« Les guerres de village se finiront dans le sang », nous avait prédit un ancien commandant de la gendarmerie de Mayotte il y a six ans. On y est, et depuis quelques années. Mais elles se déplacent. Autrefois, c’est l’opposition Koungou-Kawéni qui faisait la météo des routes avec des blocages réguliers, puis, le village de Kawéni a retrouvé le calme, notamment sous l’impulsion des associations. Le décès d’un jeune de Koungou agressé à Majikavo Lamir ce dimanche a ravivé les affrontements qui opposent les jeunes des deux villages, mais comme nous avons pu déjà l’écrire, le phénomène peut se produire entre deux quartiers, deux rues, etc. Aucun frein à cette envie d’en découdre, que l’on explique généralement par l’inaction au quotidien. Un argument creux, car parmi les bandes, on retrouve aussi des scolaires.
Toute la nuit du 6 au 7, les jeunes ont provoqué les gendarmes. Et ce mardi matin, des barrages enflammés étaient mis en place alternativement au long de la route allant de Majikavo Lamir à Trévani. Des automobilistes arrivant du Nord, souvent levés depuis 4 heures du matin, bloqués dans les embouteillages, étaient des proies faciles, et sans présence policière, se sont fait caillasser tôt le matin, d’autres dépouiller de leurs biens sous la menace, comme notre confrère de Mayotte la 1ère radio, Andry Rakotondravola. Il nous raconte : « Je voulais couvrir l’événement, j’ai donc laissé ma voiture, quand deux jeunes cagoulés sont arrivés vers moi armés de barre de fer, en me menaçant pour avoir mon téléphone. Des gendarmes étaient occupés plus loin sur une opération de levée de barrages. Je le leur ai donné, avant de découvrir en revenant à ma voiture que des jeunes s’acharnait dessus à coup de pierres, cassant la portière, et volant mon matériel professionnel et mes papiers. Ils ont ouvertement fracassé le micro à terre », c’est une voiture en piteux état qu’il récupérait, en état de choc.
Les écoles ont été fermées par la mairie, et au collège de Koungou, « les équipes étaient mobilisées pour accueillir les élèves, mais faute d’enseignants, ils ont été évacués en milieu de matinée », nous indiquait le recteur Gilles Halbout.
Le macabre devient un prétexte
Le réseau routier est resté impraticable toute une partie de la journée malgré l’intervention des gendarmes depuis la veille au soir. « Nous n’arrivions pas à être sur tous les endroits à la fois, Majikavo Koropa, le collège et la pointe de Koungou », nous rapportait l’officier de gendarmerie de permanence. S’il nous précise que le nombre de gendarmes ne fait rien à l’affaire, « en face, ils sont très mobiles », le départ des 70 gendarmes, venus en renfort lors des évènements de Combani, n’a sans doute pas aidé. Nous manquons toujours d’effectifs à la hauteur d’un territoire dont plus de la moitié de la population est mineure, et dont une partie est en errance. Aucune étude statistique ne prend en compte ce phénomène.
Vers le milieu de la matinée, un groupe d’adultes composé de deux conseillers municipaux, d’un DGA de la mairie de Koungou, de dirigeants associatifs, et de membres de la famille du jeune décédé sont descendus sur la voie publique pour tenter de ramener les jeunes à la raison, tout en notant que « beaucoup ne sont pas de Koungou et sont venus uniquement pour en découdre », notamment avec les forces de l’ordre. Quand le macabre devient un prétexte… De son côté la famille a eu le courage d’aller à la rencontre des jeunes, « nous sommes là pour appeler au calme malgré notre douleur », nous expliquait une tante. Pendant ce temps, l’hélicoptère de la gendarmerie balayait la zone.
Pour apaiser la situation, plusieurs demandes étaient formulées de la part de ceux qui amorçaient un dialogue avec les jeunes. « Il faut que les autorités judiciaires communiquent sur l’avancement de l’enquête », nous rapportait l’un, sous-entendu pour qu’il n’y ait pas de tentation de se faire justice. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le procureur mardi après-midi, qui revenait sur les circonstances du drame. Autre demande, que le corps soit rendu au plus vite à la famille. L’autopsie qui était initialement prévue ce mercredi, a été pratiquée en urgence ce mardi. La preuve que les autorités sont à l’écoute.
Le mort plus saisi que le vif
Des années que cet acte d’autopsie reste incompris de la population, pour qui le plus important est d’acter le décès et d’enterrer le corps selon les pratiques en vigueur. L’autopsie permet cependant de caractériser le type d’agression, de savoir ce qui a véritablement donné la mort, pour ensuite donner une graduation des peines lorsque les coupables sont retrouvés. De la pédagogie est encore à faire. Et de manière plus générale, sans porter de jugement sur cette affaire précisément, on se plait à espérer que les familles soient aussi exigeantes sur la présence à la maison de leurs enfants de leur vivant, qu’elles le sont sur le retour des trépassés.
Difficile de dire si les tensions sont derrière nous, mais des agressions commises ces derniers jours en étaient annonciatrices, comme nous le relate une habitante de Koungou. « Samedi, mon mari qui descendait en scooter de Majikavo Dubaï vers 18h, a été arrêté au niveau du stop en arrivant sur la nationale par trois jeunes armés de chombo (coupe-coupe). Ils lui ont demandé les clefs du scooter pour voler ce qu’il y avait dedans, et lui ont pris son téléphone. Après, ils lui ont demandé s’il était de Koungou, heureusement, il a répondu qu’il était de Dzoumogne, bien que nous habitions ici. Car c’est ce qui est noté sur sa carte d’identité, qu’ils lui ont forcé à leur donner. Ils ont lu, et ils lui ont répondu, ‘heureusement que tu n’étais pas de Koungou, sinon on te tranchait le cou’ ». C’est perceptible, la peur s’installe dans la population.
Parmi les appels au calme, notons ceux des ministres de l’Intérieur et de l’Outre-mer, que nous avons rapportés, et celui du président du département, Ben Issa Ousseni et des conseillers départementaux du canton, Daoud Saindou Malide, qui s’est rendu dans la famille et Echati Moussa, qui condamnent les faits, et soulignent que, « en aucun cas, de nouvelles violences ou des représailles ne sauraient faire avancer la situation. Les mahoraises et les mahorais aspirent à une légitime sécurité, et il faut ensemble trouver les voies de briser cette spirale de la violence. »
De son côté la gendarmerie nous assurait que « tant que des affrontements seraient constatés, nous resterons sur place ».
Anne Perzo-Lafond