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Tanchiki Maore : itinéraire d’un enfant pionnier

Ce samedi, l’hôtel Trévani fêtait ses 35 ans. L’occasion de revenir sur l’incroyable histoire de Tanchiki Maore qui en a pris la gérance en 2017. Ou comment la vente de goula-goula mène à la réussite !

Pour souffler ses 35 bougies, l’hôtel Trévani accueillait le 4ème RioDelMar, une fête de la famille, avec un succès grandissant puisqu’il enregistrait 800 entrées ce samedi 4 juin, « dont 230 enfants ! », se réjouit Tanchiki Maore, qui a repris les rênes de l’hôtel il y a 5 ans. Comme une kermesse géante qui s’étend sur la mer, le RioDelMar avait invité des vedettes pour l’occasion, Goulam et Rijad. Mais le moment fort, ce fut la remise de récompenses aux anciens de l’hôtel, une plongée dans l’enfance de Tanchiki Maore. « J’ai remis à 4 d’entre eux, présents depuis plus de 20 ans, un chèque de 400 euros, et au plus ancien Madi Tarmadhui, un scooter de son choix, car le sien est en panne. »

Ces avec les larmes aux bords des yeux, que les deux hommes se sont remémorés le passé. Une aventure aussi émouvante que courageuse, sur laquelle semble s’être penchée une bonne fée… qu’il a lui-même stimulée. « Quand j’avais une dizaine d’années, je venais vendre des fruits à l’hôtel Trévani pour me faire de l’argent de poche avec lequel je m’achetais des goûters à l’école. J’étais le protégé de Madi Tarmadhui, alors que beaucoup de salariés, essayaient de profiter de la situation et m’embêtaient. Qui aurait pu prédire que plus tard, je deviendrais leur directeur ?! »

Tanchiki Maoré récompensé par la fondation MMA en 2016, un trophée reçu des mains de Jean-Pierre Raffarin

A l’époque, les fameux goûters, c’était du goula-goula, des beignets fris et du « clarnet », « on mettait de l’eau et du sucre dans un verre, avec une tige de bambou, et après l’avoir laissé au congélateur, c’était un sorbet ». Bien que son père travaille à la carrière de Koungou, maintenant ETPC, « autrefois la société Kagne », il a du mal à joindre les deux bouts, avec trois femmes et une vingtaine d’enfants à nourrir. Constatant l’engouement pour le goula-goula, le jeune Tanchiki fait du porte à porte, « notamment les maisons de la pointe de Koungou », pour vendre le desserte que sa mère prépare chaque jour. « Avec la somme amassée, au bout de 3 ans, elle a pu aller à Maurice, acheter de la marchandise et ouvrir son douka. C’est celui de Mama Saltuna à Koungou ».

De la DASS aux sous-marins

Entre la vente de goula-goula et l’école, Tanchiki a choisi, mais l’absentéisme le met au banc du système scolaire, « ça m’arrivait de vendre du goula-goula au chef de chantier, Albert de Chirongui, qui se fâchait, me disait de retourner à l’école, et à la fin de la journée, me remettait l’argent des gâteaux qu’il avait vendu à ma place ! » Après la primaire, c’est donc direction les PPF, les classes préprofessionnelles de formation, « on y mettait les jeunes dont on ne savait pas quoi faire. On était charriés et humiliés par ceux qui allaient en 6ème. Quand le directeur du PPF Abdallah Antoy a vu mon potentiel, et qu’il m’a envoyé en 5ème professionnelle, j’ai pris conscience qu’il fallait arrêter, et je me suis concentré sur l’école. A cette époque, j’avais Assani Abdallah comme prof de français, l’actuel sénateur. »

Moment d’émotion avec le bacoco qui veillait sur lui alors tout jeune enfant

Mais sa trajectoire va basculer sur une affaire de cœur. « Je sortais avec une fille qui était au lycée. Ça ne se faisait pas, il aurait fallu qu’on se marie. Son père a débarqué à ‘école avec un coupe-coupe, ma mère m’a envoyé aussitôt en métropole, au lycée Mendes France à Rennes ». A 17 ans, « et sans bourse de la DASU », il est pris en charge par la DASS, devenue depuis l’Aide sociale à l’enfance. Qui statuera de manière exceptionnelle sur son accompagnement jusqu’à ses 21 ans, « ils ont vu que j’étais sérieux ».

