations, l’impression d’une domination du modernisme sur le traditionalisme perpétuée par des bureaucrates hors-sol. Craintes de ne plus avoir accès aux parcelles, que des particuliers s’emparent de l’îlot, que la dimension patrimoniale des lieux n’échappe à ses habitants historiques…
Rendre l’îlot aux mahorais ?
C’est donc rassurant que se voulait le délégué du gouvernement lors de cette nouvelle rencontre, prenant soin d’éclaircir de nombreux points avec beaucoup de pédagogie – peut-être même trop? Et Thierry Suquet de vanter les mérites du projet : « L’îlot de Mtsamboro, c’est le seul endroit où on fait de la démolition de l’habitat illégal, de la reconstruction du tobe ( ndlr ici dans le sens de l’ensemble de bâtisses liées à l’exploitation agricole) et la valorisation de l’agriculture ». Mais surtout, s’inscrivant dans la lignée directe des efforts de masse mis en place depuis quelques années pour étanchéiser les frontières du 101ème département, « ce projet de l’îlot Mtsamboro, c’est aussi un projet de reconquête du territoire de Mayotte par les mahorais », allusion directe au qualificatif latent de « porte d’entrée migratoire » attribué à l’îlot, en première ligne face à Anjouan.
« C’est parce qu’on a tout ça que ce projet est inédit, nouveau, particulier … On rend l’îlot aux habitants de Mtsamboro et aux mahorais » déclarait le préfet. De quoi rendre sceptique face à l’absence de concertation dénoncée auparavant par les principaux intéressés. Néanmoins, les porteurs de projets se rattrapent, et tentent de rassurer les habitants au regard notamment de l’agriculture, point d’orgue d’une partie des inquiétudes.
Le délégué Outre-mer à la Conservation du Littoral s’étendra ainsi sur l’importance de préserver l’identité de l’îlot via le maintien des activités agricoles historiques. Et pour ce faire, deux actions : la mise en place de conventions d’occupations temporaires pour les activités agricoles ( lesquelles sont déjà en place sur une partie de l’île et offrent des avantages certains aux agriculteurs). Autre action, la question des constructions attenant aux exploitations : « bien sûr le principe des constructions liées à l’activité agricole n’est pas remis en cause. Cela ne pouvait pas se faire tel que c’était, tel que ça avait dérivé au cours des dernières années, mais ce n’est pas un principe qui est remis en cause » explique le délégué.
Des vagues de la contestation au clapot du travail collectif
En face, l’opposition locale ne manque de réagir, incarnée dans ce dossier en la voix de Rastami Spelo, porte-parole de ce collectif spontanément érigé autour de la défense de l’îlot et des intérêts de ses utilisateurs. Et quelques minutes à peine après la fin de la présentation quasi-scolaire sur fond de PDF vaguement simpliste des porteurs de projet, déjà la voix des usagers s’élevait pour demander « l’arrêt des travaux commencés le 6 juin dernier », « l’abandon définitif du projet » et «l’assurance de sa non-reprise» , ainsi qu’une reconnaissance officielle de l’activité agricole et économique de l’îlot.
Et ceci accompagné d’une demande de rétrocession de l’îlot ( à ce jour propriété du Conservatoire du Littoral) à la commune. Revendications patrimoniales face à la culture d’oranges, arguments identitaires et historiques… Rastami Spelo énonce son discours sans guère de pincettes, déclenchant une moue discrètement agacée du côté préfectoral. Puis, il énonce l’une des inquiétudes majeures des habitants, celle de voir l’îlot rétrocédé à des particuliers et que les usagers historiques soient exclus : « Le bénéfice va toujours vers des particuliers qu’on ne connait pas, ça nous amène a n’être que des assistants du développement du territoire ».
Néanmoins, interrogé en aval de cette réunion sur un potentiel bras de fer à venir, M Spelo semble bien moins radical, évoquant des avancées sur le dossier : « Il faut que ça continue, je pense qu’on commence à avoir des éclaircissements, le terrain commence à être un peu déblayé, on commence à se comprendre ». De nombreux points resteront à défricher et défendre de part et d’autre, mais les choses semblent être en marche avec un premier comité de pilotage programmé au 30 juin prochain dans la commune.
Quel que soit le rivage depuis lequel on l’observe, l’îlot Mtsamboro parait en de bonnes mains.
Mathieu Janvier