Vous n’aviez pas répondu au 1er appel à candidature sur le poste laissé vacant de directeur du CHM après le départ de Catherine Barbezieux, pourquoi avoir postulé finalement ?
Jean-Mathieu Defour : « Je n’ai pas postulé. En 2015, je suis envoyé en mission sur la reconstruction de l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni, puis à Bastia sur la même tâche où il y avait peu de postulants. On m’a sollicité à Mayotte sur l’extension du Centre Hospitalier et la construction d’un deuxième site. Le premier se fera sur les terrains à proximité du site actuel au cœur de Mamoudzou, et le second à Combani.
Vous prenez les manettes d’un hôpital en grand besoin au regard de l’activité intense sur la zone. Dans quel état est-il ?
Jean-Mathieu Defour : Le CHM date des années 80 et a dû supporter une suractivité croissante, notamment sur la maternité, mais aussi aux urgences et en pédiatrie. Les murs sont troués, les plafonds s’effondrent, pourquoi l’entretien n’a-t-il pas été fait ces dernières années ?! Pour que les soignants travaillent en sécurité, il faut de meilleures conditions de travail. Je n’ai pas eu de lettre de mission, mais je me la suis écrite : résoudre tous les problèmes qui pourrissent la vie des soignants, tout en menant les travaux d’extension et du second site .
Le CHM avait souscrit des emprunts toxiques, et bénéficie d’un soutien à ce titre*, et le Fonds d’Intervention Régional a été relevé de 18 millions à 32 millions d’euros. Pouvez-vous compter sur une bonne santé financière de l’établissement ?
Jean-Mathieu Defour : Je ne m’exprimerai pas sur ce sujet étant donné que j’ai demandé un T0 des finances, un point zéro, qui est en cours. Tout ce que je peux dire, c’est que le CHM est le seul hôpital de France, sans compter Saint-Pierre et Miquelon, à fonctionner en Dotation globale de financement, et non à l’activité. La réforme des hôpitaux devrait proposer un mix entre les deux formules.
Avez-vous les moyens humains de doter le second établissement du CHM qui sera sis à Combani ? Pour Dominique Voynet, ex-directrice de l’ARS Mayotte, l’attractivité n’était pas tant un problème de salaire que de projets.
Jean-Mathieu Defour : Oui, elle a en partie raison. Actuellement, nous avons des infirmières sac à dos ou des spécialistes, qui viennent en fonction des besoins. Les uns et les autres apportent des compétences, mais ne s’intéressent pas au projet de l’hôpital. Le même problème d’attractivité se posait à Saint-Laurent du Maroni. C’est le serpent qui se mord la queue : le manque de personnel est comblé par des professionnels sac à dos, mais qui sont mal vus et qui ne restent pas.
Pour relancer l’attractivité, il faut travailler sur tout ce qui pourrit la vie des soignants au quotidien, le mauvais état des salles en fait partie. Il faut ensuite mener de gros projets. Architecturaux, pour commencer, c’est plus facile d’attirer des médecins dans des bureaux propres, des urgences irréprochables, dotées de salles d’attente dimensionnées au volume des patients. Mais aussi, le développement des spécialités, notamment en cardio. Enfin, il faut donner sur le net l’image d’un établissement attractif et non en conflit social permanent. C’est pourquoi j’ai demandé aux syndicats de me contacter en cas de problème, il faut les résoudre au fur et à mesure.
Justement, une grève illimitée vient de commencer au laboratoire du CHM, sur une difficulté de dialogue interne…
Jean-Mathieu Defour : Le laboratoire connaît un problème d’encadrement depuis des années, mais je veux dire à tous, que derrière chaque poste il y a des hommes et des femmes, il faut être attentif à ça. Et prendre en compte le travail à mener pour le renouvellement de l’accréditation COFRAC du laboratoire.
Etes-vous bien entouré pour mener ces challenges ?
Jean-Mathieu Defour : L’équipe s’est plutôt pas mal sortie d’un long intérim avant ma prise de fonction. Il y a des potentialités, mais les compétences sont inégales. Lors de sa venue pour valider la restructuration de l’hôpital actuel, les représentants du CNIS, le Conseil National pour les Investissements en Santé, ont été stupéfaits de l’état de certains services, et ont révélé que les interpellations des soignants ne recevaient aucune réponse de la direction des Travaux. Je vais donc la réorganiser.
L’arrivée de compétences et d’éventuelles spécialités devraient diminuer le nombre des EVASAN ?
Jean-Mathieu Defour : Oui, tous les habitants préfèrent être pris en charge prés de leur famille plutôt que d’être évasanés. Certains décèdent à La Réunion, loin de chez eux. Et il est anormal qu’un aide-soignant qui part en soin à La Réunion perde ses 40% d’indexation sous prétexte qu’il n’est plus sur l’île.
Quel adjectif utiliseriez-vous pour qualifier votre mission ?
Jean-Mathieu Defour : « Enorme » ! C’est une grosse responsabilité, mais comme je l’ai dit aux syndicats, il faut me laisser travailler. Les chantiers que j’ai à mener vont de bas en haut, du robinet qui fuit à la sortie d’un deuxième hôpital, en passant par une amélioration des conditions de travail des soignants. A 57 ans, je relève le défi, mais il faut m’accompagner. »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
* Les ministres de la Santé et des Finances ont porté à 400 millions d’euros sur 10 ans le fonds de soutien aux hôpitaux fragilisés par des emprunts toxiques en 2015