Car Tanchiki intègre une section métallurgie, « dont la banche soudeur était à l’école d’Etel, en Bretagne, avec une alternance dans une société, Atelier de Chaudronnerie de Caudan », dont on imagine la dose d’humour du patron quand il en a choisi l’acronyme, ACDC. Sa licence de soudeur lui permet d’entrer au prestigieux chantier militaire de la DCNS à Lorient, qui fabrique notamment des sous-marins, « j’étais le premier noir de la boite ! ». Il y restera 6 ans, et rentre à Mayotte pour créer ce qu’il sait faire, une entreprise de chaudronnerie. Mais la demande est faible, par contre, il s’aperçoit qu’en environnement et en hygiène, les besoins sont immenses. Une des caractéristiques de Tanchiki Maore, que celle de s’adapter en permanence au terrain.

Tanchiki Maore que nous avions interviewé peu après la création de sa société en 2013

Des entreprises soudées

Il revient en métropole, se forme à un métier aux antipodes du sien, « j’entre chez Delanoy Vidange, et grâce à son directeur M. Delanoy, je suis propriétaire de mon premier camion d’assainissement, un Berlier de 30 ans, que j’ai fait venir à Mayotte. » L’état du véhicule est tel, qu’il doit batailler pour en obtenir le dédouanement. Maore Assainissement Propreté (MAP), est née, et ses camions roses vont peut à peu mailler l’ensemble de l’île. Après avoir été lauréat local au Concours Talent de la BGE, en 2013, il décroche la meilleure place au national, et reçoit le prix des mains de la ministre Fleur Pellerin. Aujourd’hui, MAP, c’est 40 camions et 124 salariés.

Mais le chef d’entreprise visionnaire ne s’arrête pas là. En 2019, le patron d’ACDC, devenu entretemps son ami, part à la retraite. « Sur sa proposition, j’ai racheté en débauchant tous mes potes du chantier DCN pour les recruter. » Une petite entreprise de 8 salariés, « et quand je vais là-bas, je soude avec eux. J’aime ce métier au point de faire les soudures sur les camions à Mayotte quand il y a un problème. »

Il avait déjà créé la société Bling-bling en 2017, son petit côté flambeur, « les gens sont prêts à dépenser beaucoup pour les mariages, mais rien n’était proposé. » Limousine et voitures de luxe sont à disposition à la location. Et depuis 2019, des quads sont venus rejoindre le parc de la société, pour des randos qui partent de l’hôtel Trévani, prennent la piste Bouyouni-Combani, puis celle de Tsingoni, pour arriver à la plage de Sohoa, « c’est le rêve de faire ça ! » Plusieurs corps de métier à son arc donc. Et une réussite qu’il a menée sans toucher un euro de fonds européens, un accès qu’il jugeait trop complexes.

Les jeunes enrôlés dans la sécurité

La limousine lors de la venue de Gohou

L’autre face de Tanchiki, c’est celle d’un citoyen impliqué à fond pour sa commune de Koungou. Alors que les stigmates de 2011 y sont encore présentes, des bandes se partagent le territoire faisant régner la terreur en nocturne. Il organise alors un grand spectacle avec l’humoriste Gohou, prés de 3.000 places sont vendues, et la sécurité est assurée par 200 jeunes de la commune. Aucun incident n’est à déplorer.

Il réitèrera plusieurs reprises, et le même dispositif est dupliqué sur ses RioDelMar, « ces jeunes sont livrés à eux-mêmes, on ne peut pas les ignorer. Et c’est pour moi une manière de rendre à la société ce qu’elle m’a apporté, j’ai pu bénéficier pendant 3 ans de l’accompagnement de la DASS, c’est grâce aux impôts de tous. »

A 38 ans, il a déjà un beau parcours derrière lui, mais pas sans séquelles : « Je n’ai pas passé assez de temps avec mes enfants, et ça, c’est irrattrapable. Je remercie surtout ma femme de m’avoir toujours soutenu, notamment d’avoir été compréhensive. Mais là, je veux davantage être à côté d’eux ». Il se partage ainsi entre Mayotte et la Bretagne où réside actuellement sa famille.

La prochaine étape ? A pas encore 40 ans, les idées fourmillent dans son cerveau. Et ne lui dites pas que vous avez besoin d’un service, il va créer une société pour y répondre !

Anne Perzo-Lafond

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